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J'ay joint auffi à ces Epigrammes un Arrest burlefque donné au Parnaffe, que j'ay compofé autrefois, afin de prévenir un Arrest

REMARQUES.

penfé lui-même, quand après avoir décrit ce Poëme tel qu'il le conçoit, il ajoute : L'ordre exact n'est donc pas l'ennemi de L'Entoufiafme; peut-être en est-il le père. Le Sentiment a fon Ordre, dans lequel il range les Idées, comme le Raifonnement a le fien. Le premier de ces deux Ordres & l'Entoufiafme peuvent-ils avoir entre eux une autre différence que celle de la Caufe à l'Effet? M. Roy n'eut donc rien avancé que de très-vrai, s'il eut dit affirmativement, que l'Ordre exact eft le père de l'Entoufiafme.

Qu'on ne nous dife donc point que dans une Ode l'Esprit doit paroître plutôt entraîné du Démon de la Poefie que guidé par la Raifon. Tout ce que j'ai dit jusqu'à préfent ne démontre-t-il pas que l'Entoufiafme des Poëtes, ce prétendu Démon de la Poefie, eft uniquement le fruit de la Raifon? S'il refte encore à ce fujet quelque doute, on le fentira pleinement éclairci, dès qu'on voudra faire attention, que cet Entoufalme Poetique n'eft au fonds que l'imitation d'un Entoufiafme naturel. De quelque manière que l'Ame foit affectée; l'Affection qu'elle éprouve, fait naître en elle un Entoufiafme du même genre que fa caufe. Cet Entou fiafme, quel qu'il foit, eft l'objet, que le Poete fe propofe d'imiter. Qu'il ait deffein, par exemple, de répréfenter une certaine fituation violente de l'Ame; il n'ignore pas qu'il doit offrir pat

tout dans fon Ode la peinture d'un Entoufiafme violent. Comment le peindra-t-il s'il ne le connoît pas ? Comment le connoîtra-t-il, s'il ne connoît pas tout ce qui concourt à le produire ? Et ces Connoiffances multipliées, qui les lui donnera? Je veux que pour commencer, il n'ait befoin que d'appercevoir en gros fon objet. Ira-t-il loin s'il ne le confidère pas fous toutes fes facès; fi mêine, pour n'en laiffer rien échapper, il ne dêcend pas dans le plus me nu détail? Il a donc befoin de méditation, & même d'une méditation profonde, quelque rapide qu'on la veuille fuppofer. La rapidité n'eft point incompatible en elle-même avec la profondeur, & le Génie fait toujours les allier. C'est donc par la méditation, que le Poëte parvient à bien connoître tout fon objet, à s'inftruire de tous les êtats, par lefquels l'Ame a paflè, de tous les mouvemens, qui l'ont agitée, pendant la durée de la fituation qu'il veut peindre. Ces différens êtats, ces diffé rens mouvemens ne peuvent s'imprimer dans l'Imagination du Poëte, & s'exciter dans fon Caur, tels qu'ils ont êté réellement qu'à mesure qu'il les apperçoit, qu'il les dévelope, qu'il les définit, qu'il les connoît. Que voit-on dans tout cela qui ne foit pas l'ouvrage de la Raifon, ou de l'Ame qui raifonne; c'eft la même chofe? Mais de ces diffé.

tres-ferieux que l'Univerfité fongeoit à obtenir du Parlement, contre ceux qui enfeigneroient dans les Ecoles de Philofophie, d'autres

REMARQUES.

rens êtats de ces différens mouvemens; tout n'eft pas de nature à mériter d'être exprimé dans l'Ode. Ce qui n'eft pas né. ceffaire à l'impreffion, qu'elle doit opérer, y nuiroit. Il y a donc un choix de Penfees, d'Images, de Sentimens à faire. Et par qui ce choix peut-il être fait, i ce n'eft par la Raifon Enfin, ne faut-il pas encore que la Raifon aide l'Imagination & le Caur à rendre en Expreffions, en Nombre, en Cadence en Harmonie les Images & les Sentimens, qui fe font formés chés eux? Nouvelle preuve que l'Or. dre exact eft le père de l'Entoufiaf me. C'eft la Raifon feule, qui nous fait découvrir cet Ordre de fentiment, qui produit l'Eutoufafme naturel. C'eft la Raifon feu le, qui nous montre à fuivre cet Ordre à peindre fes effets. C'est donc elle feule, qui donne l'être à l'Entoufiafme Poetique, qui n'eft que la copie de l'Entonfiaf me naturel.

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Ces Principes & les conféquences, qui peuvent aifément s'en déduire me mettent en droit de m'étonner, qu'un Critique auffi judicieux que M. Defpréaux ne fe foit pas apperçu qu'il décrioit lui-même Pindare en faifant fervir de fondement aux louanges, qu'il lui donne, des Idées, qui ne peuvent prouver quelque chofe qu'en faveur de ceux qui cenfurent ce Poëte. Si fes beautés extrèmement renfermées dans fa langue,

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ne peuvent être facilement fen ties que des gens, qui fe font un peu familiarifé le Grec; & s'il n'eft pas poffible de faire voir à d'autres Pindare dans Pindare même: ne puis-je pas en conclure que le principal mérite de fes Ouvrages confifte dans la Diction; qu'il n'eft donc qu'un excellent Ecrivain, en prenant ce terme dans fa fignification précife; qu'il n'eft donc qu'un Génie ordinaire, qu'un Poëte médiocre, & que tout ce que je puis faire de mieux pour lui, c'eft de confentir qu'il occupe parmi les Poëtes un rang à peu près pareil à celui qu'Ifocrate tient parmi les Orateurs. Telles font les conféquences qui fuivent naturellement de ce que M. Defpréaux pofe en quelque forte pour principe. Ignoroit-il donc que le Génie eft de toutes les Langues, comme de tous les tems? C'eft lui, qui fait n'emploier que les vraies beautés. Ces beautés. ont leur fource dans la Nature où le Génie, conduit par l'Etude va les puifer. C'eft par là qu'elles font toujours ce qu'elles font dans toutes les Langues & dans tous les tems. Les beautés, qui naiffent de la Diction, ne font qu'acceffoires & purement accidentelles. Une chofe a beau roître belle dans une Langue, fi rendue dans une autre avec toute l'exactitude poffible, elle cefle de paroître belle;c'eft qu'elle n'avoit en effet, qu'un éclat fuperficiel. Elle n'êtoit belle que par te

pa

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principes que ceux d'Ariftote. La plaifanterie y defcend un peu bas & eft toute dans les termes de la Pratique. Mais il falloit qu'elle fut ainfi

REMARQUES.

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fard, qu'elle tenoit de la Diction, Il n'y a point de beautés vraies folides, effentielles, néceffaires, produites par la Nature même, tirées du fonds des différentes Situations de l'Ame, qui foient uniquement renfermées dans une Langue.

C'est donc par le fonds même des chofes, qu'on doit examiner Pindare. Ainfi fi l'on veut fe mettre en êtat de prononcer affirmativement fur le merveilleux des endroits, où ce Poëte, pour montrer un efprit entièrement hors de foi, rompt quelquefois de deffein formé la fuite de fon difcours, il faut faire une Analife raifonnée de celles de fes Odes, dans lefquelles fe trouvent ces digreffions, ces écarts, que des Criti ques fenfés paroiflent au goût François avoir eu tant de raifons de lui reprocher. Il faut établir nettement quelle eft la fituation de l'Ame, qu'il s'eft propofé d'imiter dans chacune de ces Odes. Si par la Paffion, qui la met en mouvement, l'Ame eft néceflairement emportée loin de l'objet, qui fembloit d'abord devoir feul fixer fon attention, les écarts de Pindare font une imitation exacte de la Nature; & je fuis prêt à les maintenir merveilleux, pourvu que je ne m'apperçoive point que c'eft de deffein formé qu'il rompt la fuite de fon difcours, Ses Odes doivent être des Portraits d'un Efprit entièrement hors de foi, Dans cet êtat, pour me renfermer dans le Langage des Opi

nions communes; l'Esprit ne for me point de deffein, il ne médite, il ne prévoit, il n'amène rien. Il eft entraîné, malgré lui, par le Délire, qui le tranfporte. Que le Poëte paroifle donc entraîné de même, & qu'il entraîne fes Lecteurs. Qu'il faffe paffer chés moi le même Délire, dont il me paroît maîtrisé. Que fon Ode, en un mot, foit la copie trait pour trait des opérations de la Nature. Qu'il ne me laifle jamais entrevoir l'art, qu'il emploie pour me faire illufion. Si je l'entrevois, cet art: je ne fuis plus en Délire;je réflechis de fang froid; l'illufion ne fe fait point, & l'Ode, malgré tout le feu de fes détails, eft froide dans fon impreffion totale.

C'eft par l'impreffion, que le total d'un Ouvrage d'efprit fait fur fes Lecteurs, que l'on doit juger de fon véritable prix. Si l'impreffion eft précisément celle que la nature de l'Ouvrage doit opérer, l'Ouvrage eft bon, excellent; & quelques fautes dans le détail n'en rendront pas le total moins eftimable aux ieux de la Raifon & du Sentiment. Non ego paucis offender maculis. Mais qu'un Ouvrage ne faffè que courir de merveille en merveille, qu'il foit, comme ceux d'un Poëte aujour d'hui très célèbre, rempli de toutes les beautés imaginables: s'il ne fait pas fur moi l'impreffion, qu'il doit faire, en avouant que cet Ouvrage eft beau, qu'il fait honneur à l'Imas

pour faire fon effet, qui fut tres-heureux, & obligea, pour ainfi dire, l'Univerfité à supprimer la Requeste qu'Elle alloit prefenter.

(31) Ridiculum acri

Fortiùs ac meliùs magnas plerumque fecat res,

REMARQUES.

gination de fon Auteur; je ne balancerai pas à décider qu'il eft mauvais, & que celui qui l'a fait, ne connoît pas la Nature. J'en louerai, tant qu'on voudra, les détails; & j'ajouterai: fed non erat his locus.

Un bel Ouvrage, un bon Ouvrage, font deux chofes très

différentes. Le fecond de ces titres eft préférable au premier. L'excellence confifte à les mériter tous deux.

(31) Ridiculum &c. ] Horace, Liv. I. Sat. X. Vers 14. L'Arre Burlefque dont nôtre Auteur parle dans cet endroit, fe trouvera dans le Tom. IV.de cette Edition,

LETTRE

De M. PERRAULT à M. DESPRE AUX, en réponse au Discours sur L'Ode.

MONSIEUR,

I. Puifque c'est à l'occafion de mes Dialogues fur la comparaifon des Anciens & des Modernes, que l'Ode que vous venez de donner au Public, a efté compofée, & que fans la colere où il vous ont mis, le Roy n'auroit point eu de loüanges ; je ne puis, quelque mal que vous en difiez, me repen

REMARQUES.

M. l'Abbé Granet fit réimprimer ces deux Lettres en 1741. à Paris chés Chaubert, dans le Tome IV, du RECUEIL de Pièces d'Hiftoire & de Littérature, Avant que j'eufle vu ce Recueil, que je ne connois que depuis quelques jours, j'avois pris la réfolution de donner ici la Lettre de M. Perrault fur les mêmes raifons, par lefquelles M. l'Abbé Granet s'êtoit déterminé. "Je ne fais,

(1) Cette Lettre fut imprimée dans le tems fans date & fans nom de Ville ni d'Imprimeur, fous ce titre : LETTRE d Monfieur D***, touchant la PRE'FACE de fon ODE fur la prise de Namur. Avec une autre LETTRE, où l'on compare l'ODE de M, D***. avec celle que M. CHAPELAIN fit autrefois pour le Cardinal DE R1CHELIEU. C'est une Brochure in4°. de trente-huit pages. La feconde Lettre commence à la page,, 27. & porte pour titre : LETTRE à M. P***. où l'ODE de M. D*** eft comparée avec l'ODE que M. CHAPELAIN fit autrefois pour le Cardinal De Richelieu,

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dit-il dans l'Avertissement, qui ,, précède fon IV. Tome les Partifans outrés de l'Antiquité me pardonneront d'avoir donné une nouvelle vie à la LETTRE de PERRAULT

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