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auditeurs au milieu des désastres publics; il les entraîne dans ce tourbillon de charité qui l'environne, les pénètre de terreur, les fait fondre en larmes, les oppresse de sanglots, leur ôte leur âme pour leur donner la sienne, et cet homme de la Providence est Vincent de Paul, qui, du milieu de son assemblée de charité (1), semble dire, comme le Fils de Dieu, d'une voix qui est entendue jusqu'aux extrémités du royaume : Venez à moi, ó vous qui souffrez, et je vous soulagerai (2).

Le Cardinal MAURY. Panegyrique de saint Vincent de Paul, 2o partie, pag. 72-73.

Colbert.

L'ÉCLAT et la prospérité du règne de Louis XIV, la grandeur du Souverain, le bonheur des peuples, feront regretter à jamais le plus grand ministre qu'ait eu la France. Ce fut par lui que les arts furent portés à ce degré de splendeur qui a rendu le règne de Louis XIV le plus beau règne de la monarchie; et, ce qui est à remarquer, c'est que cette protection signalée qu'il leur accorda n'était peut-être pas en lui l'effet seul du goût et des connaissances : ce n'était pas par sentiment qu'il aimait les artistes et les savans; c'était comme homme d'Etat qu'il les protégeait, parce qu'il avait reconnu que les beaux-arts sont seuls capables de former et d'immortaliser les grands Empires. Homme mémorable à jamais! ses soins étaient partagés entre

(1) On comptait dans cette respectable association Anne d'Autriche, la reine de Pologne, la princesse de Conti, la duchesse d'Aiguillon, le général de Gondi, le maréchal Faber, la vertueuse veuve Le Gras, née Marilhac, qui devint la première supérieure de la Charité, dont elle prit l'habit, après avoir déposé, scule, dans les mains de saint Vincent de Paul, plus de deux millions d'aumônes.

(2) S. Mathieu, ch. 11, vers. 28.

l'économie et la prodigalité; il économisait dans son cabinet, par l'esprit d'ordre qui le caractérisait, ce qu'il était obligé de prodiguer aux yeux de l'Europe, tant pour la gloire de son maître que par la nécessité de lui obéir; esprit sage, et n'ayant point les écarts du génie Par negotiis neque suprà erat. (Tacite.) Il ne fut que huit jours malade: on a dit qu'il était mort hors de la faveur : grande instruction pour les ministres (1)!

Le Président HÉNAULT.

Sully et Colbert.

SULLY et COLBERT (2)! quels noms! C'est un spectacle intéressant de rapprocher ces deux hommes célèbres, qui font époque dans notre histoire, et peut-être dans celle de l'Europe.

Destinés tous deux à de grandes choses, ils furent élevés au ministère à peu près dans les mêmes circonstances. Sully parut après les horribles déprédations des favoris et les désordres de la Ligue. Colbert eut à réparer les maux qu'avaient causés le règne orageux et faible de Louis XIII, les opérations brillantes, mais forcées de Richelieu, les querelles de la Fronde, l'anarchie des finances sous Mazarin.

Tous deux trouvèrent le peuple accablé d'impôts, et le Roi privé de la plus grande partie de ses revenus; tous deux eurent le bonheur de rencontrer deux Princes qui avaient le génie du Gouvernement, capables de vouloir le bien, assez courageux pour l'entreprendre, assez fermes pour le soutenir, désirant faire de grandes choses, l'un pour la France, et l'autre pour lui-même; tous deux

(1) Voyez en vers, même portrait.

(2) Voyez plus haut leur portrait; et aux Tableaux, Sully dans la retraite.

commencèrent par liquider les dettes de l'Etat, et les mêmes besoins firent naître les mêmes opérations; tous deux travaillèrent ensuite à accroître la fortune publique. Ils surent également combiner la nature des divers impôts; mais Sully ne sut pas en tirer tout le parti possible; Colbert perfectionna l'art d'établir entre eux de justes proportions.

Tous deux diminuèrent les frais énormes de la perception, bannirent le trafic honteux des emplois, qui enrichissait et avilissait la Cour, ôtèrent au courtisan tout intérêt dans les fermes. Tous deux firent cesser la confusion qui régnait dans les recettes, et les gains immenses que faisaient les receveurs; mais dans toutes ces parties Colbert n'eut que la gloire d'imiter Sully, et de faire revivre les anciennes ordonnances de ce grand homme. Le ministre de Louis XIV, à l'exemple de celui de Henri IV, assura des fonds pour chaque dépense; à son exemple, il réduisit l'intérêt de l'argent.

Tous deux travaillèrent à faciliter les communications; mais Colbert fit exécuter le canal de Languedoc, dont Sully n'avait eu que le projet. Ils connurent également l'art de faire tomber sur les riches et sur les habitans des villes les remises accordées aux campagnes; mais on leur reproche à tous deux d'avoir gêné l'industrie par des taxes. Le crédit, cette partie intéressante des richesses publiques, qui fait circuler celles qu'on a, et qui supplée à celles qu'on n'a pas, paraît n'avoir pas été connu par Sully, et assez ménagé par Colbert. Les gains excessifs des traitans. furent réprimés par tous les deux; mais Sully connut mieux de quelle importance il est pour un Etat de rapprocher les gains des finances de ceux qu'on peut faire dans les entreprises de commerce ou d'agriculture.

Les monnaies attirèrent leur attention; mais Sully n'aperçut que les maux, ou ne trouva que des remèdes dangereux; Colbert porta dans cette partie une supériorité de lumières qu'il dut à son siècle autant qu'à lui-même.

On leur doit à tous deux l'éloge d'avoir vu que la ré

forme du barreau pouvait influer sur l'aisance nationale.; mais l'avantage des temps fit que Colbert exécuta ce que Sully ne put que désirer. L'un, dans un temps d'orage et sous un Roi soldat, annonça seulement à une nation guerrière qu'elle devait estimer les sciences; l'autre, ministre d'un Roi qui portait la grandeur jusque dans les plaisirs de l'esprit, donna au monde l'exemple, trop oublié peut-être, d'honorer, d'enrichir et de développer tous les talens. Sully entrevit le premier l'utilité d'une marine; c'était beaucoup en sortant de la barbarie; nous nous souvenons que Colbert eut la gloire d'en créer une.

Le commerce fut protégé par les deux ministres; mais l'un voulait le tirer presque tout entier du produit des terres, l'autre des manufactures. Sully préférait avec raison celui qui, étant attaché au sol, ne peut être partagé ni envahi, et qui met les étrangers dans une dépendance nécessaire; Colbert nc s'aperçut pas que l'autre n'est fondé que sur des besoins de caprice ou de goût, et qu'il peut passer, avec les artistes, dans tous les pays du monde. Sully fut donc supérieur à Colbert dans la connaissance des véritables sources du commerce; mais Colbert l'emporta sur lui du côté des soins, de l'activité, et des calculs politiques dans cette partie; il l'emporta par son attention à diminuer les droits intérieurs du Royaume, que Sully augmenta quelquefois, par son habileté à combiner les droits d'entrée et de sortie : opération qui est peut-être un des plus savans ouvrages d'un législateur, et où la plus petite erreur de combinaison peut coûter des millions à l'Etat.

Il sera difficile d'égaler Colbert dans les détails et les grandes vues du commerce; il sera difficile de surpasser Sully dans les encouragemens qu'il donna à l'agriculture. Ce n'est pas que Colbert ait négligé entièrement cette partie importante. N'exagérons pas les fautes des grands hommes, et n'ayons pas la manie d'être toujours extrêmes dans nos censures, comme dans nos éloges. Colbert, à

l'exemple de Sully, voulut faire naître l'aisance dans les campagnes ; il diminua les tailles; il prévint, autant qu'il put, les maux attachés à une imposition arbitraire ; il protégea par des règlemens utiles la nourriture des troupeaux, il encouragea la population par des récompenses; mais, faute d'avoir permis le commerce des grains, tant d'opérations admirables furent presque inutiles; il n'y avait point de richesses réelles : l'Etat parut brillant, et le peuple fut malheureux; l'or que le trafic faisait circuler ne parvenait point jusqu'à la classe des cultivateurs; le prix des grains baissa sans cesse, et l'on finit par la disette. Tels furent et les principes et les succès différens de ces deux grands hommes.

Si maintenant nous comparons leur caractère et leur talent, nous trouverons que tous deux eurent de la justesse et de l'étendue dans l'esprit, de la grandeur dans les projets, de l'ordre et de l'activité dans l'exécution; mais Sully peut-être saisit mieux la masse entière du Gouvernement; Colbert en développa mieux les détails. L'un avait plus de cette politique moderne qui calcule; l'autre, de cette politique des anciens législateurs, qui voyaient tout dans un grand principe. Le plan de Colbert était une machine vaste et compliquée, où il fallait sans cesse remonter de nouvelles roues; le plan de Sully était simple, uniforme, comme celui de la nature. Colbert attendait plus des hommes; Sully attendait plus des choses. L'un créa des ressources inconnues à la France; l'autre employa mieux les ressources qu'elle avait. La réputation de Colbert dut avoir d'abord plus d'éclat; celle de Sully dut acquérir plus de solidité.

A l'égard du caractère, tous deux eurent le courage et la vigueur d'âme, sans laquelle on ne fit jamais ni beaucoup de bien ni beaucoup de mal dans un Etat mais la politique de l'un se sentit de l'austérité de ses mœurs; celle de l'autre, du luxe de son siècle. Ils eurent la triste conformité d'être haïs, mais l'un des grands, l'autre du

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