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CE philosophe avait été, comme Platon, le disciple et l'ami de Socrate; mais l'un se contenta d'éclairer les hommes, et l'autre voulut encore les servir. Il fut à la fois écrivain et homme d'Etat. On sait qu'il commanda les Grecs dans la retraite des Dix-Mille; mais on ne sait pas également que, pour récompense, il fut exilé de son pays. Son caractère avait cette espèce de physionomie antique que nous ne connaissons plus. C'est lui à qui on vint aunoncer, au milieu d'un sacrifice, que son fils venait de mourir. Il avait une couronne de fleurs sur la tête, et il l'ôta. On lui dit qu'il était mort dans une bataille en combattant avec courage; il remit la couronne sur sa tète, et continua d'offrir de l'encens aux Dieux. Tour à tour guerrier et philosophe, il écrivit dans son exil plusieurs ouvrages de politique, de morale et d'histoire. Celui qui avait dans l'âme toute la vigueur d'un Spartiate, eut dans l'esprit toutes les grâces d'un Athénien.

Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages, et qu'on définit si peu ; ce charme qui est nécessaire à l'écrivain comme au statuaire et au peintre, qu'Homère et Anacréon eurent parmi les poëtes grecs, Apelles et Praxitèle parmi les artistes ; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu'on ne trouva presque point ailleurs; que l'Arioste posséda peut-être plus que le Tasse ; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grace que la beauté); dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénelon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se

refusent peut-être, parce qu'ils ne peuvent nous donner ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre ; enfin cettè grâce, ce don si rare, et qu'on ne sent même qu'avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon.

THOMAS. Essai sur les Eloges.

Isocrate.

CET orateur eut la plus grande réputation dans son siècle. Il était digne d'avoir des talens, car il eut des vertus. Très-jeune encore, comme les trente oppresseurs qui régnaient dans sa patrie faisaient trainer au supplice un citoyen vertueux, il osa seul paraitre pour le défendre, et donna l'exemple du courage quand tout donnait l'exemple de l'avilissement. Après la mort de Socrate, dont il avait été le disciple, il osa paraître en deuil dans Athènes, aux yeux de ce même peuple assassin de son maître ; et des hommes, qui parlaient de vertus et de lois en les outrageant, ne manquèrent pas de le nommer séditieux lorsqu'il n'était que sensible.

Ayant perdu des biens considérables, il ouvrit une école, et acquit des richesses immenses. Le fils d'un Roi lui paya soixante mille écus un discours, où il prouvait très-bien qu'il faut obéir au Prince. Mais bientôt après il en composa un autre, où il prouvait au Prince qu'il devait faire le bonheur des sujets. Plusieurs de ses disciples devinrent de grands hommes ; et, comme partout le succès fait le mérite, leur gloire ajouta à la sienne. Il avait eu le malheur d'être l'ami de Philippe, de ce Philippe, le plus adroit des conquérans et le plus politique des Princes aimé de l'oppresseur de son pays, il s'en justifia en mourant; car il ne put survivre à la bataille de Chéronée : voilà pour sa personne.

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A l'égard de son éloquence, si nous en jugeons par la célébrité, il fut du nombre des hommes qui honorèrent leur patrie et la Grèce. Les calomnies de ses rivaux nous attestent sa gloire, car l'envie ne tourmente point ce qui est obscur. Nous savons qu'on venait l'entendre de tous les pays, et il compta parmi ses auditeurs des généraux et des Rois. Aux hommages de la foule, qui flattent d'autant plus qu'ils tiennent toujours un peu de la superstition et de l'enthousiasme d'un culte, il joignit le suffrage de quelques uns de ces hommes qu'on pourrait, au besoin, opposer à un peuple entier. On prétend que Démosthène l'admirait. Il fut loué par Socrate. Platon en fait un magnifique éloge. Cicéron l'appelle le père de l'Eloquence. Quintilien le met au rang des grands écrivains. Denys d'Halicarnasse le vante comme orateur, philosophe et homme d'Etat. Enfin, après sa mort, on lui érigea deux statues, et sur son mausolée on éleva une colonne de quarante pieds, au haut de laquelle était placée une sirène, image et symbole de son éloquence. Il est difficile que, dans les plus beaux temps de la Grèce, on ait rendu ces honneurs à un homme médiocre.

Démosthène.

LE MÊME. Ibid.

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MALGRÉ l'adulation ou l'affirmation de Virgile (1), les gens de lettres n'ont point encore prononcé unanimement entre Cicéron et Démosthène ces deux orateurs sont l'un et l'autre au premier rang, et, dans l'opinion de plusieurs rhéteurs, à peu près sur la même ligne. Cicéron a une prééminence incontestable sur son rival en littérature et en philosophie; mais il ne lui a point arraché le sceptre de l'Eloquence: il le regardait lui-même comme son maître,

(1) Orabunt alii causas meliùs. Enéide, VI.

il le louait avec tout l'enthousiasme de la plus haute admiration. Il traduisait ses ouvrages; et si ces traductions officieuses étaient parvenues jusqu'à nous, il est probable que, lui rendant un service trop généreux, Cicéron se serait mis lui-même pour toujours au-dessous de Démosthène. C'est lui-même qui nous autorise à le croire, par l'éloge le plus accompli que puisse faire d'un orateur T'exaltation du ravissement. C'est lui, c'est Cicéron qui trouve dans Démosthène, non seulement un orateur parfait, mais encore toute la perfection de l'art et le beau idéal du genre oratoire. Rien, dit-il, rien ne manque à Démosthène ; il ne me laisse rien à désirer; il n'a de rivaux dans aucune partie de son art. Il remplit, ajoute-t-il, l'idée que je me suis formée de l'Eloquence, et il atteint le degré de perfection que j'imagine.

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C'est la force irrésistible du raisonnement, c'est l'entraînante rapidité des mouvemens oratoires qui caractérisent l'éloquence de l'orateur athénien il n'écrit que pour donner du nerf, de la chaleur et de la véhémence à ses pensées, qui ne sont que des élans impétueux d'une âme ardente; il parle, non comme un écrivain élégant, mais comme un homme inspiré et passionné que la vérité tourmente, et dans lequel la haine de la tyrannie concentre et exaspère toutes ses facultés ; comme un citoyen accablé ou menacé du plus grand des malheurs, et qui ne peut plus contenir la fougue de son indignation contre les ennemis de sa patrie.

L'audace de son style se compose de l'emploi, de l'âl. jiance, ou de la simplicité hardie et pittoresque de ses expressions; et, s'il ose se montrer familier, il devient sublime; son ascendant est irrésistible, et l'empire toutpuissant de l'évidence sur l'esprit humain est dans sa bouche. Tout cède devant lui à la domination de ses paroles et sa langue conquérante s'enrichit des trésors inépuisables de sa verve et de son imagination. Que seraitce, disait Eschine, son rival, aux jeunes Athéniens qui,

n'ayant pu entendre sa foudroyante harangue sur la Couronne, la déclamaient devant lui avec l'accent et les transports de l'enthousiasme; que serait-ce donc, leur disait-il, si vous eussiez entendu le monstre lui-même ?

C'est l'athlète de la raison; il la défend de toutes les forces de son âme et de son génie; et la tribune où il parle devient une arène. Il subjugue à la fois ses auditeurs, ses adversaires, ses juges; il ne paraît point chercher à vous attendrir : écoutez-le cependant, et vous pleurerez par réflexion. Il accable ses concitoyens de reproches ; mais alors il n'est que le précurseur et l'interprète de leurs remords. Réfute-t-il un argument, il ne discute point, il propose une simple question pour toute réponse, et l'objection ne reparaitra jamais. Veut-il soulever les Athéniens contre Philippe, ce n'est plus un orateur qui parle, c'est un général, c'est un Roi, c'est le prophète de l'his toire, c'est l'ange tutélaire de sa patrie; et, quand il veut semer autour de lui l'épouvante de l'esclavage, on croit entendre retentir au loin, de distance en distance, le bruit des chaines qu'apporte le tyran (1).

Le Cardinal MAURY. Essai sur l'Eloquence.

Lucrèce.

LUGRÈCE, Comme presque tous les athées fameux, naquit dans un siècle d'orages et de malheurs. Témoin des guerres civiles de Marius et de Sylla, n'osant attribuer à des Dieux justes et sages les désordres de sa patrie, il voulut détrôner une Providence qui semblait abandonner le monde aux passions de quelques tyrans ambitieux. Il emprunta sa philosophie aux écoles d'Epicure, et maniant un idiome rebelle qui, né parmi les pâtres du Latium, s'était élevé peu à peu jusqu'à la dignité républicaine, il

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes et modernes, t. I et II.

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