Page images
PDF
EPUB

Même sujet.

CORNEILLE n'a eu devant les yeux aucun auteur qui ait pu le guider; Racine a eu Corneille.

Corneille a trouvé le théâtre Français très-grossier, l'a porté à un haut point de perfection; Racine ne l'a pas soutenu dans la perfection où il l'a trouvé.

Les caractères de Corneille sont vrais, quoiqu'ils ne soient pas communs; les caractères de Racine ne sont vrais que parce qu'ils sont communs.

Quelquefois les caractères de Corneille ont quelque chose de faux, à force d'être nobles et singuliers; souvent ceux de Racine ont quelque chose de bas, à force d'être naturels.

Quand on a le cœur noble, on voudrait ressembler aux héros de Corneille; et, quand on a le cœur petit, on est bien aise que les héros de Racine nous ressemblent.

On rapporte des pièces de l'un, le désir d'être vertueux; et des pièces de l'autre, le plaisir d'avoir des semblables dans ses faiblesses.

Le tendre et le gracieux de Racine se trouvent quelquefois dans Corneille; le grand de Corneille ne se trouve jamais dans Racine.

Racine n'a presque jamais peint que des Français, et que le siècle présent, même quand il a voulu peindre un autre siècle et d'autres nations; on voit dans Corneille toutes les nations et tous les siècles qu'il a voulu peindre. Le nombre des pièces de Corneille est beaucoup plus grand que celui des pièces de Racine, et cependant Corneille s'est beaucoup moins répété lui-même que Kacine n'a fait.

Dans les endroits où la versification de Corneille est belle, elle est plus hardie, plus noble, plus forte, et en même temps aussi nette que celle de Racine; mais elle ne se soutient pas dans ce degré de beauté, et celle de Racine se soutient toujours dans le sien.

Des auteurs inférieurs à Racine ont réussi après lui dans son genre: aucun auteur, même Racine, n'a osé toucher, après Corneille, au genre qui lui était particulier. FONTENELLE, neveu de Corneille.

Même sujet.

CORNEILLE dut avoir pour lui la voix de son siècle dont il était le créateur; Racine doit avoir celle de la postérité dont il est à jamais le modèle. Les ouvrages de l'un ont dù perdre beaucoup avec le temps, sans que sa gloire personnelle doive en souffrir, le mérite des ouvrages du second doit croitre et sagrandir dans les siècles avec sa renommée et nos lumières.

Peut-être les uns et les autres ne doivent point être mis dans la balance; un mélange de beautés et de défauts ne peut entrer en comparaison avec des productions achevées qui réunissent tous les genres de beautés dans le plus éminent degré, sans autres défauts que ces taches légères qui avertissent que l'auteur était homme.

Quant au mérite personnel, la différence des époques peut le rapprocher malgré la différence des ouvrages; et si l'imagination veut s'amuser à chercher des titres de préférence pour l'un ou pour l'autre, que l'on examine lequel vaut le mieux d'avoir été le premier génie qui ait brillé après la longue nuit des siècles barbares, ou d'avoir été le plus beau génie du siècle le plus éclairé de tous les siècles.

Le dirai-je ? Corneille me paraît ressembler à ces Titans audacieux qui tombent sous les montagnes qu'ils ont entassées : Racine me paraît le véritable Prométhée qui a ravi le feu des cieux (1).

LA HARPE. Eloge de Racine,

(1) Voyez les Leçons Latines modernes.

Quinault.

On ne peut trop aimer la douceur, la mollesse, la faci lité et l'harmonie tendre et touchante de la poésie de Quinault. On peut même estimer beaucoup l'art de quelques uns de ses opéras, intéressans par le spectacle dont ils sont remplis, par l'invention ou la disposition des faits qui les composent, par le merveilleux qui y règne, et enfin parle pathétique des situations, qui donne lieu à celui de la musique, et qui l'augmente nécessairement. Ni la grâce ni la noblesse n'ont manqué à l'auteur de ces poëmes singuliers.

y a presque toujours de la naïveté dans le dialogue, et quelquefois du sentiment. Ses vers sont semés d'images charmantes et de pensées ingénieuses. On admirerait trop les fleurs dont il se pare, s'il eût évité les défauts qui font languir quelquefois ses beaux ouvrages. Je n'aime pas les familiarités qu'il a introduites dans ses tragédies je suis fâché qu'on trouve dans beaucoup de scènes, qui sont faites pour inspirer la terreur et la pitié, les personnages qui, par le contraste de leurs discours avec les intérêts des malheureux, rendent ces mêmes scènes ridicules, et en détruisent tout le pathétique. Je ne puis m'empêcher encore de trouver ses meilleurs opéras trop vides de choses, trop négligés dans les détails, trop fades même dans bien des endroits.. Enfin je pense qu'on a dit de lui, avec vérité, qu'il n'avait fait qu'effleurer d'ordinaire les passions.... Les beautés que Quinault a imaginées demandent grâce pour ses défauts; mais j'avoue que je voudrais bien qu'on se dispensât de copier jusqu'à ses défauts. Je suis fâché qu'on désespère de mettre plus de passion, plus de conduite, plus de raison et plus de force dans nos opéras, que leur inventeur n'y en a mis. J'aimerais qu'on en retranchât le nombre excessif de refrains qui s'y rencontrent, qu'on ne refroidit les tra gédies par des puérilités, et qu'on ne fit pas des paroles

pas

pour le musicien, entièrement vides de sens. Les divers morceaux qu'on admire dans Quinault prouvent qu'il y a peu de beautés incompatibles avec la musique, et que c'est la faiblesse des poëtes, non celle du genre, qui fait languir tant d'opéras faits à la hâte, et aussi mal écrits qu'ils sont frivoles.

La Fontaine.

VAUVENARGUes.

Il est donc aussi des honneurs publics pour l'homme simple et le talent aimable! Ainsi donc la postérité, plus promptement frappée en tout genre de ce qui se présente à ses yeux avec un éclat imposant, occupée d'abord de célébrer ceux qui ont produit des révolutions mémorables dans l'esprit humain, ou qui ont régné sur les peuples par les puissantes illusions du théâtre, la postérité a tourné ses regards sur un homme qui, sans avoir à lui offrir des titres aussi magnifiques ni d'aussi grands monumens, ne méritait pas moins ses attentions et ses hommages; sur un écrivain original et enchanteur, le premier de tous dans un genre d'ouvrage plus fait pour être goûté avec délices, que pour être admiré avec transport; à qui nul n'a ressemblé dans le talent de raconter; que nul n'égala jamais dans l'art de donner des grâces à la raison et de la gaieté au bon sens ; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence; sur un homme modeste qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre, comme il vivait avec sagesse en se livrant dans ses écrits à toute la liberté de l'enjouement; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et qui obtint plus de renommée que de récompenses; homme d'une simplicité rare, qui sans doute ne pouvait pas ignorer son génie, mais ne l'appréciait pas; et qui même, s'il pouvait être témoin des honneurs qu'on lui rend aujour

d'hui, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite (1).

LA HARPE. Eloge de La Fontaine.

Molière et La Fontaine.

MOLIÈRE, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique, donne à la comédie la moralité de l'apologue. La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une des grandes beautés de la comédie, les caractères. Doués tous les deux au plus haut degré du génie d'observation, génie dirigé dans l'un par une raison supérieure, guidé dans l'autre par un instinct non moins précieux, ils descendent dans le plus profond de nos travers et de nos faiblesses; mais chacun, selon la double différence de son genre et de son caractère, les exprime différemment.

Le pinceau de Molière doit être plus énergique et plus ferme, celui de La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacité qui suppose la science des grands traits. Le poëte comique semble s'être plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passagères de la société. Le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et a peint une nature encore plus générale. Le premier me fait plus rire de mon voisin ; le second me ramène plus à moi-même. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui; celui-là me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un défaut de bienséance choquant pour la société; l'autre avoir vu les vices comme un défaut de raison fâcheux pour nous-mêmes. Après la lecture du

(1) Voyez en vers, et les Leçons Latines modernes, t. 1.

« PreviousContinue »