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Il eft vrai: mais enfin cette affreufe difgrace
Rarement parmi nous afflige le Parnasse.

Et que craindre en ce fiecle, où toûjours les beaux Arte 190 D'un Aftre favorable éprouvent les regards,

Où d'un Prince éclairé la fage prévoyance

Fait par tout au Merite ignorer l'indigence?

Mufes, dictez fa Gloire à tous vos Nourriffons. Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons. 195 Que Corneille pour lui rallumant son audace,

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Soit encor le Corneille & du Cid & d'Horace.
Que Racine enfantant des miracles nouveaux
De fes Heros fur luy forme tous les tableaux.
Que de fon nom chanté par la bouche des Belles,
200 Benferade en tous lieux amufe les ruelles.

REMARQUES.

VERS 200. Benferade.... amuse les ruelles. ] ISAAC de Benferade, dont la Famille, ni peut-être le véritable nom, n'ont jamais êté bien connus, êtoit, à ce que l'on croit, né à Lions, petite Ville de la haute Normandie, en 1612. Il vint jeune à la Cour & s'y donna pour Parent du Cardinal de Richelieu, ce qui pouvoit bien être. Ce qu'il y a de vrai, c'eft qu'il en cut une penfion de 600. livres, qu'il perdit par la mort de ce Miniftre. Il étoit à peu près fans reffource, quand un trait d'étourderie lui procura la protection, & même l'amitié du Cardinal Mazarin. On avoit lu chés la Reine Regente, après fon fouper, quelques Vers de Ben ferade que le Cardinal avoit trouvés bons, & qui lui avoient fait dire qu'êtant lui-même fort

jeune, c'êtoit auffi par des Vers de galanterie, qu'il s'êtoit fait connoître à la Cour de Rome. Benferade, à qui cela fut raporté quelques inftans après, courut fur le champ chés fon Eminence, qu'il trouva couchée. Mais il fit tant d'inftances pour entrer, en aflurant que ce qui l'amenoit êtoit d'une extrême importance, que le Cardinal, en êtant averti, confentit à le voir. Benferade vole auffi-tôt fe jetter à genoux au chevet du lit, & dit au Cardinal qu'il êtoit fi tranfporté de joie, fi pénétré de reconnoiffance de l'honneur,que fon Eminence avoit bien voulu lui faire, en fe comparant à lui, qu'il fe feroit cru le plus ingrat de tous les hommes, s'il avoit différé d'un inftant à venir l'en remercier. La bizarrerie du procédé, l'air tout hors de lui-mê

Que Segrais dans l'Eglogue en charme les forests.
Que pour lui l'Epigramme aiguize tous les traits.

REMARQUES.

me avec lequel il parloit, ce qu'il méla d'ingénieux & de plaifant à fes remercîmens; tout ce la divertit le Cardinal, qui le prenant dès ce moment en ami tié, lui promit d'avoir foin de lui. Cette promeffe fut fi bien exécutée, que Benferade ne tarda pas à voir fon fort afluré. L'Académie Françoife le reçut au nombre de fes membres en 1674. Il mourut à l'âge de 78. ans le 19. Octobre 1690. d'une faignée,qu'il s'êtoit fait faire, pour fe préparer à l'Opération de la Taille. Son Chirurgien lui piqua l'Artère. Cet Auteur dut principalement fa réputation aux Vers, qu'il com pofa pour les Ballets du Roi. Par un tour d'efprit particulier, il fut confondre d'une manière, qui parut alors très-ingénieufe, le caractère des Perfonnes, qui danfoient,avec celui des Perfonnages, qu'elles répréfentoient & trouva le moïen de leur dire leurs vérités, fans qu'elles puflent s'en offenfer.La plufpart des Airs tendres du célèbre Lambert font compofés fur des paroles de Benferade. C'eft à caufe de fes Vers chantans que nôtre Auteur le nomme ici,moins comme pour un Poëte réellement eftimable, que comme un Poëte actuellement eftimé de la Cour, Il n'avoit point encore donné Les Métamorphofes d'Ovide mifes

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en Rondeaux, qui furent l'écueil
de fa réputation. Il avoit fait
dans fa jeunefle des Tragédies fort
mauvaifes, & dans la fuite de
fa vie il compofa quelques Vers
de piété, qui ne valent pas mieux.
Les Fables d'Elope mifes en Qua-
trains pour le Labirinthe de Ver-
failles, ne font guères fupérieures
aux Métamorphofes en Rondeaux.
C'eft,donc par fes Vers pour les
Ballets, par fes Chansons & par
quelques autres Pièces galantes,
qu'il faut juger de ce Poëte. En
général fon Stile & fa Verfifica-
tion font pluftôt faciles qu'ai-
fés. Ils ont l'air du naturel ;
mais on y trouve fouvent du
plat & du languiflant. On ne
peut nier qu'il n'eut beaucoup
d'efprit; mais qu'on ôte de fes
Pièces les plus eftimées, les Allu-
fions forcées, les Equivoques, les
Pointes, les Quolibets
lui reftera-t-il qui réponde à
fon ancienne réputation ? Ce
n'êtoit au fonds qu'un faux
Bel-Efprit, un Poëte très-mé-
diocre; & fes Ouvrages font
plus propres à gâter le goût qu'à
le former. Il êtoit d'ailleurs
homme à Bons mots. On nous en
a même confervé quelques-uns
qu'on a beaucoup vantés; mais
fije puis dire librement ce que
la plufpart m'ont fait penfer,
Benferade n'êtoit pas meilleur
Plaifant que bon Poëte.

At noflri proavi Plautinos & numeros, &
Laudavere fales, nimium patienter utrumque,
Ne dicam ftultè mirati, fi modo ego,& vos
Scimus inurbanum lepido feponere dicto.

VERS 201. Que Segrais dans l'Eglogue.] JEAN Regnault, fieur de

> que

Segrais, êtoit de Caen, Il vint à Paris à l'âge de 19. à 20. ans

Mais quel heureux Auteur, dans une autre Eneïde,
Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide?

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REMARQUES.

& fut produit à la Cour & dans le grand Monde par le Comte de Fiefque. C'eft là qu'il puifa de bonne heure l'extrême politefle, qui caractérise tous fes Ouvra ges. Il fut, en qualité de Gentilhomme ordinaire, attaché pendant plufieurs années à MADEMOISELLE (Anne-Marie-Louife d'Orléans, fille de Monfieur Gafton, Sorti de chés elle, il alla demeurer chés la fameufe Comtefle de LA FAYETTE, ( MarieMagdelene de La Vergne;) avec laquelle il compofa les Romans de La Princeffe de Cleves & de Zaide, Enfin las du grand Monde, il fe retira dans fa Ville natale, qui le choifit bientôt pour fon premier Echevin. Quoiqu'il fe fut marié d'abord après fon retour dans fa patrie, il ne laiffa pas de s'occuper toujours des Lettres. Il raffembla chés lui l'Académie de Caen, alors difperfée par la mort de fon Protecteur, & contribua beaucoup à lui don ner une forme ftable. Devenu très-fourd les dernières années de fa vie, il n'en fut pas moins recherché. Sa converfation êtoit toujours charmante. Elle joignoit à la folidité d'une aflès vafte Littérature l'agrément d'une grande vivacité d'efprit; & le long féjour qu'il avoit fait à la Cour & dans le grand Monde l'avoit inftruit d'une multitude d'Anecdotes curieufes, qu'il contoit fort bien. On en a recueilli le plus grand nombre dans le Segrefiana qui parut long tems après fa mort. Mais il y a toute apparence que la mé

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moire de ceux qui les avoient apprifes de Segrais, n'a pas êté des plus fidèles. On y trouve beaucoup de faufletés. Il avoit êté reçu de l'Académie Françoise en 1662. & mourut à Caen le 25. de Mars 1701. âgé de 76. ans. Les Ecrits en Profe de cet Auteur, quoique la plufpart affes frivoles pour le fonds, méritent beaucoup d'attention parce que le Stile en eft communément très-propre à fervir de modèle. Mais c'eft fur - tout comme Poëte, qu'il tient un rang diftingué fur nôtre Par naffe. Ses Eglogues & fon Poëme Pafloral & Athis, font voir qu'il a véritablement connu la nature du Genre Bucolique ; & certainement de tous ceux qui parmi nous fe font appliqués à cette forte de Poëfie, aucun n'a plus approché de l'heureuse fimplicité des Anciens. Peutêtre même l'eut-il atteinte, s'il fut venu dans un tems où le goût eut êté tout-à-fait formé. Mais il commença de fe faire connoître lorfque l'Hôtel de Ram. bouillet donnoit le ton à tous les beaux Efprits; & ce ton n'êtoit aflurément rien moins que celui de la Nature. Segrais convenoit lui-même, que fes Eglogues n'avoient pas toute la fimplicité, que ce Genre demande; & que, pour fe conformer au goût de fon fiècle, il avoit êté forcé d'y mettre plus de brillant qu'il n'auroit voulu. Sa Verfification n'eft pas égale, & quelquefois elle eft lâche & languiflante; mais elle a ce molle qu'Horace attribuois

205 Quelle fçavante Lyre au bruit de fes exploits,
Fera marcher encor les rochers & les bois :
Chantera le Batave éperdu dans l'orage,
Soy-mefme fe noyant pour fortir du naufrage:.

REMARQUE S'

à Virgile. Le facetum ne s'y trou.
ve pas toujours. Segrais doit en-
core être compté parmi nos Poë-
tes Lyriques, moins pour quel-
ques Odes, qu'il a faites , que
pour un grand nombre de Chan-
fons, dont les Vers m'ont paru
très-propres au Chant, & qui
n'êtant pas moins galantes que
celles de Benferade, ont plus d'é-
légance dans le Stile, & plus de
vérité dans les penfées. Mais de
tous fes Ouvrages celui qui
doit principalement faire vivre
fon nom, eft fa Traduction en
Vers de l'Enéide. De toutes celles
que nous avons en Profe de ce
Poëme, & je ne puis en excepter
aucune, pas une n'eft capable
de nous donner la moindre idée
du génie de Virgile. Je fais que
la plufpart paffent pour beau-
coup plus fidèles que celles de
Segrais; & cependant je ne ba
lance pas un inftant à pronon
cer qu'elles font bien plus infi
dèles. Il en eft des Traductions
comme des Portraits. Ils ne font
fidèles qu'autant qu'ils ref-
femblent; mais ce n'eft point
l'exacte copie des différens traits
du vifage, qui fait la reflem-
blance. C'eft uniquement l'ex-
preffion de la Philionomic.Com-
bien de Portraits parlans, dont
les traits examinés en détail ne
font pas précisément les mêmes
que ceux de leurs Originaux ?
Dans combien d'autres au con-
traire cherchons - nous inutile-
ment les perfonnes, qu'ils répré-

fentent, quoiqu'ils nous en offrent exactement tous les traits? Je retrouve la phifionomie de Virgile dans le Portrait que Segrais en a tracé. Que m'importe qu'en détail fes traits n'y foient pas exactement rendus? Je reconnois le Prince des Poëtes Latins, Je lis dans fon ame. Je vois fon Génie, Mais dans tous fes autres prétendus Portraits, croqués par tant de Peintres malhabiles, nonfeulement je n'apperçois pas l'ombre de fa Phifionomie; mais j'y vois à peine quelques-uns de fes traits deffinés avec quelque exactitude. Ce n'eft pas au refte, que la Traduction de l'Eneide par Segrais foit un Ouvrage parfait. La Verfification eft bien loin d'avoir cette égalité, qu'on admire dans l'Original. Quelques Vers languiffent, quelques autres font durs; & l'Auteur s'êtoit trompé quand il avoit cru que nos vieux mots auroient bonne grace dans le Poëme Epique. Il a traduit auffi les Georgiques de Virgile. Je ne puis rien dire de cette Traduction, que je n'ai jamais lue. Il la préféroit lui-même à celle de l'Enéïde. Voïés Chant II. Vers 11.

VERS 208. Soy-mefme fe noyant pour fortir du naufrage. ] Après le Paflage du Rhin, le Roi s'êtoit rendu maître de prefque toute la Hollande; & Amfterdam même fe difpofoit à lui envoïer fes clefs. Les Hollandois, pour fauver le refte de leur Païs,

Dira les bataillons fous Maftricht enterrez,

210 Dans ces affreux affauts du Soleil éclairez ?

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Mais tandis que je parle, une Gloire nouvelle
Vers ce Vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.

REMARQUES.

n'eurent d'autre reffource que
de le fubmerger entièrement,
en lâchant leurs éclufes.

tiré, pour ainfi dire, ex vifceri-
bus rei. Le goût d'Henri III.
pour les Lettres & pour fa lan-
gue naturelle l'avoit engagé,
dans l'année même de fon retour
de Pologne, à fe faire enfeigner
la Grammaire Françoife, & quel-
que peu favorablement que nos
Hiftoriens aient parlé de fes
amufemens, il eft certain que
la Poefie & les Belles Lettres en
firent toujours une partie con-
fidérable.L'Amiral de Joyeuse fou
favori, n'êtoit pas d'un goût
different; & Desportes, le plus
agréable Poëte d'alors, n'êtoit
principalement occupé que du
foin de procurer à fon Maître
des amufemens litteraires. C'eft
ce qu'on aprend dans beaucoup
d'Ecrits de ce tems-là, qui méri-
toient que nos Hiftoriens y fif-
fent un peu plus d'attention.Cela
pofé voici l'Epilogue de La
Frefnaie - Vauquelin. J'avouerai
qu'il ne doit ce qu'il a d'heu-
reux, qu'aux circonftances dont
je viens de parler. L'Auteur fem-
ble y faire mention de fon
Poëme Epique de DAVID.
Je compofoy cet Art pour donner aux François :
Quand vous, Sire, quittant le parler Polonois,
Voulutes repofant deffous le bel ombrage
De vos lauriers gaignez, polir votre langage,
Ouir parler des vers parmi le dous loifir
De ces Cloeftres devots on vous prenez plaifir:
Ayant aupres de vous, comme Augufie, un Mecane
Joyeuse, qui fçavant des Virgiles vous mene,
Des Horaces, un Vare, un Desportes qui fait,
Campofant nettement, cet Art quafi parfait,

VERS 209. Dira les bataillons fous Matricht enterrez. ] Maf tricht êtoit une des Places les plus confidérables, qui reftoient aux Hollandois, après les pertes qu'ils avoient faites en 1672. Le Roi en fit le fiége en perfonne, & après plufieurs affauts donnés en plein jour, & dans lefquels on avoit emporté tous les dehors l'épée à la main, cette forte Place fe rendit le 29. de Juin, 1673. après treize jours de tranchée ouverte.

IMIT. Vers 211. Mais tandis que je parle, &c.] Virgile a auffi daté fes Géorgiques par les Victoires d'Augufte. Mais nôtre Au teur n'en a rien pris que la fimple idée. Beaucoup de Poëtes ont fuivi l'exemple de Virgile: & ces efpèces d'Epilogues font communément les plus beaux morceaux de leurs Poëmes, Mais aucun ne me paroît avoir daté plus heureufement que La Fref. paie-Vauquelin. Son Epilogue eft

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