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tête; et, courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir (1). MARMONTEL. Les Incas.

L'Eruption d'un Volcan, et ses ravages.

TOUT A COUP, au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreilles; ils entendent de loin la mer mugir, et rouler vers le rivage ses ondes amoncelées; les souterrains profonds sont frappés à coups redoublés; la terre tremble sous leurs pas; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine, s'entr'ouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente qui répand, au milieu de l'obscurité, une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe; une mer de feu, s'avançant avec rapidité, inonde les campagnes ; à son approche, les forêts s'embrasent, la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortunés? de quelque côté que vous cherchiez un asile, comment éviterez-vous la mort qui vous menace? De nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas, de nouveaux tourbillons de flammes, de pierres, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes, et la mer écumeuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage et s'avance pour vous engloutir.

Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu à peu; les feux s'amortissent: la mer, à demi calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes, la terre se raffermit, le bruit cesse, et le jour paraît. Quel triste et

(1) Voyez Narrations, t. II.

I. 24.

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lugubre tableau présente la campagne ravagée! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés sans ordre, que des torrens de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets lugubres qu'une clarté pâle et terne un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs; et la mer répond par de sourds gémissemens au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le Ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est courte, mais touchante; ils la recommencent souvent, et chaque fois, avec un ton plus pénétré, ils cherchent en quelque sorte à faire parvenir leurs voix jusqu'à l'Etre dont ils implorent la clémence : tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent, et qu'ils soutiennent avec effort (1). LACEPEDE. Poétique de la Musique.

Phosphorescence de la Mer.

LA phosphorescence des eaux de l'Océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pas effectivement nombreux et variés! Ici, la surface de l'Océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'ar

(1) Voyez Narrations ou Descriptions en vers; et les Leçons Latines anciennes, t. I, même partie.

gent électrisée dans l'ombre; là, se déploient les vagues en nappes immenses de soufre et de bitume embrasés; ailleurs, on dirait une mer de lait dont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien faible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-mêmes qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallélogrammes incandescens, des cônes de lumière pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux des mers, on voit souvent s'élancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelans; ailleurs on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'Océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l'horizon. Tous ces phénomènes, et beaucoup d'autres encore que je m'abstiens d'indiquer ici, quelque merveilleux qu'ils puissent paraître, n'en sont pas moins de la plus incontestable vérité. D'ailleurs ils ont été plus d'une fois décrits par les voyageurs de la véracité la moins suspecte, et je les ai moi-même presque tous observés en différentes parties des mers.

PERON. Voyage aux Terres Australes, t. I. 1824.

La Cataracte de Niagara (1).

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée

(1) Dans l'Amérique septentrionale, au Canada.

par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs celle qui tombe au levant descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours (1). CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

:

La Vallée de Tempé.

APRÈS avoir passé l'embouchure du Titarésius, dont les eaux sont moins pures que celles du Pénée, nous arrivâmes à Gonnus, distante de Larisse d'environ cent soixante stades. C'est là que commence la vallée, et que le fleuve est resserré entre le mont Ossa qui se trouve à sa

(1) Voyez dans les Leçons Latines anciennes, t. I et II, le Nil.

droite, et le mont Olympe qui est à sa gauche, et dont la hauteur est d'un peu plus de dix stades.

La vallée s'étend du sud-ouest au nord-est; sa longueur est de quarante stades, sa plus grande largeur d'environ deux stades et demie; mais cette largeur diminue quelquefois au point qu'elle ne paraît être que de cent pieds.

Les montagnes sont couvertes de peupliers, de platanes, de frênes d'une beauté surprenante. De leur pied jaillissent des sources d'une eau pure comme le cristal; et, des intervalles qui séparent leurs sominets, s'échappe un air frais que l'on respire avec une volupté secrète. Le fleuve présente presque partout un canal tranquille; et, dans certains endroits, il embrasse de petites îles, dont il éternise la verdure. Des grottes percées dans les flancs des montagnes, des pièces de gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l'asile du repos et du plaisir. Ce qui nous étonnait le plus, était une certaine intelligence dans la distribution des ornemens qui parent ces retraites. Ailleurs, c'est l'art qui s'efforce d'imiter la nature; ici, on dirait que la nature veut imiter l'art. Les lauriers, et différentes sortes d'arbrisseaux, forment d'eux-mêmes des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de bois placés au pied de l'Olympe. Les rochers sont tapissés d'une espèce de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc, s'entrelacent dans leurs branches et tombent en festons et en guirlandes. Enfin, tout présente en ces beaux lieux la décoration la plus. riante. De tous côtés l'oeil semble respirer la fraîcheur, et l'âme recevoir un nouvel esprit de vie.

Les Grecs ont des sensations si vives, ils habitent un climat si chaud, qu'on ne doit pas être surpris des émótions qu'ils éprouvent à l'aspect et même au souvenir de cette charmante vallée. Au tableau que je viens d'en ébaucher, il faut ajouter que dans le printemps elle est tout émaillée de fleurs, et qu'un nombre infini d'oiseaux

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