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oratoires l'éloge mémorable que faisait Quintilien du Jupiter de Phidias, lorsqu'il disait que cette statue avait ajouté à la religion des peuples (1).

Le Cardinal MAURY. Essai sur l'Eloquence.

Bossuet Historien.

C'EST dans le Discours sur l'Histoire universelle que l'on peut admirer l'influence du génie du Christianisme sur le génie de l'Histoire. Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l'Evêque de Meaux a de plus une parole grave et un tour sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans l'admirable début du livre des Machabées.

Bossuet est plus qu'un historien; c'est un Père de l'Eglise, c'est un prêtre inspiré, qui souvent a le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre ! il est en mille lieux à la fois patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la Cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la lọi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et Juifs et Gentils au tombeau; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations; et, marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre, et les débris du genre humain.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. Į.

Bossuet Historien et Orateur.

LE Discours sur l'Histoire universelle, composé pour l'éducation du Dauphin, avait paru à la fin de cette éducation, en 1681, et l'auteur de la Politique de l'Ecriture Sainte, du Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, de l'Exposition de la Doctrine catholique, de l'Histoire des Variations, et de tant d'autres ouvrages marqués du cachet de sa supériorité, semblait s'être surpassé lui-même dans ce grand chef-d'œuvre, où il se montre à la fois annaliste savant et exact, théologien du premier ordre, politique profond, écrivain d'une éloquence au-dessus de tout éloge. Quelle vive et pittoresque rapidité dans la première partie de ce livre! Quel prodigieux enchaînement de tout le système religieux dans la seconde ! Quelle haute intelligence des choses humaines dans la troisième! Et comme partout l'énergie et l'originalité de l'expression répondent à la force des pensées! comme les créations du style sont d'accord avec la vigueur des conceptions! On sent que l'auteur possédait et dominait tout l'ensemble de son sujet, avant de prendre la plume pour en fixer et en exposer les détails : c'est la marque et le procédé du vrai génie ; aussi le ivre semble-t-il être sorti tout entier, pour ainsi dire, de la tête de l'écrivain, par l'activité continue d'une seule et même inspiration, comme les poëtes, dans une allégorie moins noble peut-être qu'ingénieuse et sensée, nous peignent la sagesse s'élançant toute complète du cerveau de Jupiter.

Telles paraissent également les Oraisons funèbres : depuis la première ligne de l'exorde jusqu'à la dernière de la péroraison, l'orateur, dans chacune de ces compositions, est comme emporté par un enthousiasme non interrompu, qui exclut au premier coup d'œil toute idée d'art, d'arrangement, de préméditation; son sujet le tourmente, et l'échauffe, et l'entraine; il ne lui permet pas de prendre I. - 24. 43

haleine. C'est beaucoup pour les autres orateurs d'obtenir, dans la durée d'un discours, quelques momens d'une heureuse inspiration; ce n'est rien pour Bossuet: les élans de sa verve oratoire semblent naître les uns des autres; tout est mouvement, tout est chaleur, tout est vie; et dans les instans où redouble son ardeur, où cet aigle déploie ses ailes avec plus d'audace, les limites de l'éloquence proprement dite deviennent pour lui trop étroites: il les franchit; il entre dans la sphère de la poésie; il monte jusqu'aux régions les plus élevées de cette sphère; il s'y soutient au niveau des poëtes les plus audacieux ; ce n'est plus le rival de Démosthène, c'est celui de Pindare. Quelques endroits de ses Oraisons funèbres sont vraiment des morceaux lyriques. Le don de l'inspiration, on peut l'affirmer, ne fut accordé à aucun orateur aussi pleinement qu'à Bossuet; et quand on songe que son enthousiasme, dans des ouvrages d'une assez grande étendue, ne connaît ni langueur ni repos, on est frappé de ce privilége extraor dinaire comme d'un de ces phénomènes qui étonnent la nature et qui déconcertent ses lois.

On chercherait vainement à saisir et à développer toutes les causes de ce prodige. Elles resteront pour la plupart éternellement cachées dans les profondeurs du génie; mais on peut en apercevoir quelques unes: c'est l'abondance de ses idées qui produit dans Bossuet l'abondance de ses mouvemens et la riche variété de ses expressions. Ses Oraisons funèbres ne sont pas seulement des discours théologiques et religieux : les plus grandes vues de la politique s'y mêlent aux instructions du christianisme; on y reconnait toujours l'auteur du Discours sur l'Histoire universelle. Bossuet n'était pas seulement un Père de l'Eglise ; ce titre, qui lui fut décerné par un de ses plus illustres contemporains, dans la solennité d'une séance publique de l'Académie Française, ne le représente pas tout entier. Cet esprit vaste et perçant, qui embrassait toute la théorie de la religion chrétienne, et qui en sondait tous les

abîmes, avait aussi pénétré dans tous les mystères du gouvernement des Etats. Voyez de quels traits, de quelles couleurs il peint les personnages qui se sont montrés avec éclat dans l'administration des Empires, ou dans les factions, les cabales, et les troubles civils. La religion et la politique sont les deux grands pivots sur lesquels roulent principalement toutes les choses humaines : ce sont les deux intérêts qui touchent le plus puissamment les hommes; et ces deux intérêts, étroitement rapprochés entre eux, et se fortifiant en quelque façon l'un par l'autre, sont les ressorts toujours agissans de l'éloquence de Bossuet : ils animent sans cesse ses discours; sans cesse ils lui fournissent des considérations contrastées qui répondent à toutes les oppositions du cœur, et qui sont bien supérieures à ces antithèses de l'art, propres uniquement à flatter l'esprit ou à séduire l'oreille. Marchant à grands pas, comme l'exprime saint Chrysostome, sur les hauteurs de la religion, tantôt il lève ses regards vers le ciel, tantôt il les reporte et les rabaisse vers la terre; il semble tantôt converser avec les puissances célestes, tantôt interroger les destinées du monde visible; tout à la fois prophète, père de l'Eglise, grand politique, historien sublime: Bossuet est un des hommes qui ont le mieux compris tout ensemble et les affaires humaines et les choses divines, et le christianisme et la politique; cette double science est sans contredit une des sources de cette éloquence singulière, qui le caractérise et qui se place hors de toute comparaison, comme elle s'élève au-dessus de toute rivalité.、

L'inspiration perpétuelle qui l'agite et qui semble le troubler, cet enthousiasme qui se communique au lecteur, et qui l'enivre lui-même, a pu faire croire que la marche oratoire de Bossuet était beaucoup plus impétueuse que régulière, et qu'il a mis dans ses discours moins de méthode que de génie, Sa méthode en effet est peu sensible, mais elle n'en est pas moins réelle...

Les plans de Bossuet, dans ses Oraisons funèbres, sont simples aussi bien que ses textes; mais si l'on veut y faire attention, on reconnaîtra qu'il les suit avec scrupule, qu'il en remplit toutes les divisions, qu'il en creuse également toutes les parties, et que jamais, dans les mouvemens les plus inattendus de son essor, il ne perd de vue la "route qu'il s'est tracée. Cette espèce de découverte est même une satisfaction tranquille que la lecture réfléchie de ses chefsd'œuvre ajoute au ravissement qu'ils causent d'abord, et au charme tumultueux des premières impressions. On aime à voir que, dans cette tourmente du génie, il est toujours sûr de sa marche, il reste toujours maître de lui-même. L'idée de sa puissance s'en accroît, et il semble que l'ascendant qu'il exerce en soit plus légitime et plus doux.

Quelques amateurs du fini, qui le confondent avec la perfection, parce que ces deux mots, au premier coup d'œil, présentent à peu près la même idée, voudraient faire à Bossuet un reproche sérieux de plusieurs défauts qu'ils remarquent dans son élocution; mais le concevrait-on avec une élégance plus soutenue, avec une correction plus sévère, avec une harmonie plus scrupuleuse? Tout ce qui paraîtrait appartenir plus particulièrement à l'art, ne semblerait-il pas en quelque sorte pris sur son génie? où serait cet air d'improvisation, d'inspiration soudaine qui lui est propre, et qu'on retrouve toujours avec tant de plaisir dans ses ouvrages même les plus travaillés ?

La médiocrité soigneuse peut atteindre au fini; mais elle est toujours loin de la perfection; le génie, même avec des fautes, peut en être voisin, parce qu'il réunit un plus grand nombre des conditions qui la constituent; à peine s'apercoit-on de ce qui manque à Bossuet; on n'est frappé que des beautés extraordinaires qui de toutes parts éclatent dans ses compositions, et ce que son style peut quelquefois offrir de défectueux semble même concourir à l'effet et à l'illusion oratoire : ce sont les choses qui occupent cet esprit grave, sublime, et dominateur; le soin minutieux des

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