Page images
PDF
EPUB

tamisée lui communique l'aspect recueilli d'un oratoire, du mysté rieux sanctuaire du cher pensionnat : Oui, mon Dieu, ici je tombe à vos genoux, ici je vais faire ma prière du matin !...

Ce lit, où je viens de me reposer, remplace la couchette d'autrefois ma mère, je m'en souviens, craignant de troubler mon repos, marchait doucement, bien doucement, voilait d'une main la lumière et se penchait sur mon front pour y déposer le dernier baiser du jour.

Au-dessus, sur son socle bien fixé, se dresse la petite statue de la Vierge Marie, dont le regard si suave et si pur s'est abaissé sur mon sommeil d'enfant.

Là, à l'angle du mur, cette mignonne étagère, sur laquelle sont rangés tous mes bibelots, me rappelle l'époque où, perchée sur un tabouret ou une chaise, j'époussetais soigneusement tous ces petits riens. Des riens! c'est vrai, et pourtant, si insignifiants qu'ils soient, fous me sont chers comme autant de souvenirs.

Voici ma bibliothèque, le premier cadeau sérieux que j'ai reçu, mon bureau avec mon buvard, mes premiers dessins, mes livres de prix, mes livres de classe, mes cahiers de notes, tous les instruments de culture et les récompenses de mon labeur. Oh! que je les aime, ces chers livres de littérature française! Quels plaisirs me réservent-ils désormais dans leurs pages si pures!

Je reconnais bien le tic tac monotone et régulier de ma pendule dorée, la pièce de broderie commencée, le dessein à peine ébauché, le livre feuilleté qui garde encore sa marque fidèle.

Je vois, pendus au mur, des cadres religieux, les portraits de ceux que j'aime, une fine aquarelle, tracée par une main amie, souvenir doublement cher, car le paysage est un coin du bois que je visite souvent aux vacances d'été.

Sur une table en losange, recouverte d'un beau tapis rouge, dans un vase rustique, j'aperçois les fleurs à peine écloses que j'aime de préférence ; j'en respire le parfum avec une douce émotion, en songeant à ma mère, dont la main les a arrosées en songeant, elle aussi, à son enfant.

En vue de la clarté, de l'ordre et de l'opposition, les mots hier, aujour d'hui, précisent la circonstance de temps.

Les objets successivement décrits par comparaison et par souvenir délémitent le fond même du récit et suggèrent les réflexions qui en naissent naturellement.

Rien n'était plus aisé que d'élargir le cadre et la perspective de cette com

Puis, j'ouvre mes volets tout grands: mes regards ne rencontrent que des objets connus et aimés...

*

**

Vite, je descends embrasser mon père, ma mère, mes frères, mes sœurs... Qu'il est savoureux, ce premier déjeuner en famille, où tous les visages rayonnent d'allégresse! Je sens que l'on m'aime, ici comme au pensionnat, et je tâche de faire sentir à tous les cœurs que je les aime et les aimerai toujours !...

Au dehors, le ciel est d'azur, les collines d'en face sont riches de verdure, et l'eau de la rivière qui serpente dans le vallon murmure sur les galets, en se précipitant par bonds vers la cascade où elle tombe en nappe cristalline.

Les oiseaux chantonnent sous les bosquets, et c'est toujours le même refrain du vent à travers les aiguilles des sapins et des mélèzes au vert tendre.

Chers objets inanimés! quelle puissance exercez-vous sur l'esprit, quels sentiments évoquez-vous, si ce n'est la réminiscence du passé, le souvenir des parents, le souvenir de nous-mêmes ? Ne faites-vous point partie de notre mobile existence? N'y a-t-il pas en chacun de vous quelque chose de notre pensée, quelque battement de notre cœur? Ici un regret, une larme, une séparation; là, une joie, une espérance, un sourire.

C'est nous-mêmes, c'est un père, une mère, que nous retrouvons en vous, qui nous devenez plus chers après une longue abcence... Non, non ! je me trompe, c'est l'âme et Dieu qui se poursuivent et se rencontrent, sous le toit inoublié du pensionnat, au foyer inoubliable de la famille : les objets sont l'œuvre de sa divine main et notre âme, qui n'a point d'âge, est un reflet de sa vie et de sa splendeur éternelles !

position; mais le sujet étant plutôt général et indétermité, on a laissé le champ libre aux détails particuliers et tout personnels.

La conclusion “chers objets... éternelles "résume la pensée inspiratrice du morceau; elle est d'un caractère moral et philosophique, pour rehausser le ton de vulgarité banale,dont l'on se défait si difficilement dans les sujets de ce genre.

N° IV.

Première et dernière Communion. (1)

Parmi les honnêtes gens, on appelle du nom de 93 ou de la Terreur, l'époque épouvantable et démoniaque où Collot d'Herbois régnait à Lyon, Carrier à Nantes, Fouquier-Tinville à Paris L'histoire de ces jours de sang donne le cauchemar. L'on se demande s'il est vrai qu'une moitié de la France ait pu tant souffrir et l'autre moitié se montrer si impitoyable. Le nombre des jours écoulés depuis nous voilent ces spectacles horribles qui firent frémir alors le monde entier. C'est ainsi que dans le vallon solitaire on cache, sous un monceau de feuilles mortes, le cadavre d'un assassiné. Les cris de douleur de la victime sont finis. oiseaux chantent, l'herbe pousse, et le passant, qui ne soupçonne rien, trouve le paysage admirable.

Les

Pour moi, qui ai vécu sur un sol couvert de ruines, auprès du charnier rempli des ossements de pauvres paysans, dont les fils ont été mes camarades d'enfance; pour moi qui ai vu quelques-uns des derniers bourreaux, leur agonie, leur mort, je garderai, jusqu'au dernier soupir de ma vie, une pitié profonde pour les saintes victimes, et l'horreur que Dieu permet que l'on ressente pour des échappés de l'enfer.

On était en 1822. J'avais alors douze ans. Le curé de notre village avait réuni dans son vieux presbytère quelques enfants des familles disparates qui composaient sa paroisse fils de martyrs et fils de bourgeois propriétaires de biens nationaux, fils d'ouvriers vétérans des soldats de la Rochejaquelain et de Charette. Chacun de nous avait déjà son Credo politique, et malgré l'affection qui relie entre eux les enfants du même âge, on pouvait apercevoir,

(1) Ce récit d'un témoin oculaire, d'un enfant de chœur devenu prêtre, est d'une authenticité indiscutable. Nous croyons inutile de le commenter en détail: personne ne contestera l'intérêt du fond, l'art de tirer parti de toutes les circonstances, la vigueur de la mise en scène, l'émotion poignante qui se dégage des événements, le coloris et le ton du style.

Nous avons dû l'abréger d'une page ou deux, afin de concentrer en un faisceau les rayons qui tendaient à se répandre aux alentours du fait et du sujet. Tel qu'il est présenté, nous pensons qu'il révèle un esprit distingué, une imagination ardente, sœur de celle d'un Chateaubriand ou d'un Nettement, une main ferme et un caractère vigoureusement trempé.

dès cette époque, le mur infranchissable qui devait séparer plus tard, dans la vie, les fils des bourreaux et ceux des martyrs.

Tous les premiers dimanches du mois, on allait processionnellement à la croix de Pitié, plantée à l'extrémité du village, sur la tombe commune où les prisonniers, pris par les bandes de Carrier, avaient été fusillés, après chaque battue faite dans les genêts de la paroisse. L'on voyait alors, prosternées en larmes, vêtues de deuil toujours, de nombreuses familles de paysans, qui baisaient avec amour cette terre trempée d'un sang si généreux et si pur. Au retour, on se disait des histoires lamentables de petits enfants tombés dans le trou, des bras de leur mère qu'on avait fusillée, et qui étaient tués à coups de pioche par le père Jolly, puis recouverts de terre, pendant que les soldats riaient et buvaient, assis sur le talus du fossé voisin... Le père Jolly, ce fossoyeur épouvantable, était vivant au milieu de nous. Plus tard, je raconterai sa mort; aujourd'hui, c'est d'un autre que nous allons parler.

Souvent nous avions vu le père Jolly s'arrêter et causer longuement contre son habitude, à voix basse, avec un autre vieux de son âge, toujours assis sur un grand fauteuil, dont le dos à ressort lui faisait une sorte de lit; il se tenait près de sa porte, au coin de sa masure où il trouvait de l'ombre en été.

Ce fantôme, coiffé d'un serre-tête de femme, une couverture de cheval sur les jambes, avait deux yeux qui regardaient dans le vide avec une obstination que rien ne dérangeait. Sa peau flasque et ridée semblait moitié trop large pour sa mince et maigre carcasse, et ses grandes oreilles velues paraissaient prêtes à tomber de sa tête. C'était Monsieur GODELIER, l'ancien médecin du château de ducs de G.-B., dont les ruines n'étaient séparés de sa demeure que par un mur peu élevé, surmonté d'une claire-voie Encore un fauve, celui-ci, rôdant autour de l'abattoir. Notre bourg n'avait alors qu'une seule rue, et quand nous allions au presbytère à l'heure des classes, le matin et le soir, nous passions. nécessairement devant le fauteuil de M. Godelier, dont les yeux bleus se fixaient alternativement sur chacun de nous, et nous donnaient le frison de l'horreur. Tous, en effet, nous savions la vie de cet homme.

Dans chacune des paroisses de notre malheureux pays vendéen, il s'était trouvé, à l'heure terrible, une personnalité, une seule souvent, non soupçonnée jusque-là, peur assumer la fonction

de délateur, de guide des soldats de la République, de géôlier, et,

au besoin, de bourreau. M. Godelier avait été tout cela aussi longtemps que possible. Il avait formé pour ce travail une équipe de gens assortis, tous recrutés, hélas ! parmi les serviteurs du château. C'étaient des scélérats d'une espèce rare, car ils restèrent tous pauvres, à l'exception d'un seul, après trois années (1790-93) d'une besogne qui fut fructueuse pour tant d'autres. Ils travaillaient en artistes, et pour le seul amour de l'art... l'art d'assassiner. En tout, ils étaient quatre survivants qui pouvaient entendre sonner les cloches à volées, tous les jours de la semaine, voir les processions fleuries de la Fête-Dieu, et écouter, chaque dimanche, redire les noms de leurs victimes au prône de la messe paroissiale. Le vieux Godelier n'entendit jamais au lieu saint cette proclamation terrible. C'était assez de l'horrible répulsion dont il se sentait l'objet sur la rue. Jamais il n'osa mettre le pied à l'église. L'on affirmait pourtant qu'une nuit on l'avait surpris, regardant dans le sanctuaire, par une petite fenêtre, aux lueurs de la lampe eucharistique. Je ne l'arffirme pas, mais cela peut bien être vrai, Seulement, était-ce une bravade, ou n'était-ce pas plutôt la voix du remords? Il venait peut-être narguer cet autel où lui, Godelier, avait, le vendredi saint, 1793, marié l'un de ses coopérateurs avec une jeune fille charmante, qui offrait de la viande obligatoire à tous les convives de cette noce infernale. Mais non, il était venu là, à cette fenêtre, poussé par un mouvement irrésistible, guidé par le souvenir d'une enfance pieuse et pure, d'une première communion si bien faite, que l'on disait alors dans la contrée, en parlant du petit Godelier: C'est un enfant de bénédiction; le bon Dieu se le réserve; il sera prêtre !

Au presbytère, d'ailleurs, je n'avais jamais entendu prononcer son nom. Ce silence finit par s'expliquer pour nous. Notre curé et professeur, homme dur et presque sans tendresse humaine, était un prêtre avant toute autre chose; les âmes étaient son unique pensée. Comment finirait Godelier, ce vieillard effrayant, inabordable, savant, souillé de crimes, qui portait cent fois au front la marque de Caïn? Ce n'était pas à nous, enfants, que le curé pouvait confier ses inquiétudes.

C'éfait un homme hors ligne, M. Godelier, au moins en avaitil la réputation. Médecin distingué, de son jugement il guidait tous les praticiens du voisinage. Il avait chez lui des grands livres par centaines, et l'on citait de lui des guérisons merveilleuses.

« PreviousContinue »