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Aux dépens du bon fens gardez de plaifanter.
Jamais de la Nature il ne faut s'écarter.
415 Contemplez de quel air un Pere dans Terence
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence:
De quel air cet Amant écoute fes leçons,

Et court chez fa Maiftreffe oublier ces chanfons. Ce n'eft pas un portrait, une image femblable; 420 C'est un Amant, un Fils, un Pere veritable.

J'aime fur le Theatre un agreable Auteur,
Qui, fans fe diffamer aux yeux du Spectateur,
Plaist par la Raison feule, & jamais ne la choque.
Mais pour un faux Plaifant, à groffiere équivoque,
425 Qui pour me divertir, n'a que la saleté ;

Qu'il s'en aille, s'il veut,

fur deux treteaux monté,

REMARQUES.

VERS 415.un Pere dans Terence. ] Voyez Simon dans l'Andrienne, & Demée dans les Adelphes. DES P.

VERS 424. Mais pour un faux Plaifant à groffiere équivoque. 1 MONT-FLEURI le jeune, Auteur de la Femme juge & partie, & de quelques autres Comédies femblables. Quand nôtre Auteur récita cet endroit à M. Colbert ce Miniftre s'écria; Voilà Poif fon, voilà Poiffon. Il ne pouvoit fouffrir ce Comédien, depuis qu'un jour, faifant le rôle d'un Bourgeois, il avoit paru fur le Theatre en pourpoint & en manteau noir, avec un collet de point, & un chapeau uni; enfin avec un habillement conforme en tout à celui de M. Colbert, qui pat malheur êtoit

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préfent, & qui crût que Poisson vouloit le jouer quoique cela fût arrivé fans deffein. Poiffon, qui s'en apperçut,, changea quelque chofe à fon habillement dans le refte de la Pièce; mais cela ne fatisfit point M, Colbert. BROSS.

Le Poiffon, que nous avons aujourd'hui au Théatre eft le petit-fils de celui dont il s'agit dans cette Remarque. En a-t-il hérité les talens ou fommesnous plus difficiles que nos Pères?

VERS 426. fur deux treteaux monté. ] A la manière des Charlatans, qui jouoient leurs Farces à découvert & en plein air au milieu du Pont-neuf. Autrefois c'êtoit près de la Porte de Nefle, dans la Place où l'on

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Amufant le Pont-neuf de fes fornettes fades,
Aux Laquais affemblez joüer fes Mascarades.

REMARQUES.

a bâti depuis le College Mazarin. M. Despréaux difoit des mauvaises Pièces de Theatre qu'elles n'êtoient bonnes qu'à jouer en plein air. BROSS.

C'est dommage que dans les cing dernier Vers nôtre Auteur ne faffe que paraphrafer la même penfée, qu'il a deja rimée vingt Vers plus haut.

Mais fon employ n'est pas d'aller dans une place a
De mots fales & bas charmer la populace.

CHANT I V.

DANS Florence jadis vivoit un Medecin,
Sçavant hableur, dit-on, & celebre affaffin.
Lui feul y fit long-temps la publique misere.
Là le Fils orphelin luy redemande un Pere,
Icy le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené.

REMARQUES.

VERS 1. Dans Florence jadis vivoit un Medecin, &c. ] Cette Métamorphofe d'un Médecin en Architecte, défigne Claude Perrault, Frère de Perrault l'Académicien, & Médecin de la Faculté de Paris. Voïés à ce fujet Tome IV. une Lettre de nôtre Auteur au Maréchal de Vivone, Le Médecin Perrault êtoit un de ceux qui condamnoient le plus hautement les Satires de M. Defpréaux, qui s'en plaignit à M. Perrault l'Académicien. Mais celui-ci,bien loin de lui en faire la moindre fatisfaction, me

daigna pas même lui répondre. Cette nouvelle injure l'irrita contre les deux Frères, & bien-' tôt après il fe vengea des mauvais difcours de l'un & du filence injurieux de l'autre, par cette Métamorphofe Satirique. Le Médecin en fit beaucoup de bruit: & comme il étoit emploïé dans les Bâtimens du Roi, il en porta fes plaintes à M. Colbert, alors Surintendant des Bâtimens. Nôtre Poëte ne fe défendit que par une plaifanterie, qui fit rire ce grand Miniftre: Il a tert de fe plaindre, dit-il, je l'aj

Le rhume à fon afpect fe change en pleurefie;
Et par lui la migraine eft bien-toft phrenefie.
Il quitte enfin la Ville, en tous lieux detefté.
10 De tous fes Amis morts un feul Ami resté,

Le mene en fa maison de superbe structure.
C'eftoit un riche Abbé, fou de l'Architecture.
Le Medecin d'abord femble né dans cet art,
Déja de bastimens parle comme Manfard :
15 D'un falon qu'on éleve il condamne la face :
Au veftibule obfcur il marque une autre place :
Approuve l'escalier tourné d'autre façon.
Son Ami le conçoit, & mande fon Maçon.

REMARQUES.

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il

fait précepte. En effet il tire, gueur, & dans les étroites rédans la fuite un excellent précepte de cet exemple; Soiés plustót Maçon, dit-il, fi c'est votre talent, &c. Vers 26.

VERS 14. de bafimens parle comme Manfard. ] FRANÇOIS MANSARD, célèbre Archifecte, qui mourut en 1666, âgé de 69. ans.

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gles de la Construction faudroit dire: An veftibule ob, fcur il marque une autre place, qise celle qu'on lui veut donner: Et aprouve l'escalier tourné d'une ,, autre maniére qu'il n'eft. Mais

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cela fe fous-entend fans pei,, ne : & où en feroit un Poëte fi on ne lui pafloit, je ne dis ,, pas, une fois, mais vingt fois dans un Ouvrage, ces Subaudi? Où en feroit M. Racine, fi on lui alloit chicaner ce beau vers que dit Hermione à Pyrrhus dans l'ANDROMAQUE: Je t'aimois inconftant; qu'euffé,, je fait fidelle? qui dit fi bien, & avec une vitelle fi heureuse: Je t'aimois lorfque tu eflois inconftant, qu'euffé je donc fait fi tu avois efté fidelle? Ces fortes de petites licences de Conftruction non-feulement ne font ,, pas des fautes, mais font mef,, me aflez fouvent un des plus ,, grands charmes de la Poëlie,

VERS 17. Approuve l'escalier tourné d'autre façon. ] Un petit,, doute que j'avois marqué à l'Auteur fur la netteté de ce Vers, l'engagea à m'écrire, le 2. Août 1703. ce qui fuit. Comment , pouvez-vous trouver une équi,, voque dans cette façon de parler? Et qui eft-ce qui n'entend pas d'abord, que le Médecin Architecte aprouve l'efcalier, moïennant qu'il foit ,, tourné d'une autre maniere? Cela n'eft-il pas préparé par le ,, vers précédent: Au veftibule obfcur il marque une autre place. Il eft vrai que, dans la ri

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Le Maçon vient, écoute, approuve, & fe corrige. 20 Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige, Noftre affaffin renonce à fon Art inhumain, Et deformais la regle & l'equierre à la main, Laiffant de Galien la fcience fufpecte,

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De méchant Medecin devient bon Architecte.

Son exemple eft pour nous un precepte excellent. Soyez plûtoft Maçon, fi c'est voftre talent, Ouvrier eftimé dans un Art neceffaire, Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire.

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REMARQUES.

,, ptincipalement dans la narration, où il n'y a point de ,, temps à perdre. Ce font des efpéces de Latinifmes dans la Poefie Françoife, qui n'ont pas moins d'agrément que les Hellénifmes dans la Poëfie Lati,, ne, &c,,. BROSS.

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VERS 20. Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige ] Ce Vers me paroît avoir êté légitimement cenfuré par Pradon, p. 96. Voici fa critique, qui n'eft bonne que pour le fonds. " Que ,, veut dire abreger un prodige ? Il veut dire pour ne pas ennuïer le Lecteur d'un fi plaifant ,, prodige; mais abreger un fi plaifant prodige, eft une Ex,, preffion, que je ne crois pas Françoife,,. En effet, pour qu'une Expreffion foit non feu lement Françoife, mais de quelque Langue que ce puifle être, la première condition eft qu'elle forme un fens ; & celle, dont il s'agit ici, n'en forme certainement aucun.

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VERS 23. Laillant de Galien la fcience fufpecte. ] Le dernier He mifliche eft bien dur; & quoique Sufpecte ne foit point une Epithète abfolument oifive, elle pourroit bien ne fe trouver la que pour rimer avec Architecte.

VERS 28. Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire. ] L'Expreffion Ecrivain du commun eft ici très-bien, parce qu'elle eft extrèment propre. Je n'en dirai pas autant de Poëte vulgaire. Ce dernier terme, joint avec un nom appellatif comme Poëte, n'est pas fufceptible de la même acception que du commun. D'ailleurs beaucoup de nos Auteurs par Ecrivain ou Poëte vulgaire veulent dire: Ecrivain ou Poëte, dont les Ouvrages font en Langue vulgaire. C'eft à quoi nôtre Auteur auroit du faire d'autant plus d'attention, que l'ufage du mot vulgaire dans le fens que j'indique, êtoit très commun de fon tems, où l'on écrivoit encore beaucoup en Latin,

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