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bres et leurs périodes (divinité préside... décide souverainemenı ; ils l'honorent par un silence profond-comme au pied des autels, à l'église-, par une attention-comme celle que l'on requiert dans la prière- etc., etc.)

Autre exemple :

"Le style des premiers maîtres, celui de Pascal par exemple, avait encore une certaine verdeur un peu âcre. Une fois fait et formé, celui de Bossuet représente bien la maturité plénière, mais une maturité franche et vigoureuse, où la sève travaillerait encore et bouillonnerait en pleine ferveur (mot vieilli dans ce sens). Par sa souple élégance, par sa langue merveilleusement polie, Fénelon marque le point extrême, au delà duquel le fruit mûr ne peut que s'affadir, en attendant qu'il se corrompe. Ce point, Massillon l'a déjà dépassé. A côté de parties encore saines et savoureuses, la fadeur commence d'apparaître ; la corruption n'est pas loin."

(LONGHAYE. Hist. de la Litt. IV.)

Le judicieux critique qui a écrit ces lignes, a voulu préparer son lecteur à la connaissance des brillants défauts de la littérature au XVIII siècle, au langage trop abstrait, trop noble, trop général de Massillon et de Buffon: il a recours à une fort belle succession d'images qui charment et instruisent en même temps.

2. Tous les traités de littérature et de rhétorique, au moins jusqu'à ces derniers vingt ans, énumèrent un très grand nombre de figures, et se plaisent à les subdiviser à l'envi. Donnons, seulement pour mémoire, l'une de ces classifications :

I.-Figures de mots.

4° Figures de syntaxe ou grammaire. 2o Tropes ou Métaphores. Ellipse, Pléonasme, Répétition,

Métaphore, Allégorie, Catachrèse.

Syllepse, Hyperbate, Anacoluthe. Antonomase, Métonymie, Synecdoche. II.--Figures de pensées.

1 Figures de raisonnement: Antithèse, Allusion, Concession, Correction, Gradation, Prétermission, Prolepse, Réticence, Suspension.

2o Figures de passion: Apostrophe, Ironie, Litote, Exclamation, Euphémisme, Hyperbole, Imprécation, Interrogation, Optation.

3° Figures d'imagination: Comparaison, Hypotypose, Prosopopée.

3. De nos jours, la plupart de ces distinctions sont considérées comme plus ou moins factices. En effet, les figures de style sont infinies en nombre, et les écrivains de génie en créent toujours de nouvelles; tout peut se comparer à tout; réels ou poétiques, les

rapports des objets entre eux forment une série qui ne sera jamais fermée. Puis, la pensée elle-même est chose si légère, si subtile, si diverse, si personnelle que la liste des figures de pensée n'est pas close de sitôt.-Pourquoi ces noms techniques et barbares, clairs tout au plus pour des initiés, et qui marquent faiblement les origines, la nature, les effets de chaque figure ?-Enfin, métaphores ou métonymies, figures de raisonnement ou de passion, ces procédés de langage ne sont pas toujours ni des clartés que l'on ajoute au discours, ni des ornements que l'on applique du dehors; les figures doivent être ce qu'elles étaient avant d'être cataloguées par les rhéteurs, et demeurer ce qu'elles sont dans les grands écrivains, les formes spontanées et vivantes d'une pensée originale et sincère.

4. Il est certain néanmoins, la question de nomenclature mise à part, que l'une des causes les plus ordinaires de la richesse, de la variété, de l'énergie et de la beauté du style, c'est l'heureux emploi des figures : les citations que nous avons faites ci-dessus le prouvent suffisamment. Sans philosopher sur le style et sans examiner si la pensée ne se présente pas souvent à l'esprit sous forme d'image, il n'en reste pas moins vrai que l'imagination et la sensibilité font valoir les idées de la raison, les animent, les rendent plus vivantes, ou plus agréables ou plus fortes. Or, le langage de l'imagination et de la sensibilité, ce sont les figures. se bercerait donc d'une vaine illusion si on espérait présenter des idées nettes sur le style d'un écrivain sans apprécier la valeur des principales figures. Autant vaudrait faire un portrait, sans tenir compte de la finesse des traits, de la distinction du teint et de l'attitude de la physionomie; autant vaudrait parler d'une statue sans dire sa pose, sans dire la pensée ou le sentiment que l'artiste a voulu exprimer.

Sans doute, on peut admirer des morceaux de prose ou de poésie, sans savoir quelles figures en forment l'éclat, la force, la vie même. Voyons-en néanmoins l'utilité par ce passage du Sermon sur la mort :

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Multipliez vos jours, comme les cerfs que la fable ou l'histoire de la nature fait vivre tant de siècles; durez autant que ces grands chênes sous lesquels nos ancêtres se sont reposés et qui donneront encore de l'ombre à notre postérité ; entassez, dans cet espace qui paraît immense, honneurs, richesse, plaisir que vous profitera cet amas, puisque le dernier souffle de la mort, tout fai

ble, tout languissant, abattra tout à coup cette vaine pompe, avec la même facilité qu'un château de cartes, vain amusement des enfants? Que vous servira d'avoir écrit dans ce livre, d'en avoir rempli toutes les pages de beaux caractères, puisque, enfin, une seule rature doit tout effacer encore une rature laisserait-elle quelque trace, du moins d'elle-même ; au lieu que ce dernier moment, qui effacera d'un seul trait toute notre vie, s'ira perdre luimême avec tout le reste dans ce gouffre du néant...

"Qu'est-ce que ma substance, ô grand Dieu ? J'entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort ; la nature, comme si elle était presque envieuse du bien qu'elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu'elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu'elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce; elle en a besoin pour d'autres formes, elle la redemande pour d'autres ouvrages.

"Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule et nous dire Retirez-vous, c'est maintenant notre tour. Ainsi, comme nous en voyons passer d'autres devant nous, d'autres nous verront passer, qui doivent à leurs successeurs le mêine spectacle. O Dieu ! encore une fois qu'est-ce que nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable (de siècles) où je ne suis plus ! et que j'occupe peu de place dans cet abîme immense du temps ! Je ne suis rien; un si petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant; on ne m'a envoyé que pour faire nombre, encore n'avait-on que faire de moi, et la pièce n'en aurait pas moins été jouée, quand je serais. demeuré derrière le théâtre." (BOSSUET).

Le goût ne sera guère mieux formé si l'on sait le nom des figures que contient ce passage remarquable, mais il aura beaucoup à glaner, s'il en devine l'à-propos et la justesse, s'il saisit la force de la pensée ou sa grâce sous l'image, s'il parvient à pénétrer dans l'âme même de Bossuet, en découvrant comment son imagination et sa sensibilité agissent sur ses idées : ce sera un excellent moyen de l'imiter et de reproduire à la longue sa manière et son style.

A l'aide de ce morceau, signalons les figures les plus usuelles et les plus importantes en littérature.

* **

A.-Figures de mots.

5. La comparaison rapproche deux idées, deux objets semblables.

Ex.-Les passions bouleversent l'âme, comme les orages la nature.

Préci

Passions et orages sont, on le voit, deux équivalents. sément la métaphore, fondée sur la ressemblance de deux idées ou deux objets, substitue le second équivalent au premier, sans avertir autrement de leur similitude ou analogie.

Ex.-Les orages (passions) de l'âme bouleversent la vie humaine la plus sereine et la plus calme.

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Or, dans l'extrait ci-dessus, Bossuet use fréquemment de la métaphore avec une souplesse et une fortune merveilleuses : Ex.-Elle est tantôt brusque et soudaine: S'ira perdre dans ce grand gouffre du néant... Cette recrue... pièce..., théâtre ; elle est tantôt préparée : multipliez..., durez..., entassez... un amas que le souffle de la mort abattra; tantôt suivie écrit... livre..., pages..., caractères..., rature; tantôt abandonnée, plongée au milieu des mots propres ou de métaphores dissemblables, lâchée dès qu'elle ne serait plus qu'une curiosité ou un obstacle s'ira perdre au fond du grand gouffre... L'auteur suit le même procédé dans les deux autres paragraphes.

:

* *

6. L'on a distingué plusieurs espèces de métaphores ; il est utile de signaler celles que l'on emploie plus fréquemment :

a) Le nom de l'effet pour celui de la cause, et réciproque

ment :

Ex. Une seule rature (effet) doit tout effacer, c'est-à-dire la mort (cause). Ex.-La nature (effet) envieuse du bien..., c'est-à-dire Dieu (cause).

b) Le nom abstrait pour le nom concret, et réciproquement : Ex.-Entassez la richesse (abstrait), c'est-à-dire l'or et l'argent (concret). Ex. Sous lesquels nos ancêtres (concret)... à notre postérité (abstrait). c) Le pluriel pour le singulier, et réciproquement : Ex. Entassez... honneurs (pluriel)... plaisir (singulier).

d) Le nom commun pour le nom propre, et réciproque

ment :

Ex.- La nature (nom commun) envieuse..., c'est-à-dire Dieu (nom propre). e) Le signe pour la chose signifiée :

Ex.-Le dernier souffle, c'est-à-dire la mort. (1)

B. Figures de pensées.

1. La comparaison rapproche deux idées semblables ou analogues; l'esprit est conduit à découvrir des liaisons secrètes entre les objets.

Ex.-Multipliez vos jours, comme les cerfs de la fable... Avec la même facilité (de même que, ainsi que) qu'un château de cartes.

2. L'antithèse ou contraste rapproche deux idées contraires afin de les faire ressortir l'une par l'autre ; l'esprit saisit les différences cachées ou imprévues entre les objets ou les vérités.

Ex.—Si je jette la vue devant moi... ; si je la retourne en arrière !

3. L'interrogation est une figure par laquelle l'écrivain ou l'orateur semble questionner les personnes avec le dessein de faire lui-même la réponse : tour agréable, plein de vie et de force.

Ex.-Que vous profitera cet amas, puisque...? Qu'est-ce donc que ma substance...? - Que vous servira d'avoir tant écrit... ?

4. La gradation est une figure qui dispose les idées ou les faits, ainsi que leurs développements, selon l'importance croissante ou décroissante qu'ils ont dans la réalité.

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Dans ce livre... toutes les pages de beaux caractères... une seule ra

5. L'hyperbole ou exagération est une figure qui consiste dans le grossissement des idées ou des faits, sans laisser croire néanmoins que l'on prendra leur exposé à la lettre.

Ex. -Multipliez vos jours... durant tant de siècles; durez autant que ces grands chênes sous lesquels nos ancêtres... de l'ombre à notre postérité ; entassez dans cet espace immense honneurs, richesse, plaisir.

6. L'allégorie est une série de métaphores analogues, de

(1) L'on trouve assez souvent d'autres figures de mots, comme les suivantes :

a) L'antécédent pour le conséquent : Tué d'un coup de feu d'une balle, et réciproquement: Il a bu la mort le poison.

b) Le contenant pour le contenu : Boire un verre : le contenu du verre.

c) Le nom de lieu pour la spécialité de ce lieu : Du champagne : du vin de cette province.

d) Le genre pour l'espèce : Bâtiment chargé : navire.

e) Le tout pour la partie : Un castor: un chapeau fait du poil de castor :

et réciproquement: Une flotte de cent voiles.

f) Le nom propre pour le nom commun: Un Tartufe : un hypocrite,

un

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