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ne sache souvent, après les avoir lus, auquel de ces sermons il faut donner la préférence; c'est cette sûreté et cette opulence de doctrine qui font de chacune de ses instructions un traité savant et oratoire de la matière dont elles sont l'objet ; c'est la simplicité d'un style nerveux et touchant, naturel et noble, lumineux et concis, où rien ne brille que par l'éclat de là pensée, où règne toujours le goût le plus sévère et le plus pur, et où l'on n'aperçoit jamais aucune expression ni emphatique ni rampante; c'est cette pénétrante sagacité qui creuse, approfondit, féconde, épuise chaque sujet; c'est cette compréhension vaste et profonde qu'il ne partage qu'avec saint Augustin et Bossuet, pour saisir dans l'Evangile, et y embrasser d'un coup d'œil, les lois, l'ensemble, l'esprit et tous les rapports de la morale chrétienne; c'est la série de ses tableaux, de ses preuves, de ses mouvemens, la connaissance la plus étendue et la plus exacte de la Religion, l'usage imposant qu'il fait de l'Ecriture, l'à-propos des citations non moins frappantes que naturelles qu'il emprunte des Pères de l'Eglise, et dont il tire un parti plus neuf, plus concluant, plus heureux, que n'a jamais fait aucun autre orateur chrétien.

Enfin, je ne puis lire les ouvrages de ce grand homme, sans me dire à moi-même, en y désirant quelquefois, j'oserai l'avouer avec respect, plus d'élan à sa sensibilité, plus d'ardeur à son génie, plus de ce feu sacré qui embrasait l'âme de Bossuet, surtout plus d'éclat et de souplesse à son imagination : voilà donc, si l'on y ajoute ce beau idéal, jusqu'où le génie de la chaire peut s'élever, quand il est fécondé et soutenu par un travail immense (1)! Le Cardinal MAURY. Essai sur l'Eloquence.

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. I.

Massillon.

IL excelle dans la partie de l'orateur, qui seule peut tenir lieu de toutes les autres, dans cette éloquence qui va droit à l'âme, mais qui l'agite sans la renverser, qui la consterne sans la flétrir, et qui la pénètre sans la déchirer. Il va chercher au fond du cœur ces replis cachés où les passions s'enveloppent, ces sophismes secrets dont elles savent si bien s'aider pour nous aveugler et nous séduire. Pour combattre et détruire ces söphismes, il lui suffit presque de les développer avec une onction si affectueuse et si tendre, qu'il subjugue moins qu'il n'entraîne; et qu'en nous offrant même la peinture de nos vices, il sait encore nous attacher et nous plaire.

Sa diction, toujours facile, élégante et pure, est partout de cette simplicité noble, sans laquelle il n'y a ni bon goût ni véritable éloquence; simplicité qui, réunie dans Massillon à l'harmonie la plus séduisante et la plus douce, en emprunte encore des grâces nouvelles; et, ce qui met le comble au charme que fait éprouver ce style enchanteur, on sent que tant de beautés ont coulé de source, et n'ont rien coûté à celui qui les a produites. Il lui échappe même quelquefois, soit dans les expressions, soit dans les tours, soit dans la mélodie si touchante de son style, des négligences qu'on peut appeler heureuses, parce qu'elles achèvent de faire disparaitre non seulement l'empreinte, mais jusqu'au soupçon du travail. C'est par cet abandon de lui-même que Massillon se faisait autant d'amis que d'auditeurs; il savait que plus un orateur paraît occupé d'enlever l'admiration, moins ceux qui l'écoutent sont disposés à l'accorder, et que cette ambition est l'écueil de tant de prédicateurs qui, chargés, si on se peut exprimer ainsi, des intérêts de Dieu même, veulent y mêler les intérêts si minces de leur vanité.

D'ALEMBERT. Eloge de Massillon.

Pascal.

CET homme extraordinaire, qui remplit une vie si courte de tant de prodiges, sans parler de sa gloire dans les sciences, sans répéter l'éloge de ce chef-d'œuvre des Provinciales pour qui la frivolité du sujet n'a point affaibli l'admiration, n'a-t-il pas marqué toute sa force dans les pages détachées de l'ouvrage qu'il préparait, et dont Pope a su recueillir les grands traits épars?

Où se retrouve, où se retrouvera jamais le secret de ce style qui, rapide comme la pensée, nous la montre si naturelle et si vivante, qu'il semble former avec elle un tout indestructible et nécessaire? L'expression de Pascal est à la fois audacieuse et simple, pleine et précise, sublime et naïve. Ne semble-t-il pas choisir à dessein les termes les plus familiers, bien sûr de les élever jusqu'à lui, et de leur imprimer toute la majesté de son génie?

Quel est ce raisonnement vigoureux qui poursuit une idée jusque dans ses derniers résultats, et ne l'abandonne qu'après l'avoir forcée de donner tout ce qu'elle contient? On conçoit l'éloquence de Bossuet, empruntant à la poésie de riches images, et ce ton de l'homme inspiré qui, placé entre le ciel et la terre, veut émouvoir un grand peuple. Quelques orateurs ont osé suivre de loin, imiter Bossuet: qui tentera d'imiter Pascal? Son style ne ressemble à celui d'aucun écrivain ancien ou moderne ; et, chose étonnante! il est peut-être le seul génie original que le goût n'ait presque jamais le droit de reprendre; non qu'il semble chercher la correction et la pureté, mais ses idées lui obéissent si bien, qu'elles se manifestent nécessairement sous les formes qui leur conviennent le mieux.

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DE FONTANES. Discours préliminaire de la traduction de l'Essai sur l'Homme.

Même sujet.

IL y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'antiquité; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine de naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant, et tourna toutes ses pensées vers la Religion; qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, arrivée dans sa trente-neu- . vième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue qu'ont parlée Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort; enfin qui, dans le court intervalle de ses maux, résolut, en se privant de tous les secours, un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta au hasard sur le papier des pensées qui tiennent autant de Dieu que de l'homme. Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme, tom. III.

Boileau Despréaux.

QUAND il parut, la poésie retrouva ce style qu'elle avait perdu depuis les beaux jours de Rome; ce style toujours clair, toujours exact, qui n'exagère ni n'affaiblit, n'omet rien de nécessaire, n'ajoute rien de superflu, va droit à l'effet qu'il veut produire, ne s'embellit que d'ornemens accessoires puisés dans le sujet, sacrifie l'éclat à la véritable richesse, joint l'art au naturel, et le travail à la faci

lité ; qui, pour plaire toujours davantage, s'allie toujours de plus près au bon sens, et s'occupe moins de surprendre les applaudissemens que de les justifier; qui fait sentir enfin, et prouve à chaque instant, cet axiome éternel : Rien n'est beau que le vrai.

La réunion de ces qualités si rares prouve que Despréaux avait plus d'étendue dans l'esprit que ne l'ont cru des juges sévères. On s'est plaint de ne point trouver dans ses écrits l'expression du sentiment; mais était-elle nécessaire aux genres qu'il a choisis? Il mérite de nouveaux éloges pour s'être renfermé dans les bornes de son talent; tant de bons écrivains ont eu la faiblesse d'en sortir! Il emploie toujours le degré de verve nécessaire à son sujet. Pourquoi done l'a-t-on accusé de froideur? Les jeunes gens qui aiment l'exagération, lui ont fait souvent ce reproche. Plusieurs ont à expier des jugemens précipités sur ce législateur du goût heureux ceux qui se désabusent de bonne heure! Despréaux n'a pas sans doute la philosophie de Pope, qu'il égale au moins par le style. On ne peut guère exiger qu'il s'élevât au-dessus des idées de son siècle ; les siennes ne sont point inférieures à celles des moralistes ses contemporains, si l'on excepte La Fontaine et Molière. Combien de vers des épîtres à Lamoignon, à Guilleragues, à Seignelay, sont devenus proverbes, et se répètent tous les jours! Il faut bien qu'ils n'expriment pas des idées triviales. L'épître au grand Arnaud n'a-t-elle pas un but très-moral, malgré les réflexions critiques d'un littérateur très-distingué (1)? Pour se convaincre de l'utilité de ce sujet, qu'on ouvre les Confessions de Jean-Jacques Rousseau toutes les fautes dont il s'accuse naissent de la mauvaise honte. Que d'hommes trouveraient le même résultat, en interrogeant leur conduite! Cependant il faut avouer que Despréaux n'a pas traité les sujets de morale avec la même profondeur que le poëte anglais. Il avait moins d'élé

(1) Marmontel.

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