Page images
PDF
EPUB

que lorsque la Philosophie se chargera du soin de les conduire. Ainsi, renonçant à son projet, il résolut d'angmenter ses connaissances, et de les consacrer à notre instruction. Dans cette vue il se rendit à Mégare, en Italie, à Cyrène, en Egypte, partout où l'esprit humain avait fait des progrès.

Il avait environ quarante ans quand il fit le voyage de Sicile pour voir l'Etna. Denys, tyran de Syracuse, désira de l'entretenir. La conversation roula sur le bonheur, sur la justice, sur la véritable grandeur. Platon ayant soutenu que rien n'est si lâche et si malheureux qu'un Prince injuste, Denys en colère lui dit : « Vous parlez comme un radoteur. Et vous comme un tyran », répondit Platon. Cette réponse pensa lui coûter la vie. Denys ne lui permit de s'embarquer sur une galère qui retournait en Grèce qu'après avoir exigé du commandant qu'il le jetterait à la mer, ou qu'il s'en déferait comme d'un vil esclave. Il fut vendu, racheté et ramené dans sa patrie. Quelque temps après, le Roi de Syracuse, incapable de remords, mais jaloux de l'estime des Grecs, lui écrivit; et, l'ayant prié de l'épargner dans ses discours, il n'en reçut que cette réponse méprisante: « Je n'ai pas assez de loisir pour me souvenir de Denys. »

A son retour, Platon se fit un genre de vie dont il ne s'est plus écarté. Il a continué de s'abstenir des affaires publiques, parce que, suivant lui, nous ne pouvons plus être conduits au bien ni par la persuasion ni par la force; mais il a recueilli les lumières éparses dans les contrées qu'il avait parcourues; et, conciliant, autant qu'il est possible, les opinions des philosophes qui l'avaient précédé, il en composa un système qu'il développa dans ses écrits et dans ses conférences. Ses ouvrages sont en forme de dialogue. Socrate en est le principal interlocuteur; et l'on prétend qu'à la faveur de ce nom, il accrédite les idées qu'il a conçues ou adoptées.

Son mérite lui a fait des ennemis : il s'en est attiré lui.

même en versant dans ses écrits une ironie piquante contré plusieurs auteurs célèbres. Il est vrai qu'il la met sur lė compte de Socrate; mais l'adresse avec laquelle il la manie, et différens traits qu'on pourrait citer de lui, prouvent qu'il avait, du moins dans sa jeunesse, assez de penchant à la satire. Cependant ses ennemis ne troublent point le repos qu'entretiennent dans son cœur ses succès ou ses vertus. Il a des vertus en effet; les unes qu'il a reçues de la nature, d'autres qu'il a eu la force d'acquérir. Il était né violent; il est à présent le plus doux et le plus patient des hommes. L'amour de la gloire ou de la célébrité me paraît être sa première, ou plutôt son unique passion; je pense qu'il éprouve cette jalousie dont il est si souvent Fobjet. Difficile et réservé pour ceux qui courent la même carrière que lui, ouvert et facile pour ceux qu'il y conduit lui-même, il a toujours vécu avec les autres disciples de Socrate dans la contrainte ou l'inimitié; avec ses propres disciples, dans la confiance et la familiarité, sans cesse attentif à leurs progrès ainsi qu'à leurs besoins, dirigeant sans faiblesse et sans rigidité leurs penchans vers des objets honnêtes, et les corrigeant par ses exemples plutôt que par ses leçons. De leur côté, ses disciples poussent le respect jusqu'à l'hommage, et l'admiration jusqu'au fanatisme vous en verrez même qui affectent de tenir les épaules hautes et arrondies pour avoir quelque ressemblance avec lui. C'est ainsi qu'en Ethiopie, lorsque le Souverain a quelque défaut de conformation, les courti sans prennent le parti de s'estropier pour lui ressembler. -BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

Hérodote.

GRAND imitateur d'Homère, il adopta la forme épique, en transportant tout d'un coup ses lecteurs au règne de Crésus, et en enchaînant les faits à une action princi

pale, la lutte des Grecs contre les Barbares, dont la défaite de Xerxès est le dénoûment. Cette idée était belle et hardie il l'exécuta avec autant d'habileté que de succès. Géographie, mœurs, usages, religion, histoire des peuples connus, tout fut enchâssé dans cet heureux cadre. Il arracha en quelque sorte le voile qui couvrait l'univers aux yeux des Grecs,. trop prévenus en leur faveur pour chercher à connaître les autres nations. Aux beautés de l'ordonnance, Hérodote joignit les charmes inimitables de la diction et du coloris. Ses tableaux sont animés et pleins de cette douceur qui le distingue éminemment; mais elle a quelquefois une teinte mélancolique que donne le spectacle des calamités humaines.

lui

Ses digressions sont des épisodes toujours variés, plus ou moins attachés au sujet principal, sans lui être jamais étrangères. Que de naïveté, de grâces, de clarté, d'éloquence, et même d'élévation, n'a pas cet écrivain inimitable! enfin il chante plutôt qu'il ne raconte, tant son style a d'harmonie et de ressemblance avec la poésie.

DE SAINTE-CROIX. Examen crit. des Hist. d'Alex.

Thucydide.

LES justes applaudissemens que les Grecs donuièrent à Hérodole avec une sorte d'enthousiasme excitèrent l'émulation de Thucydide. Exilé d'Athènes, sa patrie, il employa vingt années, soit à rassembler les matériaux de son histoire, soit à les rédiger. « Je n'ai pas écrit, dit-il, pour plaire à mes contemporains et remporter le prix sur des rivaux, mais pour laisser un monument à la postérité. » C'est suffisamment annoncer le dessein de s'écarter de la manière de son prédécesseur. Aussi prit-il un sujet beaucoup moins grand, la guerre du Péloponèse, et il s'y borna, malgré son peu d'étendue. Il n'adopta point la forme épique, qui lui parut sans doute avoir trop d'in

convéniens, et il revint à l'ordre chronologique, et s'y attacha tellement, qu'il en résulte quelquefois de l'embarras et de la confusion dans ses récits. Son style, plein de choses, réunit la précision à la justesse, et est toujours austère. Quoiqu'il fût plus jaloux d'instruire que de plaire, il a su néanmoins embellir son ouvrage par des tableaux dignes d'un grand peintre. Ceux de l'état politique de la Grèce, de la peste, etc. sont de véritables chefs-d'œuvre. Plusieurs de ses harangues doivent servir de modèles. Quel coup de pinceau! quelle force! Son âme courageuse, parce qu'elle était élevée, repousse de toutes parts le mensonge, et sacrifie à la vérité son propre ressentiment. Le style d'Hérodote fut la règle du dialecte ionique, et celui de Thucydide devint celle de l'attique. Le premier est recommandable par sa clarté, et le second par sa précision. L'un excelle dans la peinture des mœurs, et l'autre dans le pathétique. Ils ont également de l'élégance et de la majesté. Thucydide a plus de force et d'énergie; ses couleurs sont plus fortes et plus variées. Hérodote l'emporte de beaucoup par les grâces et la simplicité naïve de son style. Il plait et persuade davantage. Avec des qualités différentes, ces deux historiens méritent le premier rang, chacun dans son genre, et sont préférables à tous les autres. Mais une gloire particulière, qu'on ne peut ravir à Thucydide, est d'avoir, pour ainsi dire, créé l'éloquence attique, et formé le plus grand des orateurs (1).

LE MÊME. Ibid.

Xénophon.

LE sage Xénophon publia et continua l'ouvrage de Thucydide, sans prendre sa manière. Celle d'Hérodote était

(1) Lucien rapporte que Démosthène copia huit fois de sa main l'ouvrage de Thucydide.

plus conforme à son caractère, et moins éloignée de l'élocution d'Isocrate, dont il avait été l'auditeur; d'ailleurs, il n'ambitionnait que de paraitre digne de l'amitié de Socrate, son maître. Aussi aperçoit-on de toutes parts, dans ses ouvrages, les sentimens religieux, les principes de justice, et l'empreinte de toutes les vertus qui honorent sa mémoire. Le surnom d'Abeille attique qu'il mérita, caractérise très-bien ses talens. Les sujets qu'il traite sont heureusement choisis; il les dispose avec art, et sa narration est toujours agréable, variée, et pleine de douceur et de grâce. Sa diction est comparable à celle d'Hérodote, S'il lui est souvent inférieur, quelquefois il l'égale. Noble et élégant comme lui, il emploie toujours le mot propre, et s'exprime avec autant de clarté que d'agrément.

Mais veut-il s'élever, semblable au vent qui souffle de terre, il tombe presque aussitôt. On lui reproche encore d'avoir prêté des discours philosophiques à des hommes ignorans, à des barbares, Ce reproche regarde principalement la Cyropédie, dans laquelle Xénophon s'est plu à donner des leçons de philosophie aux dépens de la vérité et au mépris des convenances. L'histoire parle assez d'ellemême; pourquoi appeler la fiction à son secours? L'élève de Socrate se laisse encore trop apercevoir dans les Helléniques; mais rien n'y blesse les règles de l'histoire ; et, quoique Xénophon ait composé cet ouvrage dans une extrême vieillesse, on y retrouve toujours de ces beautés naturelles et sans fard, que les Grâces semblaient ellesmêmes avoir dictées. En faisant passer à la postérité la gloire des Dix-Mille, il lui a transmis le principal titre de la sienne. Aussi habile capitaine que grand historien, eut beaucoup de part à leur mémorable retraite ; il l'a décrite avec autant de simplicité et de noblesse, que d'intérêt et d'exactitude. Sa relation est le plus précieux comme le plus ancien monument de la science militaire. LE MÊME. Ibid.

« PreviousContinue »