Page images
PDF
EPUB

Ex. - Personne croira-t-il-jamais...?-Je doute que personne y réussisse.— Je suis plus étonné que personne... [MME DE LA FAYETTE ]

Avec la négation, il signifie naturellement : nul, pas un. Ex.--Dieu ne veut pas que personne périsse. [Boss. Bonté 1.]

Absolument parlant, il sert de réponse négative; de même avec ellipse de la négation.

Ex. Qui restera pour pleurer cet enfant quand vous ne serez plus? Personne (s. ent.: il ne restera pas un). Personne dans les rues à cette heure matinale (il n'y avait pas un...).

Aujourd'hui, le mot quiconque est en voie de se glisser à la place du mot personne, bien que le premier soit proprement un pronom relatif, et non pas un pronom indéfini comme le second.

Ex. Je crois avoir aussi bien regardé que quiconque (personne) [CLÉMEN CEAU, dans la Justice].- Avec plus d'énergie que quiconque, ils demandent qu'on porte sans tarder le fer dans la plaie [DRUMONT, Libre Parole].-Cette parole ne peut pourtant blesser quiconque ici. [P. DESCHANEL, Président de la Chambre.] Tout cela est absolument choquant, et aboutirait à la suppression du mot personne,qui n'a pas moins d'harmonie que ce rugueux qut-con-que.

2. Rien veut dire quelque chose, au sens étymologique, propre, longtemps conservé et réel encore. En voici d'ailleurs la

preuve :

Ex.-Est-il rien de plus joli ?... c'est-à-dire : Est-il quelque chose de plus joli. -"Puisque votre amitié me poursuit toujours, j'aurais bien tort de vous rien (q. q. ch.) cacher." [VAUVENARGUES] —“Demandez aux médecins s'l n'y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger avec excès." [MOLIERE, Avare III 5.]

Ainsi, pour avoir un sens négatif, rien devra être accompagné, comme le mot personne, d'une négation exprimée ou sous-entendue.

3. Guère veut dire beaucoup, toujours au sens originaire de sa dérivation; il est vrai qu'on ne l'emploie plus qu'avec la négation ne (sans ajouter pas, mais parfois plus).

Ex. Quiconque ne voit guère, n'a guère à dire non plus.

La phrase suivante d'un touriste est proprement du jargon: "Le sentier est si guère large que nous ne pouvons nous égarer." [MARTIN. Aux Pyrénées.]

4. Aucunement veut dire en quelque façon. Les exemples sont la meilleure attestation des règles.

Ex.-Est-il aucunement (en quelque façon) question de vous relever de cet emploi ?...—Je ne crois pas que l'on puisse aucunement soutenir l'heure précise de la fin du monde.

On le voit, ce sens est encore très usité avec une phrase dubitative ou interrogative.-Ce n'est donc qu'avec une négation que ce mot signifie en aucune façon.

Ex.-Cola ne modifie aucunement mon opinion.-Je ne puis aucunement le souffrir.

C'est donc estropier la langue à plaisir que d'écrire des phrases comme celle-ci :-"Le filet et le faux filet, pour nous servir de termes aucunement homériques." [BONVALOT. De Paris au Tonkin. Il fallait dire nullement.

5. Voici une locution fort en usage et dont le sens est complètement faussé : -Il n'y a pas que cela...: dans le sens de : Il n'y a pas seulement cela.

La confusion est venue de ce que l'on croit il n'y a pas que, comme l'opposé de il n'y a que, tandis qu'au fond, et grammaticalement, et logiquement, ces deux tournures ne sont qu'une, ayant le même sens. En effet, en ajoutant le mot pas à l'expression z n'y a que, on s'imagine ajouter une seconde négation à la première; mais le mot pas appartient déjà à la locution. et n'en est qu'un explétif, un renforcement; et la preuve, c'est que l'on dit couramment: Je ne puis ou je ne puis pas.

En consequence, le tour: Il n'y a pas que cela à reprocher à cet enfant, dans le sens de: Il y a autre chose encore à lui reprocher, est certainement barbare et à proscrire.

1. Au lieu de: Il n'y avait pas que les esclaves qui fussent gladiateurs; l'on dira: Les esclaves n'étaient pas seuls gladiateurs ; d'autres que les esclaves, etc.

2. Au lieu de L'enseignement n'a pas que des épines; l'on dira: l'enseignement a autre chose que des épines.

3. Au lieu de Il n'y a pas que lui qui ait fait cette faute; l'on dira: Il n'est pas le seul qui ait fait cette faute.

6. Que faut-il penser de l'emploi des relatifs qui et que? Pour bien des gens aujourd'hui ces malheureuses particules ont su inspirer une horreur atroce : c'est une peste, dit-on, qu'il faut fuir avec soin et sans répit.

Comment éviter ces mots fâcheux ? En leur substituant, disent nos scrupuleux novateurs, soit le participe, soit l'infinitif. prenons des exemples.

Ex. C'était un spectacle magnifique que celui présenté par ces énormes animaux. [ROUSSELET, La Peau du Tigre].-En profitant de haies épaisses dissimulant (qui dissimulaient) leurs mouvements [ToUDOUZE. Enf. perdu.]—De la belle crême devant (qui devait) servir à confectionner des oeufs à la neige. [M. GEVIN]. Etc., etc.

Lisez les prosateurs français: vous ne trouverez peut-être jamais le participe présent ainsi employé; dira-t-on qu'ils écrivaient mal, et La Bruyère, et Fénelon, et Bossuet?...

D'autre fois pour éviter un que, on a recours à l'infinitif.

Ex. Il peut croire avoir (qu'il a) toujours affaire aux mêmes ennemis. [TouDOUZE] -- D'un cercle d'yeux furtifs, elle s'assura d'être seule (qu'elle était seule). [Le Gaulois. Journal de Paris.]—Je sais répondre (que je réponds) aux vœux de nos associés. [MGR LEROY, Annal. apost. 1898.]

La proposition infinitive, si fréquente en latin, n'est pas dans le génie de la langue française. Elle n'est possible aujourd'hui que quand le sujet de l'infinitif est le relatif que, comme dans cette phrase de Montesquieu :

Ex.

Des disputes théologiques que l'on a toujours remarquées devenir frivoles, à mesure qu'elles sont plus vives.

Cela est correct, mais le tour vraiment français consisterait précisément à ajouter un pronom relatif :

Ex. --Des disputes que l'on a toujours remarquées qui deviennent frivoles.

*

**

Sans doute l'usage peut varier et amener des changements dans la langue; mais il est très désirable très légitime que l'on maintienne les traditions de notre grand siècle classique. Nul, ce semble, n'a le droit de se montrer plus difficile que les esprits si délicats et si fins de cette époque.

S'il plaît à un contemporain d'écrire :
Ex. Ce que J.-C. avait prédit devoir leur arriver,
il semble préférable de dire avec Massillon
Ex.-Ce que J.-C. a prédit qui leur arriverait.

Il en est de même des phrases suivantes :

Ex.-Les éloges que l'envie doit avouer qui vous sont dus [La F.] "Mais pour guérir le mal qu'il dit qui le possède. [MOL.] "Voici l'épître qu'on prétend qui lui attira tant d'ennemis. [VOLT.] Concluons qu'il est absurde, pour éviter des fautes immaginaires, d'en commettre de très réelles, tout à fait contraires au génie de notre belle langue française.

(à suivre.)

CLASSE DE seconde ou DE BELLES-LETtres.

N° I.

Exercices raisonnés sur les genres de prose.

La Dissertation.

1. La dissertation est une composition classique qui a pour objet l'exposé d'une vérité religieuse, philosophique, historique, littéraire, dans le dessein direct d'instruire, d'établir un principe ou d'en montrer l'application.-Le traité s'en distingue en ce qu'il ne se borne point à l'examen d'un point ou de quelques points d'un sujet, mais embrasse un sujet tout entier.

:

[ocr errors]

2. Quatre qualités sont essentielles à toute dissertation: l'exactitude qui suppose la connaissance du sujet au moyen de l'étude et de la réflexion; la clarté, indispensable dans une composition qui a pour objet d'instruire, de faire voir la vérité ; l'ordre, qui dispose les différentes parties de manière que l'esprit saisisse plus facilement l'ensemble et les détails; - la brièveté, qui exclut les inutilités qui ne vont pas au but ou en détournent. 3. La dissertation se divise diversement, selon le sujet choisi ou obligatoire elle est polémique, si elle a pour fin de défendre la vérité et de combattre l'erreur (les conférences de Ravignan, de Lacordaire, de Monsabré, etc., et les articles des Revues offrent des modèles du genre); elle est religieuse ou morale, lorsqu'elle expose une vérité chrétienne, un devoir, une vertu, dans une composition moins étendue ; elle est philosophique ou historique, si elle a pour objet un point d'histoire ou de connaissance rationnelle; elle est critique, si elle comprend un examen raisonné des ouvrages de l'esprit ; elle est littéraire, quand elle roule, non sur un morceau à juger (analyse littéraire) ni sur une œuvre à critiquer, mais sur un auteur dont on apprécie le caractère, le génie, le talent, l'œuvre, le style, ou encore sur un précepte, un genre de littérature dont on donne les développements et la raison d'être (Discours sur le style de Buffon).

A. LE MISSIONNAIRE.

La ville du contraste et du vertige, l'université des sept péchés capitaux, Paris, renferme aussi des collèges d'apôtres et des séminaires de martyrs. Dans le pèle-mèle de ces maisons où le blasphème seul se souvient de Dieu, Paris contient des maisons de missionnaires, des écoles d'apostolat catholique, où la science que l'on apprend est de mourir pour le nom, pour la gloire et pour l'amour de Dieu.

Je dis mourir, et je dis trop peu; car il ne s'agit pas de donner une fois sa vie, ni même de l'exposer pour un temps aux chances d'une guerre qui doit finir. Ce que le missionnaire apprend, c'est l'art de mourir à tout, et tous les jours, et toujours! Il fait une guerre sans trève contre un adversaire immortel, qui ne sera vaincu momentanément que par des miracles, qui ne sera enchaîné définitivement que par la force de Dieu.

Pour s'engager dans ce combat, il faut que le missionnaire se dépouille de tout. Il meurt d'abord à sa famille selon la chair: il la quitte, il ne lui appartient plus, et, selon toute apparence, il ne la reverra plus. Il meurt ensuite à ses frères selon l'esprit, parmi lesquels il s'est engagé pour prendre une part de leurs travaux; il quittera aussi cette seconde maison paternelle, et probablement pour n'y plus rentrer. Il meurt encore à la patrie; il ira sur une terre lointaine, où ni les cieux, ni le sol, ni la langue, ni les usages ne lui rappelleront la terre natale; où l'homme même, bien souvent, n'a rien des hommes qu'il a connus, sauf les vices les plus grossiers et les plus accablantes misères.

Et quand ces trois séparations sont accomplies, quand ces trois morts sont consommées, il y en a une autre encore où le missionnaire doit arriver, et qui ne s'opérera pas tout d'un coup, mais qui sera de tous les instants, jusqu'à la dernière heure de son dernier jour : il devra mourir à lui-même ; non seulement à toutes les délicatesses et à tous les besoins du corps, mais à toutes les nécessités du cœur et de l'esprit.

Avec quelle clarté et quelle force, L. Veuillot invente et dispose tout sujet qu'il effleure ou qu'il traite à fond ! C'est un esprit logique, éclairé, profond : - on croirait que le travail d'invention n'a été pour lui qu'un plaisir et un amusement.―ll considère le missionnaire en général.

1o Les quatre premiers paragraphes esquissent à merveille la physionomie morale du missionnaire; toute l'invention ressort de cette seule idée féconde : la mort; toutes les idées secondaires reposent sur ce fonds,

« PreviousContinue »