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TABLEAUX.

Soyez simple avec art,

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
BOILEAU, Art poét. chant I.

Création de l'Homme.

La matière a cessé d'être muette ou passive; une créature distincte entre toutes celles qui respirent est appelée; elle s'avance d'un pas mesuré, et le chef du Roi de la nature s'élève avec noblesse sous des cheveux ondoyans. Ses yeux ont le droit d'interroger autour de lui; la pensée y passe; de là elle semble s'étendre au loin, et percer dans les profondeurs de l'avenir. L'intelligence, ce magnifique présent d'un Dieu qui n'avait peut-être rien de mieux à donner, réside sur son front découvert, et annonce de hautes destinées. Le sentiment est dans sa voix; son âme se fait entendre; toutes les parties de son corps se rapprochent sans gêne, et s'agencent avec harmonie. Ses bras l'accompagnent, et ne le portent pas la moindre portion de lui-même est en contact avec la terre; il ne communique avec elle que par des points, comme s'il ne devait la fouler qu'en passant. Il marche, et l'on sent qu'il va donner des ordres; il s'arrête, et le sol dont sa noble figure se détache, à bien dire ne lui sert que de piédestal, sur les côtés duquel les divers animaux se groupent en manière de bas-relief. Une ligne

moelleuse et flexible semble descendre de sa tête à la. plante de ses pieds: l'esprit de vie la parcourt tout entière, circule autour des formes, les anime, et fait briller sa teinte carminée à travers une peau diaphane. Ici, la vigueur ne dérobe rien à la grâce; à l'instar des membres, sans efforts elles naissent l'une de l'autre. 'Dans cette création merveilleuse, on dirait qu'il n'a été employé d'élémens matériels que ce qu'il en fallait pour rendre l'intelligence sensible, et lui soumettre la matière ellemême. C'est la solution d'un beau problème des forces motrices.

KERATRY. De l'Existence de Dieu. 1815.

Dignité de l'Homme; Excellence de sa nature.

L'HOMME a la force et la majesté; les grâces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe.

Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivans; il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement ; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'âme y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers, d'appui à la masse du corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre, par des frottemens réitérés, la finesse du toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté,

pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos : leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intéricur; mais lorsque l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle, et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos secrètes agi

tations.

C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent, et qu'on peut les reconnaître; l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher et participer à tous ses mouvemens; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultucuses, comme les mouvemens les plus doux et les sentimens les plus délicats ; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre âme le feu, l'action, l'image de celle dont ils partent ; l'œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment; c'est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence.

BUFFON. Histoire naturelle.

Origine et Mobiles de l'industrie humaine.

TOUTE activité, soit de corps, soit d'esprit, prend sa source dans les besoins; c'est en raison de leur étendue,

de leurs développemens, qu'elle-même s'étend et se développe; l'on en suit la gradation depuis les élémens les plus simples jusqu'à l'état le plus composé. C'est la faim, c'est la soif, qui, dans l'homme encore sauvage, éveillent les premiers mouvemens de l'âme et du corps; ce sont ces besoins qui le font courir, chercher, épier, user d'astuce ou de violence; toute son activité se mesure sur les moyens de pourvoir à sa subsistance. Sontils faciles, a-t-il sous sa main les fruits, le gibier, le poisson, il est moins actif, parce qu'en étendant le bras il se rassasie, et que, rassasié, rien ne l'invite à se mouvoir, jusqu'à ce que l'expérience de diverses jouissances ait éveillé en lui des désirs qui deviennent des besoins nouveaux, de nouveaux mobiles d'activité. Les moyens sont-ils difficiles, le gibier est-il rare et agile, le poisson rusé, les fruits passagers, alors l'homme est forcé d'être plus actif; il faut que son corps et son esprit s'exercent à vaincre les difficultés qu'il rencontre à vivre; il faut qu'il devienne agile comme le gibier, rusé comme le poisson, et prévoyant pour conserver les fruits. Alors, pour étendre ses facultés naturelles, il s'agite, il pense, il médite; alors il imagine de courber un rameau d'arbre pour en faire un arc, d'aiguiser un roseau pour en faire une flèche, d'emmancher un bâton à une pierre tranchante pour en faire une hache; alors il travaille à faire des filets, à abattre des arbres, à en creuser le tronc pour en faire des pirogues. Déjà il a franchi les bornes des besoins ; déjà l'expérience d'une foule de sensations lui a fait connaître des jouissances et des peines; et il prend un surcroît d'activité pour écarter les unes et multiplier les autres. Il a goûté le plaisir d'un ombrage contre les feux du soleil; il se fait une cabane. Il a éprouvé qu'une pean le garantit du froid; il se fait un vêtement. Il a bu l'eau-de-vie et fumé le tabac; il les a aimés. Il veut en avoir encore : il ne le peut qu'avec des peaux de castor, des dents d'éléphant, de la poudre d'or, etc.; il redouble

d'activité, et il parvient, à force d'industrie, jusqu'à

vendre son semblable (1).

VOLNEY. Voyage en Syrie.

Sully dans la retraite.

L'HISTOIRE a peint des sages dans la retraite, des héros dans l'oppression; mais elle n'offre rien de plus grand que la dignité de Sully dans le malheur. C'était la dignité de la vertu même, sur laquelle et les hommes, et les cours, et les Rois ne peuvent rien. La grandeur qui était dans son âme se répandait dans toute sa maison. Un nombre prodigieux de domestiques, une foule de gardes, d'écuyers, de gentilshommes; un luxe, non de frivolité, mais de magnificence; un appareil imposant, le respect de mille vassaux, la subordination d'une famille illustre; des appartemens immenses, et où les belles actions de Henri IV étaient représentées avec celles de son ministre; des parcs où régnaient la simplicité et la grandeur: au milieu de tous ces objets Sully en cheveux blancs, conservant les modes antiques, portant sur sa poitrine l'image de Henri IV; la sainte gravité de ses discours, la majesté de ses regards, le siége plus élevé qui le distinguait au milieu de ses enfans, l'accueil honorable que recevaient dans sa maison tous les vieillards, le silence mêlé de crainte et de respect des jeunes gens que leurs pères conduisaient par la main pour voir ce grand homme; tout cela réuni semblait offrir quelque chose de plus qu'humain, et portait dans les cœurs je ne sais quelle émotion qui élevait l'âme en l'étonnant. O mœurs trop différentes des nôtres! C'est ainsi qu'il passa trente ans dans la retraite, sans se plaindre des hommes, ni de

(1) Voyez Tableaux, en vers, le Besoin, Père des Arts; et les Leçons Latines anciennes, t. II, même partie.

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