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peuple. On reproche de la dureté à Colbert, de la hauteur à Sully mais si tous deux choquèrent des particuliers, tous deux aimèrent la nation. Enfin, si on examine leurs rapports avec les Rois qu'ils servaient, on trouvera que Sully faisait la loi à son maître, et que Colbert recevait la loi du sien; que le premier fut plus le ministre du peuple, et le second plus le ministre du Roi; enfin, d'après les talens des deux Princes, on jugera que Sully dut quelque chose de sa gloire à Henri IV, et que Louis XIV dut une partie de la sienne à Colbert. THOMAS. Eloge de Sully.

Louvois.

Louvois était né avec de grands talens, qui avaient principalement la guerre pour objet : il rétablit l'ordre et la discipline dans les armées, ainsi qu'avait fait Colbert dans les finances. Mieux informé souvent que le Général lui-même; aussi attentif à récompenser qu'à punir; économe et prodigue suivant les circonstances; prévoyant tout, et ne négligeant rien; joignant aux vues promptes et étendues la science des détails; profondément secret; formant des entreprises qui tenaient du prodige par leur exécution subite, et dont le succès n'était jamais incertain, malgré la foule des combinaisons nécessaires qui devaient y concourir l'instruction, donnée au maréchal d'Humières pour le siége de Gand, fut regardée comme un chef-d'œuvre dans son genre. Mais il eût été à souhaiter qu'il n'eût pas porté trop loin le zèle pour la gloire de son maitre, et que, se contentant de voir le Roi devenu l'objet du respect de l'Europe, il n'eût pas voulu encore qu'il en devînt la terreur (1).

Le Président HÉNAULT.

(1) Voyez en vers, même portrait.

Turenne.

TURENNE, si célébré, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n'eut point de supérieur, et ne compta qu'un rival; qui fut aussi simple qu'il était grand, aussi estimé pour sa probité que pour ses victoires; à qui on pardonna ses fautes, parce qu'il n'eut jamais ni l'affectation de ses vertus ni celle de ses talens; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois, comme admiré de l'Europe; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple; le seul, depuis du Guesclin, dont la cendre ait été jugée digne d'être mêlée à la cendre des Rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de Souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus, et non les rangs, et que l'idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance (1).

THOMAS. Essai sur les Eloges.

Turenne et Condé.

Ç'a été, dans notre siècle, un grand spectacle de voir, dans le même temps et dans les mêmes campagnes, ces deux hommes que la voix commune de toute l'Europe égalait aux plus grands capitaines des siècles passés, tantôt à la tête de corps séparés, tantôt unis, plus encore par le concours des mêmes pensées, que par les ordres que l'inférieur recevait de l'autre ; tantôt opposés front à

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(1) Voyez les Leçons Latines modernes.

front, et redoublant, l'un dans l'autre, l'activité et la vigilance, comme si Dieu, dont souvent, selon l'Ecriture, la sagesse se joue dans l'univers, eût voulu nous les montrer en toutes les formes, et nous montrer ensemble tout ce qu'il peut faire des hommes. Que de campemens, que de belles marches, que de hardiesse, que de précautions, que de périls, que de ressources! Vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus, avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires ?

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L'un paraît agir par des réflexions profondes, et l'autre par de soudaines illuminations: celui-ci par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité ; celui-là d'un air froid, sans jamais avoir rien de lent, plus hardi à faire qu'à parler, résolu et déterminé au dedans, lors même qu'il paraissait embarrassé au déhors. L'un, dès qu'il paraît dans les armées, donne une haute idée de sa valeur, et fait attendre quelque chose d'extraordinaire, mais toutefois s'avance par ordre, et vient comme par degrés aux prodiges qui ont fini le cours de sa vie ; l'autre, comme un homme inspiré, dès sa première bataille, s'égale aux maîtres les plus consommés. L'un, par de vifs et continuels efforts, emporte l'admiration du genre humain, et fait taire l'Envie; l'autre jette d'abord une si vive lumière, qu'elle n'osait l'attaquer. L'un enfin, par la profondeur de son génie et les incroyables ressources de son courage, s'élève au-dessus des plus grands périls, et sait même profiter de toutes les infidélités de la fortune; l'autre, et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le Ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins, et forcer les destinées.

Et, afin que l'on vît toujours dans ces deux hommes de grands caractères, mais divers, l'un, emporté d'un coup soudain, meurt pour son pays, comme un Judas le Machabée; l'armée le pleure comme un père, et la Cour et 1.-24.

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tout le peuple gémissent; sa piété est louée comme son courage, et sa mémoire ne se flétrit point par le temps : l'autre, élevé par les armes au comble de la gloire comme un David, comme lui meurt dans son lit, en publiant les louanges de Dieu, et intruisant sa famille, et laisse tous les cours remplis tant de l'éclat de sa vie, que de la douceur de sa mort. Quel spectacle de voir et d'étudier ces deux hommes, et d'apprendre de chacun d'eux toute l'estime que méritait l'autre (1)!

BOSSUET. Oraisons funèbres.

Vauban.

JAMAIS les traits de la simple nature n'ont été mieux marqués qu'en lui, ni plus exempts de tout mélange étranger. Un sens droit et étendu, qui s'attachait au vrai par une espèce de sympathie, et sentait le faux sans le discuter, lui épargnait les longs circuits par où les autres marchent; et d'ailleurs sa vertu était, en quelque sorte, un instinct heureux, si prompt, qu'il prévenait sa raison.

Il méprisait cette politesse superficielle dont le monde se contente, et qui couvre souvent tant de barbarie ; mais sa bonté, son humanité, sa libéralité lui composaient une autre politesse plus rare, qui était toute dans son cœur. Il seyait bien alors à tant de vertu de négliger des dehors qui, à la vérité, lui appartiennent naturellement, mais que le vice emprunte avec trop de facilité.

Souvent M. le maréchal de Vauban a secouru, de somines assez considérables, des officiers qui n'étaient pas en état de soutenir le service; et, quand on venait à le savoir, il disait qu'il prétendait leur restituer ce qu'il recevait de trop des bienfaits du Roi. Il en a été comblé

(1) Voyez en vers; et les Leçons Latines modernes, même parallèle.

pendant le cours d'une longue vie, et il a eu la gloire de ne laisser en mourant qu'une fortune médiocre.

Il était passionnément attaché au Roi : sujet plein d'une fidélité ardente et zélée, et nullement courtisan, il aurait infiniment mieux aimé servir que plaire. Personne n'a été si souvent que lui, ni avec tant de courage, l'introducteur de la vérité; il avait pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement. Ses mœurs ont tenu bon contre les dignités les plus brillantes, et n'ont pas même combattu. En un mot, c'était un Romain qu'il semblait que notre siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la république (1).

Montausier et Bossuet.

FONTENELLE.

. L'UN, d'une vertu haute et austère, d'une probité au dessus de nos mœurs, d'une vérité à l'épreuve de la Cour, philosophe sans ostentation, chrétien sans faiblesse, courtisan sans passion, l'arbitre du bon goût et de la rigidité des bienséances, l'ennemi du faux, l'ami et le protecteur du mérite, le zélateur de la gloire de la nation, le censeur de la licence publique; enfin un de ces hommes qui semblent être comme les restes des anciennes mœurs, et qui seuls ne sont pas de notre siècle. L'autre d'un génie vaste et heureux, d'une candeur qui caractérise toujours les grandes âmes et les esprits du premier ordre, l'ornement de l'Episcopat, et dont le clergé de France se fera honneur dans tous les siècles; un Evêque au milieu de la Cour; l'homme de tous les talens et de toutes les sciences, le docteur de toutes les Eglises, la terreur de toutes les sectes, le Père du dix-septième siècle, et à qui il n'a manqué que d'être né dans les premiers temps, pour avoir

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, même sujet.

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