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Platon et des Pythagore, armés de faucilles d'or et portant un sceptre surmonté du croissant des prêtres de l'antique Héliopolis; c'est là que ces terribles semnotées, le front ceint de feuilles de chêne et des bandeaux étoilés, emblème de l'apothéose, viennent chercher avec des cérémonies mystérieuses le gui sacré, que nos ancêtres appelèrent long-temps le rameau des spectres, l'épouvantail de la mort, et le vainqueur des poisons.

C'est là qu'attentif à leur signal, le sacrificateur immole les captifs en l'honneur d'Esus et de Teutatès; c'est qu'il brûle au milieu de la nuit les figures d'osier renfermant des victimes humaines; le sang rougit tous les autels et arrose le sol sur lequel les racines tortueuses des vieux arbres représentent d'énormes serpens.

Le Gaulois, soumis par la terreur à ce culte formidable, craint de rencontrer les Dieux qu'il vient adorer dans ces vastes solitudes; il y pénètre les bras chargés de chaînes comme un esclave, afin de s'humilier encore plus devant ces divinités; il s'avance en tremblant, il frémit au seul bruit de ses pas. Effrayé de ce silence menaçant, son cœur bat avec force, sa vue se trouble, une sueur froide coule de tous ses membres; s'il tombe, ses dieux lui défendent de se relever; il se traîne hors de l'enceinte, il rampe comme un reptile parmi les bruyères sanglantes et les ossemens des victimes.

Souvent du milieu de ces forêts lugubres, où l'on n'entendit jamais ni le vol des oiseaux ni le souffle des vents, de ces forêts muettes et dévorantes, où coulait sans murmure une onde infecte, sortaient tout à coup des hurlemens affreux, des cris perçans, des voix inconnues, et soudain à l'horreur du tumulte succédait l'horreur du silence.

D'autres fois, de ces solitudes impénétrables la nuit fuyait tout à coup, et, sans se consumer, les arbres devenaient autant de flambeaux dont les lueurs laissaient apercevoir des dragons ailés, de hideux scorpions, des

cérastes impurs s'entrelacer, se suspendre aux rameaux éblouissans; des larves, des fantômes montraient leurs ombres sur un fond de lumière, comme des taches sur le soleil; mais bientôt tout s'éteignait, et une obscurité plus terrible ressaisissait la forêt mystérieuse.

DE MARCHANGY. La Gaule Poétique.

Le Spectacle d'une belle Nuit dans les Déserts
du Nouveau-Monde.

UNE heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée, qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monta peu à peu dans le ciel : tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée, tantôt elle reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écume, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène, sur la terre, n'était pas moins ravissante; le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là dans la savane, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout

était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissemens rares et interrompus de la hulotte; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulemens solennels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans des langues humaines; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes; mais, dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

Les Nuages.

LORSQUE j'étais en pleine mer, et que je n'avais d'autre spectacle que le ciel et l'eau, je m'amusais quelquefois à dessiner les beaux nuages blancs et gris, semblables à des groupes de montagnes, qui voguaient à la suite les uns des autres sur l'azur des cieux. C'était surtout vers la fin du jour qu'ils développaient toute leur beauté en se réunissant au couchant, où ils se revêtaient des plus riches couleurs et se combinaient sous les formes les plus magnifiques.

Un soir, environ une demi-heure avant le coucher du soleil, le vent alizé du sud-est se ralentit, comme il arrive d'ordinaire vers ce temps. Les nuages, qu'il voiture dans le ciel à des distances égales comme son souffle, devinrent plus rares, et ceux de la partie de l'ouest l'arrêtèrent et se groupèrent entre eux sous les formes d'un

du

paysage. Ils représentaient une grande terre formée de hautes montagnes, séparées par des vallées profondes, et surmontées de rochers pyramidaux. Sur leurs sommets et leurs flancs apparaissaient des brouillards détachés, semblables à ceux qui s'élèvent des terres véritables. Un long fleuve semblait circuler dans leurs vallons et tomber çà et là en cataractes; il était traversé par un grand pont, appuyé sur des arcades à demi ruinées. Des bosquets de cocotiers, au centre desquels on entrevoyait des habitations, s'élevaient sur les croupes et les profils de cette île aérienne. Tous ces objets n'étaient point revêtus de ces riches teintes de pourpre, de jaune doré, de nacarat, d'émeraudes, si communes le soir dans les couchans de ces parages; ce paysage n'était point un tableau colorié : c'était une simple estampe, où se réunissaient tous les accords de la lumière et des ombres. Il représentait une contrée éclairée, non en face des rayons soleil, mais, par derrière, de leurs simples reflets. En effet, dès que l'astre du jour se fut caché derrière lui, quelques uns de ces rayons décomposés éclairèrent les arcades demi-transparentes du pont d'une couleur ponceau, se reflétèrent dans les vallons. et au sommet des rochers, tandis que des torrens de lumière couvraient ses contours de l'or le plus pur, et divergeaient vers les cieux comme les rayons d'une gloire ; mais la masse entière resta dans sa demi-teinte obscure, et on voyait autour des nuages qui s'élevaient de ses flancs, les lueurs des tonnerres dont on entendait les roulemens lointains. On aurait juré que c'était une terre véritable, située environ à une lieue et demie de nous. Peut-être était-ce une de ces réverbérations célestes de quelque île trèséloignée, dont les nuages nous répétaient la forme par leurs reflets, et les tonnerres par leurs échos. Plus d'une fois des marins expérimentés ont été trompés par de semblables aspects. Quoi qu'il en soit, tout cet appareil fantastique de magnificence et de terreur, ces montagnes

surmontées de palmiers, ces orages qui grondaient sur leurs sommets, ce fleuve, ce pont, tout se fondit et disparut à l'arrivée de la nuit, comme les illusions du monde aux approches de la mort. L'astre des nuits, la triple Hécate, qui répète par des harmonies plus douces celles de l'astre du jour, en se levant sur l'horizon, dissipa l'empire de la lumière et fit régner celui des ombres. Bientôt des étoiles innombrables et d'un éclat éternel brillèrent au sein des ténèbres. Oh! si le jour n'est luimême qu'une image de la vie, si les heures rapides de l'aube, du matin, du midi et du soir, représentent les âges si fugitifs de l'enfance, de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse, la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes!

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonics de la Nature, tom. II.

De la Nature dans l'Amérique méridionale.

DANS ces contrées de l'Amérique méridionale, où la nature plus active fait descendre à grands flots, du sommet des hautes Cordilières, des fleuves immenses, dont les eaux, s'étendant en liberté, inondent au loin des campagnes nouvelles, et où la main de l'homme n'a jamais opposé aucun obstacle à leur cours; sur les rives limoneuses de ces fleuves rapides, s'élèvent de vastes et antiques forêts. L'humidité chaude et vivifiante qui les abreuve devient la source intarissable d'une verdure toujours nouvelle pour ces bois touffus, image sans cesse renaissante d'une fécondité sans bornes, et où il semble que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plaît à entasser les germes productifs. Les végétaux ne croissent pas seuls au milieu de ces vastes solitudes; la nature a jeté sur ces grandes productions la variété, le mouvement et la vie. En attendant que l'homme vienne

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