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montra dans ses écrits plus de force que d'élégance, plus de grandeur que de goût. Ce n'est pas que ce dernier mérite lui soit absolument étranger, il n'exagère jamais les sentimens ou les idées, comme Lucain; il ne tombe point dans l'affectation, comme Ovide: ces défauts, les pires de tous, ne sont point ceux de l'époque où il écrivait; les siens sont plus excusables. Il n'a point connu cet art qui fut celui des écrivains du siècle d'Auguste, cet art difficile d'offrir une succession de beautés variées, de réveiller dans un seul trait un grand nombre d'impressions, el de ne les épuiser jamais en les prolongeant: il ne connut point enfin cette rapidité de style, qui abrège et développe en même temps.

Mais si nous examinons ses beautés, que de formes heureuses, d'expressions créées, lui emprunta l'auteur des Géorgiques! Quoiqu'on retrouve dans plusieurs de ses vers l'âpreté des sons étrusques, ne fait-il pas entendre souvent une harmonie digne de Virgile lui-même ? Peu de poëtes ont réuni à un plus haut degré ces deux forces dont se compose le génie, la méditation qui pénètre jusqu'au fond des sentimens ou des idées dont elle s'enrichit lentement, et cette inspiration qui s'éveille à la présence des grands objets.

En général, on ne connaît guère de son poëme que l'invocation à Vénus, la prosopopée de la nature sur la mort (1), la peinture énergique de l'amour, et celle de la peste. Ces morceaux, qui sont les plus cités, ne peuvent donner une idée de tout son talent. Qu'on lise son cinquième chant sur la formation de la société, et qu'on juge si la poésie offrit jamais un plus riche tableau. M. de Buffon en développe un semblable dans la septième des Epoques de la Nature. Le physicien et le poëte sont dignes d'être comparés: l'un et l'autre remontent au-delà de toutes

(1) Voyez plusieurs de ces morceaux dans les Leçons Latines

anciennes.

les- traditions; et, malgré ces fables universelles dont l'obscurité cache le berceau du monde, ils cherchent l'origine de nos arts, de nos religions et de nos lois : ils écrivent l'histoire du genre humain, avant que la mémoire en ait conservé des monumens: des analogies, des vraisemblances les guident dans ces ténèbres; mais on s'instruit plus en conjecturant avec eux qu'en parcourant les annales des nations. Le Temps, dans ses vicissitudes connues, ne montre point de plus magnifique spectacle que ce temps inconnu dont leur seule imagination a créé tous les événemens (1).

DE FONTANES. Disc. prélim. de la Trad. de l'Essai sur l'Homme.

Horace.

QUOIQU'IL n'ait point écrit de poëme sur la philosophie, il en a tant répandu dans ses odes et dans ses épitres, qu'on ne peut le passer sous silence. Qui mieux que lui, pour me servir de l'expression pittoresque de Montaigne, sut presser la sentence au pied nombreux de la poésie ? Ceux qui ont paru croire que le goût rendait le talent timide, auraient dû se détromper en lisant Horace.

La justesse et l'audace se réunissent dans son expression; et quand l'oreille est remplie de son rhythme harmonieux, l'imagination ébranlée par ses figures hardies, la raison, en décomposant les beautés de ce poëte, prouve qu'elle en a toujours suivi les écarts et gouverné le délire : mais tous les esprits n'aiment pas également la poésie lyrique; quelques uns préfèrent l'élégante familiarité, les grâces faciles, et la philosophie consolante dont Horace a rempli ses belles épitres.

Elles instruisent tous les états; elles hâtent l'expérience

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. II.

de tous les âges: elles apprennent au jeune homine, au vieillard, à jouir sagement de la vie, à se consoler de la સે mort, à réunir la volupté avec la décence, la raison avec la gaieté. L'homme de lettres y trouve les préceptes du goût; l'homme de bien, ceux de la vertu. Elles font rire l'habitant de la ville des travers qu'il a sous les yeux ; elles retracent au solitaire le charme de sa retraite : dans la joie et dans la douleur, dans l'indigence et dans les richesses, elles donnent des plaisirs ou des leçons; elles tiennent lieu d'un ami; et, quand on a le bonheur d'en posséder un, elles font mieux sentir le charme de l'amitié.

Montesquieu a dit que l'esprit de modération était celui de la Monarchie: Horace semble l'avoir senti, et cherche à fixer le caractère inquiet et farouche des républicains dans les jouissances douces d'une vie toujours égale. Sa philosophie consiste à fuir tous les excès; principe égale. ment fécond pour le goût et pour le bonheur (1).

LE MÊME. Ibid.

Ovide.

OVIDE a été un des génies les plus heureusement nés pour la poésie, et son poëme des Métamorphoses est un des plus beaux présens que nous ait faits l'antiquité. C'est dans ce seul ouvrage, il est vrai, qu'il s'est élevé fort audessus de toutes ses autres productions; mais aussi quelle espèce de mérite ne remarque-t-on pas dans les Métamorphoses? Et d'abord quel art prodigieux dans la texture du poëme ! Comment Ovide a-t-il pu de tant d'histoires différentes, le plus souvent étrangères les unes aux autres, former un tout si bien suivi, si bien lié; tenir toujours dans la main le fil imperceptible qui, sans se rompre

(1) Voyez en vers, Caractères ou Portraits; et les Leçons La

tines anciennes.

jamais, vous guide dans ce dédale d'aventures merveilleuses; arranger si bien cette foule d'événemens qui naissent tous les uns des autres; introduire tant de personnages, les uns pour agir, les autres pour raconter; de manière que tout marche et se développe sans interruption, sans embarras, sans désordre, depuis la séparation des élémens qui remplace le chaos, jusqu'à l'apothéose d'Auguste? Ensuite, quelle flexibilité d'imagination et de style pour prendre successivement tous les tons, suivant la nature des sujets, et pour diversifier par l'expression tant de dénoûmens dont le fond est toujours le même, c'est-à-dire un changement de forme? C'est là surtout le plus grand charme de cette lecture; c'est l'étonnante variété de couleurs toujours adaptées à des tableaux toujours divers, toujours nobles et imposans jusqu'à la sublimité; tantôt simples jusqu'à la familiarité; les uns horribles, les autres tendres; ceux-ci effrayans, ceux-là gais, rians et doux.

Toutes ces peintures sont riches, et aucune ne paraît lui coûter. Tour à tour il vous élève, vous attendrit, vous effraie, soit qu'il ouvre le palais du soleil, soit qu'il chante' les plaisirs de l'amour, soit qu'il peigne les fureurs de la jalousie et les horreurs du crime. Il décrit aussi facilement les combats que les voluptés, les héros que les bergers, l'Olympe qu'un bocage, la caverne de l'Envie que la cabane de Philémon. Nous ne savons pas au juste ce que la mythologie lui avait fourni, et ce qu'il a pu y ajouter; mais combien d'histoires charmantes! Que n'a-t-on pas pris dans cette source qui n'est pas encore épuisée ! Tous les théâtres ont mis Ovide à contribution. Je sais qu'on lui reproche, et avec raison, du luxe dans son style, c'est-à-dire trop d'abondance et de parure; mais cette abondance n'est pas celle des mots, qui cache le vide des idées, c'est le superflu d'une richesse réelle. Ses ornemême quand il en a trop, ne laissent voir ni le travail ni l'effort. Enfin l'esprit, la grâce et la facilité,

mens,

trois choses qui ne l'abandonnent jamais, couvrent ses négligences, ses petites recherches, et l'on peut dire de lui, bien plus véritablement que de Sénèque, qu'il plaît même dans ses défauts. LA HARPE.

Virgile et Théocrite.

VIRGILE et Théocrite! quels noms pour tous ceux qui aiment la campagne, la poésie et les anciens! Despréaux a dit que c'étaient les Grâces qui avaient dicté les vers de Théocrite; c'est du moins la nature dans les pays où elle avait le plus de beautés et le plus de grâces; c'est elle qui avait placé ce génie aimable sous ce beau ciel de la Sicile, sur cette terre féconde qui, prodiguant ses richesses à un travail facile, laissait aux hommes simples qui la cultivaient le loisir de sentir les besoins du cœur et les goûts de l'imagination; où le repos et la félicité de la vie champêtre n'étaient point une chimère; où les combats du chant et de la flûte, les amours et les talens des bergers n'étaient point une fiction; où, sur les bords enchantés de l'Aréthuse, dans les champs fertiles de l'Enna, la nature, partout prodigue, n'offrait que des tableaux que le goût aurait choisis; où l'Etna, élevant sa cime et ses volcans au milieu de ces images si fraîches et si riantes, les embellissait encore par le contraste de ses effrayans phénomènes, et répandait sur tout le tableau de cette île je ne sais quoi de merveilleux qui devait en faire le séjour des Muses, et pouvait mériter à l'Etna même la gloire d'être, avec le Parnasse, le mont sacré des arts et du génie. Né dans cette île si poétique, pour ainsi dire au milieu de ces hommes qui, dans la rusticité même de leur état, n'avaient reçu que des sensations sublimes ou gracieuses, Théocrite n'avait pas vu un objet qui ne fût une image heureuse pour ses vers; il n'avait pas entendu un sentiment qui n'eût la naïveté ou le charme de l'idylle; aussi jamais ne décou

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