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Asiatiques; mais un Empereur chrétien était sûr que tous les chrétiens en Orient, en Occident, au Midi, au Nord, seraient dévoués d'intérêt et de cœur à son règne. Constantin avait trouvé le seul lien social qui pût suppléer à l'unité de patrie. Si dans la suite l'esprit disputeur des Grecs changea en levain de discorde un principe de régénération, ce n'est pas lui qu'on doit blâmer.

Il comprit aussi qu'il était nécessaire de donner à l'état civil plus de consistance et de dignité, et d'ôter à l'état militaire la force d'opprimer. Mais il alla trop loin: il fallait affaiblir et abaisser l'orgueil et la violence des armées, et non pas avilir et corrompre l'état militaire. C'est une faute grave dont on doit l'accuser; on doit encore lui reprocher de n'avoir pas tenu assez fermement la main à l'exécution de ses lois sur les finances, et d'avoir souffert des désordres dans les dernières années de sa vie.

Mais il mérite d'être loué pour avoir détruit cette férocité du gouvernement militaire, et pour avoir consolidé une monarchie plus tranquille, fondée sur l'hérédité de la couronne, la distribution des pouvoirs, et l'esprit de la Religion.

NAUDET. Des Changemens opérés dans toutes les parties de l'Administration de l'Empire romain, sous les Règnes de Dioclétien, Constantin, etc., jusqu'à Julien.

Julien et Marc-Aurèle.

On voit par toute la vie de Julien, par quelques uns de ses ouvrages, que sa grande ambition était de ressembler à Marc-Aurèle. Si on regarde les talens, il eut plus de génie; si on regarde le caractère, il eut plus de fermeté peut-être, et fut plus loin de cette bonté dont on abuse, et qui, voisine de l'excès, peut devenir une vertu plus dangereuse qu'un vice.

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Mais aussi, à beaucoup d'égards, Marc-Aurèle eut des avantages sur lui. Ils furent tous deux philosophes; mais leur philosophie ne fut pas la même. Celle de Marc-Aurèle avait plus de profondeur; celle de Julien peut-être plus d'éclat. La philosophie de l'un semblait née avec lui; elle était devenue un sentiment, une passion, mais une passion d'autant plus forte qu'elle était calme, et n'avait pas besoin des secousses de l'enthousiasme. La philosophie de l'autre semblait moins un sentiment qu'un système; elle était plus ardente que soutenue; elle tenait à ses lectures, et avait besoin d'être remontée. Marc-Aurèle agissait et pensait d'après lui; Julien, d'après les anciens philosophes il imitait.

Un autre caractère du grand homme lui manqua : c'est cette vertu qui fait que l'âme, sans s'élever, sans s'abaisser, sans s'apercevoir même de ses nouvemens, est ce qu'elle doit être, et l'est sans faste comme sans effort. En cela, il fut encore loin de Marc-Aurèle. Son extérieur était simple, son caractère ne l'était pas. Ses discours, ses actions avaient de l'appareil, et semblaient avertir qu'il était grand. Suivez-le la passion pour la gloire perce partout. Il lui faut un théâtre et des battemens de mains il s'indigne quand on les refuse. Il se venge, il est vrai, plus en homme d'esprit qu'en Prince irrité qui commandait à cent mille hommes; mais il se venge. Il court à la renommée, il l'appelle; il flatte pour être flatté. Il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre. THOMAS. Essai sur les Eloges.

Charlemagne.

CHARLEMAGNE mit un tel tempérament dans les ordres de l'Etat, qu'ils furent contre-balancés, et qu'il resta le maitre. Tout fut uni par la force de son génie. L'Empire se maintint par la grandeur du chef; le Prince était grand,.

l'homme l'était davantage. Il fit d'admirables règlemens; il fit plus, il les fit exécuter. On voit, dans les lois de ce Prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, et une certaine force qui entraîne tout les prétextes pour éluder les devoirs sont ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus; il savait punir, il savait encore mieux pardonner. Vaste dans ses desseins, simple dans l'exécution, personne n'eut à un plus haut degré l'art de faire les plus grandes choses avec facilité, et les difficilés avec promptitude.

Il parcourait sans cesse son vaste Empire, portant la main partout où il allait tomber. Les affaires renaissaient de toutes parts, il les finissait de toutes parts. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérans, c'est-à-dire des conspirations.

Ce Prince prodigieux était extrêmement modéré; son caractère était doux, ses manières simples; il aimait à vivre avec les gens de sa Cour. Il fut peut-être trop sensible au plaisir des femmes; mais un Prince qui gouverna toujours par lui-même, et qui passa sa vie dans les travaux, peut mériter plus d'excuses.

On ne dira plus qu'un mot : il ordonnait qu'on vendit les œufs des basses-cours de ses domaines, et les herbes inutiles de ses jardins; et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses des Lombards, et les immenses trésors de ces Huns qui avaient dépouillé l'univers.

MONTESQUIEU.

Même sujet.

CHARLEMAGNE avait montré que le génie d'un grand Prince a plus de pouvoir pour réformer son siècle, que son siècle n'en a pour arrêter son génie. Son époque est la première et la plus imposante de l'histoire moderne. Seul

il paraît avec éclat au milieu des ténèbres universelles qu'il dissipe en un moment ; et son nom imprime encore quelque grandeur au berceau des Monarchies modernes, qui ne sont que des débris de son Empire.

Mais l'Europe, quand il disparut, retomba dans ce chaos de barbarie où il avait si rapidement jeté les plus grands traits de lumière. Rome, qu'il avait en quelque sorte fait sortir des ruines accumulées par les Goths, les Vandales et les Lombards; Rome, dont il retrouva les anciennes bornes, et qui reprit avec lui vingt sceptres qu'elle avait perdus; Rome mourut presque tout entière avec ce nouveau César, et ne fut plus qu'un souvenir.

Le vaste Empire que ce grand homme avait élevé et soutenu près de cinquante ans écrasa sous son poids ses trop faibles successeurs. On ne voit après lui que des scènes d'opprobre et de désolation; des neveux égorgés par leurs oncles, des frères se combattant avec toute la férocité d'une ambition qui n'est jamais justifiée par le talent; un père détrôné par ses propres fils; des évêques complices de ce forfait, condamnant un faible Monarque qui, par l'excès de sa bassesse, a mérité qu'on ne plaignît l'excès de son malheur.

pas

A ces calamités intérieures se mêlent des calamités étrangères. Le Nord vomit encore des essaims de barbares qui fondent sur l'Empire de Charlemagne, comme autre. fois sur le premier Empire romain. Ils en ravagent toutes les parties, et les lâches descendans de Charlemagne, incapables de se défendre, achètent, avec leurs villes et leurs provinces, les services de leurs puissans favoris, Ces favoris eux-mêmes, agrandis aux dépens de leurs maîtres, deviennent aussi redoutables à la France que les usurpateurs étrangers. Tous veulent être Souverains, dès qu'un seul n'est plus digne de l'être.

DE FONTANES. Fragment d'une Histoire inédite de Louis XI.

Saint Louis.

ENFANT de saint Louis, imitez votre père; soyez, comme lui, doux, humain, accessible, affable, compatissant et libéral. Que votre grandeur ne vous empêche jamais de descendre avec bonté jusqu'aux plus petits, pour vous mettre à leur place; et que cetté bonté n'affaiblisse jamais ni votre autorité ni leur respect. Etudiez sans cesse les hommes; apprenez à vous en servir sans être lié à eux. Allez chercher le mérite jusqu'au bout du monde; d'ordinaire, il demeure modeste et reculé. La vertu ne perce point la foule; elle n'a ni avidité ni empressement; elle se laisse oublier. Ne vous laissez point obséder par des esprits flatteurs et insinuans faites sentir que vous n'aimez ni les louanges ni les bassesses. Ne montrez de la confiance qu'à ceux qui ont le courage de contredire avec respect, et qui aiment mieux votre réputation que votre faveur. Il est temps que vous montriez au monde une maturité et une vigueur d'esprit proportionnées au besoin présent. Saint Louis à votre âge était déjà les délices des bons et la terreur des méchans. Laissez donc tous les amusemens de l'âge passé : faites voir que vous pensez et que vous sentez ce qu'un Prince doit penser et sentir. Il faut que les bons vous aiment, que les méchans vous craignent, et que tous vous estiment. Hâtez-vous de vous corriger pour travailler utilement à corriger les autres. La piété n'a rien de faible, ni de triste, ni de gêné; elle élargit le cœur, elle est simple et aimable, elle se fait sentir à tous pour les gagner tous. Le Royaume de Dieu ne consiste pas dans une scrupuleuse observation des petites formalités; il consiste pour chacun dans les vertus propres de son état. Un grand Prince ne doit point servir Dieu de la même façon qu'un solitaire ou qu'un simple particulier. Saint Louis s'est sanctifié en GRAND ROI. Il

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