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Dans le vafte recit d'une longue action,

Se foûtient par la Fable, & vit de fiction.

Là pour nous enchanter tout eft mis en usage.
Tout prend un corps, une ame, un efprit, un visage.

REMARQUES.

ploïé les mêmes tours, ou du moins des tours, qui fe reffemblent. On ne fauroit trop les varier, fur tout dans les Tranfitions. A peine en pardonne-t-on deux femblables dans un Ouvrage d'efprit un peu long. On n'ufe en cette matière d'indulgence, qu'à l'égard des Hifloriens, qui, pour paffer d'un fait à l'autre, font bornés à quelques formules confacrées. Rien ne doit retarder leur narration; & des Transitions ingénieufes,

qu'on applaudiroit dans tout autre genre d'écrire, feroient juftement fiflées chés eux.

A la Defcription que M. Def
préaux fait ici du Poëme Epique.
on oppofera, fi l'on veut, celle
que La Frefnaie - Vauquelin en
fait, Art Poëtique, Livre I. Elle
eft moins Poëtique, & les Vers
affurément n'en font pas auffi
bons; mais malgré fa longueur
& fes autres défauts, elle me pa-
roît ingénieufe, riche, & bien
dans le genre didactique.
De quel air, en quel vers on doit des Empereurs,
Des Princes & des Rois defcrire les erreurs
Les voyages, les faits, les guerres entreprises,
D'un Siege de dix ans les grandes villes prifes,
L'enfeigne Homere Grec, & Virgile Romain:
Autre exemple choifir ne te travaille en vain.
Comme Apelle en peinture efloit inimitable,
En fes traits, en fes vers Virgile eft tout femblable:
En l'Epique tu peux fuivre ce brave autheur :
Nul ne peut en fa langue attaindre à fa hauteur.

Les premiers Vers font paraphra- fés d'HORACE, Art Poët. V. 73.
Res gefta regumque, ducumque, & triflia bella,
Quo fcribi poffent numero, monflravit Homerus.

LA FRESNAIE-VAUQUE- de Valerius Flaccus

qu'il n'ê

LIN Continuë & fait voir toit pas un homme dépourvû par ce qu'il dit de Stace & de goût.

* Le Taffe.

Pour t'aider tu pourras bien remarquer tes fautes
Dedans la Thebaide & dans les Argonautes,
Suivre un coulant Ovide & cet* Italien
Qui ne les fuit de loin, bien que d'un feul lien,
Dans un même fujet de trois digne, il affemble
Un long fiege, un voyage & maint amour ensemble.
Et d'autant qu'il ne fiet au Poëte fameux,
De prendre rien des fiens quand il écrit comme eux,

165 Chaque Vertu devient une Divinité.

Minerve eft la Prudence, & Venus la Beauté.
Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerre
C'est Jupiter armé pour effrayer la Terre.

REMARQUES.

(Eftant né de bon fiecle avec la vehemence
Qu'en la France a produit la premiere Jemence)
Sans rien luy dérober honore ce bel Art

En Francus voyageant fous noftre grand Ronfard.
Si né foubs bon afpect tu avois le genie,
Qui d'Apolon attire à foy la compagnie,
Pour d'un ton affex fort l'Heroïque entonner,
Les fiecles avenir tu pourrois étonner :

Mais il faut de cet Art tous les preceptes prendre,
Quand tu voudras parfait un tel ouvrage rendre:
Par ci par là meflé rien ici tu ne lis,

Qui ne rende les vers d'un tel œuvre embellis.

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Tel ouvrage eft femblable à ces fecons herbages
Qui font fournis de prez & de gras pafturages,
D'une haute fuftave, & d'un bocage épais,
Ou courent les ruiffeaux, ou font les ombres frais,
Ou l'on void des eftangs, des vallons, des montagnes,
Des vignes, des fruitiers, des forefts, des campagnes :
Un Prince en fait fon parc, y fait des bastimens,

Et le fait divifer en beaus appartemens:

Les cerfs, foit en la taille, ou foit dans les gaignages,
I font leurs viandis, leurs buiffons, leurs ombrages:
Les abeilles y vont par efquadrons bruyants
Chercher parmi les fleurs leurs vivres roufoyants :
Le bœuf laborieux, le mouton y pasture,
Et tout autre animal y prend la nourriture.

En l'ouvrage Heroïque ainfi chacun fe plaist,
Mefme y trouve dequoy fon efprit il repaift:
L'un y tondra la fleur feulement de l'Histoire,
Et l'autre à la beauté du langage prend gloire :
Un autre aux riches mots des propos figurez,
Aux enrichiffemens qui font elabourez :
Un autre aux fictions, aux contes delectables
Qui femblent plus au vray qu'ils ne font veritables:
Bref tous y vont cherchant, comme font leurs humeurs
Des raifons, des difcours, poury former leurs mœurs ;
Un autre plus fublime à travers le nuage
Des fentiers obfcurcis, avife le paffage
Qui conduit les humains à leur bien-heureté.
Tenant autant qu'on peut l'esprit en feureté."

·

Un Orage terrible aux yeux des matelots, 170 C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots.

REMARQUES.

C'est un tableau du monde, un miroir qui raporte
Les gefles des mortels en differente forte.
On y void peint au vray le gendarme vaillant,
Le fage capitaine une ville affaillant,

Les confeils d'un vieil homme, escarmouches, batailles,
Les rufes qu'on pratique au fiege des murailles,
Les joufles, les tournois, les feflins & les jeux,
Qu'une grande Royne fait au Prince courageux.
Que la mer a jetté par un piteux naufrage,
Après mille dangers à bord à fon rivage.
On y void les combats, les harengues des chefs,
L'heur après le malheur, & les triftes méchefs
Qui tallonnent les Rois : les erreurs,
les tempeftes
Qui des Troyens errants, pendent deffus les teftes,
Les festes, les difcords, les points religieux
Qui brouillent les humains entre eux litigieux:
Les aftres ony void & la terre defcrite,
L'Ocean merveilleux quand aquilon l'irrite:
Les amours, les duels, les fuperbes dedains,
Ou l'ambition mift les deux freres Thebains:
Les enfers tenebreux, les fecretes magies,
Les augures par qui les citez font regies:

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Les fleuves ferpentants, bruyants en leurs canaux,
Le cercle de la Lune ou font les
gros journaux
Des chofes d'ici bas, prieres, facrifices
Et des Empires grands les loix & les polices.
On y void difcourir le plus fouvent les Dieux,
Un Terpandre chanter un chant melodicux
A l'exemple d'Orphee : & plus d'une Medee
Accorder la toyfon par Jafon demandee:
On y void le dépit ou pouffa Cupidon
La fille de Dicae & la povre
Didon:

Car toute Poëfie il contient en foymême
Soit Tragique ou Comique, ou foit autre Poëme.
La preuve de ce que ces deux
derniers Vers difent, ne feroit
pas difficile à trouver dans Ho-
mère & dans Virgile. Nôtre vieux
Poëte termine cette longue Def-

cription, par une Exclamation,
qui renferme un fouhait, que
nous fommes encore, je le crois
du moins, en droit de former
très-légitimement.

Heureux celuy que Dieu d'efprit voudra remplir
Pour un fi grand ouvrage en François accomplir !

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Il parle immédiatement après des fortes de Vers, qui convien

Eche

Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe:

C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainfi dans cet amas de nobles fictions,

Le Poëte s'égaye en mille inventions,

175 Orne, éleve, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sous fa main des fleurs toûjours écloses:

2

REMARQUES.

nent au Poëme Epique; & nom-
me les Vers de dix fyllabes, par-

ce que Ronfard s'en êtoit fervi
pour fa FRANCIADE.

En vers de dix ou douxe aprés il le faut mettre :
Ces vers là nous prenons pour le grave Hexametre,
Suivant la rime plate, il faut mariex

que

Par la Mufique ils foient enfemble appariez,
Et tellement coulans que leur veine pollie
Coule auffi doucement que l'eau de Castallie.

On s'eft fixé depuis aux Vers
Alexandrins, dont la monoto-
nie contribuera toujours nécef-
fairement à la chute des Poemes
Epiques.

VERS 176. Et trouve fous fa
main des fleurs toujours éclofes. ]
Selon Desmarêts p. 89. & 90. Ces
fleurs toujours éclofes font faciles à
trouver fous la main pour les Poë-
tes, qui n'ont pas le talent d'in-
venter. Ils n'ont qu'à lire les
Métamorphofes & les autres Qu-
vrages des Poëtes Païens, dont
ils ne feront que les copiftes.
"Il faut que nous trouvions
dans nôtre fonds propre des
, fictions bien plus nobles que
,, n'ont jamais êté celles des
Paiens; parce que nous les ti-
,, rons du fonds d'une vérité,
,, qui nous offre des chofes bien
,, plus hautes & plus merveil-
leufes,,. Ce n'eft donc felon
lui, que ceux qui manquent de
force & d'invention pour fein-
dre hautement & agréable-

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Tome II

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ment fur nos vérités qui veulent perfuader aux Poëtes François qui ont une Reli gion fi haute & fi noble, qu'ils ne doivent célébrer les Heros Chrétiens qu'avec le fecours des Fables Paiennes & des Faux Dieux,,.

Il eft à remarquer, que dans tout ce qu'on lit ici touchant la nature du Poëme Epique & le genre de Fictions, qu'on y doit emploïer, c'eft-à-dire, depuis le Vers 160. jufques au Vers 245. M. Defpréaux contredit & réfute directement le Siftème, que Desmarêts avoit établi, touchant la Poëfie Heroïque, dans un Livre qu'il fit imprimer in-12. à Paris en 1670. fous ce titre : COMPARAISON de la Langue & de la Poëfie Françoife, avec la Grecque la Latine; & des Poëtes Grecs Latins, & François, &c. & dans un DISCOURS pour prouver que les Sujets Chreftiens font les feuls propres à la Poëfie Héroïque. Ce Dif

Qu'Enée & fes vaiffeaux, par le vent écartez,
Soient aux bords Africains d'un orage emportez;
Ce n'eft qu'une aventure ordinaire & commune,
180 Qu'un coup peu surprenant des traits de la Fortune.

"

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REMARQUES.

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& Virgile ont fait leurs Fictions fur le fonds de leurs Fables qui êtoient le fonds de leur Religion. Et le Taffe a fait fes Fictions fur le fonds de nôtre Religion, par laquelle nous ,, croïons un feul Dieu, & des ", Anges & des Demons. Il a introduit un Ange qui apparoît à Godefroi, & il feint le Demon qui tient fon confeil dans les Enfers. La faute qu'il a faite eft de lui avoir donné le nom de Pluton, & d'avoir mis dans

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cours eft à la tête du Poëme de
Clovis, ou La France Chreftienne,
dans l'Edition de 1673. C'eft ce
Siltème
Desmarêts entre-
que
prend de foutenir dans fa Deffen-
Je du Poëme Heroïque, que je cite
f fouvent dans ces Remarques.
Ce qu'il y dit p. 87. fuffira pour
faire connoître le fonds de fes
Idées. "Le Poëme Héroïque doit
,, avoir des Fictions pour être,
,, une Poëfie; & les Fictions, pour
être reçues & agréées par le
3, Jugement, doivent être vrai-
femblables & tout le mer-
veilleux & le furnaturel doit
être fondé fur la Religion du
Héros que l'on prend pour fu
jet, du Prince à qui l'on con-
facre l'Ouvrage, du Poëte qui
le compofe, & de tous ceux
qui le doivent lire & qui doi-
en juger. Autrement
l'Ouvrage fe détruit de lui-,,
inême, n'aïant point de fon-
dement raifonnable, & eft
rebuté du Lecteur, comme la
Franciade a êté méprifée, par-
2, ce que Ronfard pour fonder fes
5, Fictions fur les faux Dieux, y
parle comme Païen. HOMERE

دو

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,, vent

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les Enfers les mêmes fuppli,, ces, que Virgile y a mis, qui ,, font felon les Fables. Car cela ,, ne s'accorde pas avec nôtre Religion, qui admet feulement ce qui peut être animé par les Demons comme les Enchan,, teurs, qui font des effets auffi furprenans dans nos Poëmes que les Dieux & les Furies dans ,, ceux des Anciens,,.

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Desmarêts n'eft pas le premier à qui le fonds des Fictions anciennes ait paru ne nous pas convenir. Avant lui, La Frefnaie - Vauquelin avoit dit Art Poëtique, Livre I.

-fi d'une Hiftoire, un grand Prince fameux
Tu veux faire floter fur les flots ecumeux
Faire tu le pourras, & Chreftien fon navire
Hors des bancs perilleux & des ecueils conduire :
Auffi bien en ce temps, ouir parler des dieux
En une Poefie eft fouvent odieux.

Des fiecles le retour & les faifons changées,
Souvent foubs d'autres loix ont les Mufes rangées

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