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était intrépide à la guerre, décisif dans les conseils, supérieur aux autres par la noblesse de ses sentimens ; sans hauteur, sans présomption, sans dureté. Il suivait en tout les véritables intérêts de sa nation, dont il était autant le père que le Roi. Il voyait tout de ses propres yeux dans les affaires principales. Il était appliqué, modéré, droit et ferme dans les négociations; en sorte que les étrangers ne se fièrent pas moins à lui que ses propres sujets. Jamais Prince ne fut plus sage pour policer ses peuples, et pour les rendre tout ensemble bons et heureux. Il aimait avec confiance et tendresse tous ceux qu'il devait aimer; mais il était ferme pour corriger ceux qu'il aimait le plus. Il était noble et magnifique selon les mœurs de son temps, mais sans faste et sans luxe. La dépense qui était grande, se faisait avec tant d'ordre qu'elle ne l'empêchait pas de dégager tout son domaine. Soyez héritier de ses vertus avant de l'être de sa couronne. Invoquez-le avec confiance dans vos besoins; souvenez-vous que son sang coule dans vos veines, et que l'esprit de foi qui l'a sanctifié doit être la vie de votre cœur. Il vous regarde du haut du ciel où il prie pour vous, et où il veut que vous régniez un jour avec lui.

Conserva, fili mi, præcepta patris tui (1).

FENELON. Lettre au Duc de Bourgogne.

Saint Bernard.

ALORS vivait dans un cloître un homme dont les dépositaires du pouvoir suprême devaient ambitionner les suffrages autant que ceux d'un Sénat ou d'un peuple législateur. A ce trait seul on doit reconnaître cet abbé de Clairvaux, devenu si célèbre sous le nom de saint Bernard.

(1) Voyez en vers, et les Leçons Latines modernes, t. I, même sujet.

Nul homme n'a exercé sur son siècle un empire aussi extraordinaire : entraîné vers la vie solitaire et religieuse par un de ces sentimens impérieux qui n'en laissent pas d'autres dans l'âme, il alla prendre sur l'autel toute la puissance de la Religion. Lorsque, sortant de son désert, il paraissait au milieu des peuples et des Cours, les austérités de sa vie, empreintes sur des traits où la nature avait répandu la grâce et la beauté, remplissaient toutes les âmes d'amour et de respect. Eloquent dans un siècle où le pouvoir et le charme de la parole étaient absolument inconnus, il triomphait de toutes les hérésies dans les conciles; il faisait fondre en larmes les peuples au milieu des campagnes et des places publiques: son éloquence paraissait un des miracles de la Religion qu'il prêchait. Enfin l'Eglise, dont il était la lumière, semblait recevoir les volontés divines par son entremise. Les Rois et leurs ministres, à qui il ne pardonnait jamais ni un vice ni un malheur public, s'humiliaient sous ses réprimandes comme sous la main de Dieu même; et les peuples, dans leurs calamités, allaient se ranger autour de lui, comme ils vont se jeter au pied des autels.

Egaré par l'enthousiasme même de son zèle, il donna à ses erreurs l'autorité de ses vertus et de son caractère, et entraîna l'Europe. dans de grands malheurs. Mais gardonsnous de croire qu'il ait jamais voulu tromper, ni qu'il ait eu d'autre ambition que celle d'agrandir l'Empire de Dieu. C'est parce qu'il était trompé lui-même, qu'il était toujours si puissant; il eût perdu son ascendant avec sa bonne foi. L'Eglise, malgré les erreurs qu'elle lui a reconnues, l'a mis au rang des Saints; le philosophe, malgré les reproches qu'il peut lui faire, doit l'élever au rang des grands hommes.

GARAT. Eloge de Suger.

Nicolas Gabrino, dit Rienzi.

Né avec un esprit vif, élevé, entreprenant, une conception facile, une mémoire sûre, un génie subtil et délié, beaucoup de facilité à s'exprimer, un cœur faux et dissimulé, une ambition sans bornes, il se donna tout entier à l'étude; en sorte qu'il devint bon grammairien, meilleur rhétoricien, excellent humaniste.

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Il employait les jours et les nuits à la lecture; il savait par cœur Tite-Live, Cicéron, Valère-Maxime et Sénèque. Il avait une admiration particulière pour Jules-César, qu'il se proposait pour modèle. Il passait son temps à déchiffrer les inscriptions qu'il cherchait sur les marbres brisés des ruines les plus anciennes, et les expliquait mieux que personne. Il s'écriait souvent : « O Dieux, que sont devenus ces grands hommes! Ne verra-t-on plus de véritables Romains? la justice est-elle exilée pour jamais? »

Il était d'une figure avantageuse, sévère observateur des lois, moyen dont il se servait pour gagner la bienveillance du peuple; fourbe, imposteur, hypocrite, faisant servir la religion à ses desseins, mettant en œuvre les révélations et les visions pour s'autoriser; effronté jusqu'à se vanter d'affermir l'autorité du Pape, dans le même temps qu'il la sapait par ses fondemens; fier dans la prospérité, prompt à s'abattre dans l'adversité, étonné des moindres revers, mais, avec la réflexion, capable de se servir des moyens les plus hardis pour se relever. BOISPRÉAUX. Histoire de Rienzi.

Charles de Navarre.

Né de la fille de Louis X, marié avec la fille de Jean, Charles de Navarre ne semblait être rapproché du trône

par ce double degré, que pour la ruine de la famille royale le malheur de la France.

et pour

Doué d'un esprit vif, qui brillait dans ses yeux comme dans sa conversation; petit de corps, mais bien pris dans sa taille, et joignant à une figure agréable des manières attrayantes; actif, adroit, éloquent, il cachait un naturel pervers sous des dehors aimables et sous un air d'enjouement. Chez lui les ornemens de la vertu étaient les armes du vice. Possédant avec un art merveilleux toutes les insinuations de l'affabilité, de la souplesse, de la flatterie; séduisant auprès des femmes, poli avec les seigneurs de la Cour, populaire avec les bourgeois, frondeur avec les mécontens, il négociait pour tromper, promettait pour dérober, caressait pour trahir, cherchait à plaire pour corrompre; jamais plus à craindre que lorsqu'il paraissait contracter les nœuds de la paix et de l'amitié. Les complots contre la patrie, les assassinats, les empoisonnemens furent les exercices de sa jeunesse; prompt à entreprendre, hardi pour le crime, timide dans le danger, remplissant la France de carnage par les guerres intestines et les guerres étrangères, sans paraitre jamais dans les combats; criminel sans passion, méchant sans remords, ambitieux sans politique, séditieux par une humeur inquiète et jalouse, il fut toujours le fléau de son pays, l'instrument et le jouet d'Edouard III, enfin un de ces hommes malheureusement nés pour brouiller tout, et auxquels il ne manque que du génie pour renverser les Empires.

NAUDET, de l'Institut, Histoire des Etats-
Généraux, années 1355-1358.

Marcel et Robert Le Coq.

MARCEL, d'une humeur sombre et violente, fourbe sans finesse, ennemi insolent, méprisant la naissance, la

vertu, les titres, la majesté, outrageait ouvertement tous ceux qu'il haïssait, trompait le peuple sans le flatter, ne liait ses partisans que par l'intérêt ou la terreur. L'évêque de Laon, non moins séditieux, mais avec plus de sang-froid et de souplesse, principal agent de la faction et conseiller du Dauphin, sapait la royauté en présence même du Prince, et souvent par ses mains; affectait un air de dignité, et une certaine observation des bienséances, plus injuricuse encore que la dureté brusque de Marcel. L'un figurait mieux dans une assemblée délibérante et dans une négociation; l'autre poussait avec plus de vigueur une entreprise et un coup de main. Le péril effrayait l'évêque ; le péril irritait Marcel. Quand Marcel songeait à prendre un parti extrême, l'évêque se préparait à la fuite. L'un était plus prudent, mais plus prompt à désespérer; l'autre plus résolu et plus ardent, mais jusqu'à l'opiniâtreté et jusqu'à la fureur. L'un, plus perfide, conduisait ses ennemis dans le piége ; l'autre, plus sanguinaire, les assassinait. L'évêque, supérieur en apparence par son rang, secondait Marcel dont l'énergie dominait tout. Dévorés l'un et l'autre d'ambition, mais Marcel dédaignant les honneurs, et jaloux seulement de sa puissance; l'évêqué faisant servir l'autorité à la satisfaction de l'orgueil; ils se perdirent par leur avidité pour l'argent.. Ils ne savaient pas faire paraître cet adroit désintéressement qui semble négliger de s'enrichir, pour s'emparer ensuite plus sûrement de toutes les fortunes avec tout l'Etat. LE MÊME. Ibid.

Le Chancelier de l'Hospital.

Si les grands et les peuples d'alors avaient été abandonnés à leur fanatisme, la France serait bientôt retombée, sinon dans son ancienne barbarie, dont le luxe et l'amour du plaisir l'auraient peut-être défendue quelque temps, du moins dans l'anarchie, suite du mépris, des

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