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leur injustice, pleurant son ancien Roi, fidèle au nouestimé et haï de Richelieu, ayant survécu à tout, excepté à la vertu. Elle descendit avec lui dans sa tombe. La mort termina une carrière de quatre-vingt-deux ans, dont cinquante furent employés pour le bonheur de l'Etat, et le reste aurait pu l'être.

THOMAS. Eloge de Sully.

Modestie de Turenne.

Qui fit jamais de si grandes choses? qui les dit avec plus de retenue? Remportait-il quelque avantage, à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile, mais l'ennemi s'était trompé. Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée. Racontait-il quelques unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre, on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait, ou la renommée. Revenait-il de ces glorieuses campagnes qui rendront son nom immortel, il fuyait les acclamations populaires, il rougissait de ses victoires, il venait recevoir des éloges, comme on vient faire des apologies, et n'osait presque aborder le Roi, parce qu'il était obligé, par respect, de souffrir, patiemment les louanges dont Sa Majesté ne manquait jamais de l'honorer.

C'est alors que, dans le doux repos d'une condition privée, ce Prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il avait acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, s'exerçait sans bruit aux vertus civiles: sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre; il marche sans suite et sans équipage, mais chacun, dans son esprit, le met sur un char de triomphe.

On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité; et, moins il est superbe, plus il devient vénérable.

FLÉCHIER. Oraison funèbre de Turenne.

Même sujet.

IL revenait de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n'en était occupé. En vain, dans les assemblées, ceux qui avaient l'honneur de le connaître le montraient des yeux, du geste et de la voix à ceux qui ne le connaissaient pas; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisait sur les âmes une impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroïque : toutes ces choses si propres à faire rentrer un homme en luimême par une vanité raffinée, ou à le faire répandre au dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéraient en aucune manière la situation tranquille de son âme, et il ne tenait pas à lui qu'on n'oubliât ses victoires et ses triomphes.

MASCARON. Oraison funèbre de Turenne.

Règne de Louis XIV.

UN Roi plein d'ardeur et d'espérance saisit lui-même ce sceptre qui, depuis Henri-le-Grand, n'avait été soutenu que par des favoris et des ministres. Son âme, que l'on croyait subjuguée par la mollesse et les plaisirs, se

déploie, s'affermit et s'éclaire, à mesure qu'il a besoin de régner. Il se montre vaillant, laborieux, ami de la justice et de la gloire. Quelque chose de généreux se mêle aux premiers calculs de sa politique. Il envoie des Français défendre la Chrétienté contre les Turcs, en Allemagne et dans l'île de Crète : il est protecteur avant d'être conquérant; et, lorsque l'ambition l'entraîne à la guerre, ses armes heureuses et rapides paraissent justes à la France éblouie. La pompe des fêtes se mêle aux travaux de la guerre, les jeux du Carrousel aux assauts de Valenciennes et de Lille. Cette altière noblesse, qui fournissait des chefs aux factions, et que Richelieu ne savait dompter que par les échafauds, est séduite par les paroles de Louis, et récompensée par les périls qu'il lui accorde à ses côtés. La Flandre est conquise; l'Océan et la Méditerranée sont réunis; de vastes ports sont creusés; une enceinte de forteresses environne la France; les colonnades du Louvre s'élèvent; les jardins de Versailles se dessinent; l'industrie des Pays-Bas et de la Hollande se voit surpassée par les ateliers nouveaux de la France; une émulation de travail, d'éclat, de grandeur, est partout répandue, un langage sublime et nouveau célèbre toutes ces merveilles et les agrandit pour l'avenir. Les Epîtres de Boileau sont datées des conquêtes de Louis XIV; Racine porte sur la scène les faiblesses et l'élégance de la Cour; Molière doit à la puissance du trône la liberté de son génie; La Fontaine lui-même s'aperçoit des grandes actions du jeune Roi, et devient flatteur. Voilà le brillant tableau qu'offrent les vingt premières années de ce règne mémorable.

VILLEMAIN. Discours d'ouverture, novembre 1824.

Mort du Maréchal de Saxe.

CE grand homme, cher à la nation, craint de nos ennemis et respecté des siens (car plus il fut grand, plus il dut en avoir), espérait' jouir de sa gloire dans le sein du repos, et la France l'espérait avec lui. On n'approchait de sa retraite de Chambord qu'avec ce respect qu'inspire le séjour des héros. Son palais était regardé comme le temple de la valeur et le sanctuaire des vertus guerrières. Mais ô faiblesse! ô néant! Il semble que Maurice ne devait exister que pour faire de grandes choses. Dès qu'il a cessé de vaincre, il disparaît. 11 meurt; et celui qui avait été élu souverain par un peuple libre, qui avait été comblé de tant d'honneurs, qui avait gagné tant de batailles, qui avait pris ou défendu tant de villes, qui avait vengé ou vaincu les Rois, qui était l'amour d'une nation et la terreur de toutes les autres, compare en mourant sa vie à un songe.

Sa mort fut une calamité pour la France, un événement pour l'Europe. Louis s'honora lui-même, en l'honorant de ses regrets. Les courtisans, qui sont si peu sensibles, furent attendris. Le peuple, qui est la partie la plus méprisée et la plus vertueuse de l'Etat, pleura l'appui et le défenseur de la patrie. Mais vous, guerriers qu'il conduisait dans les batailles, vous que tant de fois i a menés à la victoire, quels furent alors vos sentimens? Pour les peindre, je n'aurai pas recours aux vains artifices de l'éloquence, il suffit de rappeler un fait que la postérité doit apprendre, et dont il est utile de conserver le souvenir. Après que le corps de Maurice eut été transporté dans la capitale de l'Alsace, pour y recevoir les honneurs funèbres, deux soldats qui avaient servi sous lui entrent dans le temple où était déposée sa cendre. Ils approchent en silence, le visage triste, l'œil I. - 24.

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en pleurs. Ils s'arrêtent au pied du tombeau, le regardent, l'arrosent de leurs larmes. Alors l'un d'eux tire son épée, l'applique au marbre de la tombe. Saisi du même sentiment, son compagnon imite son exemple. Tous deux ensuite sortent en pleurant, sans se regarder, sans proférer un seul mot. Ils pensaient sans doute, ces guerriers, que le marbre qui touchait aux cendres de Maurice avait le pouvoir de communiquer la valeur et de faire des héros. Vous ne vous trompez pas, dignes soldats de Maurice! Tandis que son ombre, du milieu de l'Alsace qu'elle habite, sèmera encore la terreur chez nos ennemis, et gardera les bords du Rhin, la vue du marbre qui renferme sa cendre élèvera l'âme de tous les Français, leur inspirera le courage, la magnanimité, l'amour généreux de la gloire, le zèle pour le Roi et pour la * patrie.

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THOMAS. Eloge du Maréchal de Saxe.

Les Prisons.

JETEZ les yeux sur ces tristes murailles où la liberté humaine est renfermée et chargée de fers, où quelquefois l'innocence est confondue avec le crime, et où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier : approchez; et si le bruit horrible des fers, si des ténèbres effrayantes, des gémissemens sourds et lointains, en vous glaçant le cœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans ce séjour de la douleur, osez descendre un moment dans ces noirs cachots où la lumière du jour ne pénètre jamais, et sous des traits défigurés contemplez vos semblables, meurtris de leurs fers, à demi couverts de quelques lambeaux, infectés d'un air qui ne se renouvelle jamais, et semble s'imbiber du venin du crime; rongés vivans des mêmes insectes qui dévorent les cadavres dans leurs tombeaux, nourris à peine de quel

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