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occupe toutes les forces de sa raison recueillies. Tout ce qui se fait de grand lui appartient, et lui-même est au-dessus de cette grandeur. Son œil, toujours attaché sur la victoire, la suit dans tous les mouvemens qui semblent l'éloigner ou la rapprocher; il la fixe, l'enchaîne enfin, et voyant alors tout le sang qu'elle a coûté, il se détourne du carnage, et se console en regardant la patrie.

LA HARPE. Eloge de Catinat

Même sujet sous un autre point de vue.

S'IL y a une occasion au monde où l'âme pleine d'ellemême soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatans où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le Dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en luimême, remplit tout le reste du monde, d'amour, d'admiration ou de frayeur. Les dehors même de la guerre, le son des instrumens, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consommation de la victoire, les cris différens des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'âme par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connaît ni Dieu ni elle-même. C'est alors que les impies Salmonées osent imiter le tonnerre de Dieu, et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel : c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leurs bras et leur cœur, et que les insolens Pharaons, enflés de leur puissance, s'écrient : « C'est moi qui me suis fait moi-même! » Mais aussi la religion et l'humanité ne paraissent-elles jamais plus majestueuses que lorsque, dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans

la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son Dieu.

MASCARON. Qraison funèbre de M. de Turenne.

Prière du soir à bord d'un Vaisseau.

LE globe du soleil, dont nos yeux pouvaient alors soutenir l'éclat, prêt à se plonger dans les vagues étincelantes, apparaissait entre les cordages du vaisseau, et versait encore le jour dans des espaces sans bornes. On eût dit, par le balancement de la poupe, que l'astre radieux changeait à chaque instant d'horizon. Les mâts, les haubans, les vergues du navire étaient couverts d'une teinte de rose. Quelques nuages erraient sans ordre dans l'orient, où la lune montait avec lenteur. Le reste du ciel était pur; et, à l'horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe chargée des couleurs du prisme s'élevait de la mer comme une colonne de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eût été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu la beauté de Dieu! Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières lors que tous mes compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple cantique à Notre-Dame-de-Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu'elle était touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot à la Mère de douleur! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; les monstres marins étonnés de ces accens inconnus, se précipitant au fond de leurs gouffres; la nuit s'approchant avec ses embûches; la merveille de notre

vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière; Dieu penché sun l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir (1). CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

Les Invalides aux pieds des Autels.

Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du témple élevé au milieu de leur auguste retraite ? Leurs cheveux, que le temps a blanchis, leur front, que la guerre a cicatrisé, ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect: mais de quel sentiment n'est-on pas ému lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes pour invoquer le Dieu de l'univers et celui de leur coeur et de leur pensée; lorsqu'on leur voit oublier, dans cette touchante dévotion, et leurs douleurs présentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voit se lever avec un visage serein, et emporter dans leur âme un sentiment de tranquillité et d'espérance? Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde ! Leurs traits sont abattus, leur corps chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraie, ils la voient venir sans alarmes : ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez

(1) Voyez le même sujet, t. II.

contempler ce spectacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, et qui vous dites supérieurs en lumières ; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne serait pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous, que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs ni plus terribles qu'eux ; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigens la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent dans leurs fers, et fermez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière. NECKER. Importance des Opinions religieuses.

Le Volcan de Quito.

HEUREUX les peuples qui cultivent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, des dépouilles de la terre ! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes; le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'Océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlans et liquides, des flots de cendre et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chute, s'accumulaient au bord de ces gouffres ouverts!

Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore. Sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondemens.

Un jour que le peuple Indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le Pontife et le Roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent, et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents. enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlans qu'ils ont détachés de l'abîme : superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondirà flots étincelans à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond! Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns, tremblans, s'élancent hors du temple; les autres, consternés, embrassent l'autel de leur Dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur

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