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qui renverse tout, parce qu'elle ne donne le temps de rien prévoir; enfin des vies éclatantes, des morts illustres et presque toujours violentes; car, par une loi inévitable, l'action de ces hommes qui remuent tout, produit une résistance égale dans ce qui les entoure; ils pèsent sur l'univers, et l'univers sur eux; et, derrière la gloire, est presque toujours caché l'exil, le fer ou le poison: tel est peu près le tableau que nous offre Plutarque.

à

A l'égard du style et de la manière, c'est celle d'un vieillard plein de sens, accoutumé au spectacle des choses humaines, qui ne s'échauffe pas, qui ne s'éblouit pas, admire avec tranquillité, et blâme sans indignation. Sa marche est mesurée, et il ne la précipite jamais. Semblable à une rivière calme, il s'arrête, il revient, il suspend son cours, il embrasse lentement un terrain vaste; il sème tranquillement, et comme au hasard, sur sa route, tout ce que sa mémoire vient lui offrir. Enfin, partout il converse avec le lecteur : c'est le Montaigne des Grecs ; mais il n'a point comme lui cette manière pittoresque et hardie de peindre ses idées, et cette imagination de style que peu de poëtes même ont eue comme Montaigne. A cela près, il attache et intéresse comme lui, sans paraître s'en occuper.

Son grand art surtout est de faire connaître les hommes par les petits détails. Il ne fait donc point de ces portraits brillans dont Salluste le premier donna des modèles, et que le cardinal de Retz, par ses Mémoires, mit si fort à la mode parmi nous; il fait mieux, il peint en action. On croit voir tous ces grands hommes agir et converser. Toutes ces figures sont vraies et ont les proportions exactes de la nature. Quelques personnes pensent que c'est dans ce genre qu'on devrait écrire tous les éloges. On éblouirait peut-être moins, disent-elles, mais on satisferait plus; et il faut savoir quelquefois renoncer à l'admiration pour l'estime.

THOMAS. Essai sur les Eloges.

Périclès.

PERICLÈS s'aperçut de bonne heure que sa naissance et ses richesses lui donnaient des droits et le rendaient suspect. Un autre motif augmentait ses alarmes. Des vieillards qui avaient connu Pisistrate, croyaient le retrouver dans le jeune Périclès; c'était, avec les mêmes traits, le même son de voix et le même talent de la parole : il fallait se faire pardonner cette ressemblance, et les avantages dont elle était accompagnée. Périclès consacra ses premières années à l'étude de la philosophie, sans se mêler des affaires publiques, et ne paraissant ambitionner d'autre distinction que celle de la valeur.

Après la mort d'Aristide et l'exil de Thémistocle, Cimon prit les rênes du gouvernement; mais, souvent occupé d'expéditions lointaines, il laissait la confiance des Athéniens flotter entre plusieurs concurrens incapables de la fixer. On vit alors Périclès se retirer de la société, renoncer aux plaisirs, attirer l'attention de la multitude par une démarche lente, un maintien décent, un extérieur modeste, et des mœurs irréprochables. Il parut enfin à la tribune, et ses premiers essais étonnèrent les Athéniens; il devait à la nature d'être le plus éloquent des hommes, et au travail d'être le premier des orateurs de la Grèce.

Les maitres célèbres qui avaient élevé son enfance, continuant à l'éclairer de leurs conseils, remontaient avec lui aux principes de la morale et de la politique; et de là cette profondeur, cette plénitude de lumières, cette force de style, qu'il savait adoucir au besoin; ces grâces qu'il ne négligeait point, qu'il n'affecta jamais; tant d'autres qualités qui le mirent en état de persuader ceux qu'il ne pouvait convaincre, et d'entraîner ceux même qu'il ne pouvait ni convaincre ni persuader.

On trouvait dans ses discours une majesté imposante sous laquelle les esprits restaient accablés. C'était le fruit

de ses conversations avec le philosophe Anaxagore, qui, en lui développant le principe des êtres et les phénomènes de la nature, semblait avoir agrandi son âme naturellement élevée.

On n'était pas moins frappé de la dextérité avec laquelle il pressait ses adversaires, et se dérobait à leurs poursuites. Il la devait au philosophe Zénon d'Elée, qui l'avait-plus d'une fois conduit dans les détours d'une dialectique captieuse, pour lui en découvrir les issues secrètes. Aussi l'un des plus grands antagonistes de Périclès disait souvent: « Quand je l'ai terrassé, et que je le tiens sous moi, il « s'écrie qu'il n'est point vaincu, et le persuade à tout le << monde. >>

Périclès connaissait trop bien sa nation, pour ne pas fonder ses espérances sur le talent de la parole, et l'excellence de ce talent, pour n'être pas le premier à le respecter. Avant que de paraître en public, il s'avertissait en secret qu'il allait parler à des hommes libres, à des Grecs, à des Athéniens.

Cependant il s'éloignait le plus qu'il pouvait de la tribune, parce que, toujours ardent à suivre avec lenteur le projet de son élévation, il craignait d'effacer par de nouveaux succès l'impression des premiers, et de porter trop tôt l'admiration du peuple à ce point d'où elle ne peut que descendre. On jugea qu'un orateur qui dédaignait des applaudissemens dont il était assuré, méritait la confiance qu'il ne cherchait pas, et que les affaires dont il faisait le rapport devaient être bien importantes, puisqu'elles le forçaient à rompre le silence.

On conçut une haute idée du pouvoir qu'il avait sur son âme, lorsqu'un jour que l'assemblée se prolongea jusqu'à la nuit, on vit un simple particulier ne cesser de l'interrompre et de l'outrager, le suivre avec des injures jusque dans sa maison, et Périclès ordonner froidement à un de ses esclaves de prendre un flambeau et de conduire cet homme chez lui.

Quand on vit enfin que partout il montrait non seulement le talent, mais encore la vertu propre à la circonstance; dans son intérieur, la modestie et la frugalité des temps anciens ; dans les emplois de l'administration, un désintéressement et une probité inaltérables; dans le commandement des armées, l'attention à ne rien donner au hasard, et à risquer plutôt sa réputation que le salut de l'Etat, on pensa qu'une âme qui savait mépriser les louanges et l'insulte, les richesses, les superfluités, et la gloire elle-même, devait avoir pour le bien public cette chaleur dévorante qui étouffe les autres passions, ou qui du moins les réunit dans un sentiment unique.

Ce fut surtout cette illusion qui éleva Périclès; et il sut l'entretenir, pendant près de quarante ans, dans une nation éclairée, jalouse de son autorité, et qui se lassait aussi facilement de son admiration que de son obéissance.

Il avait subjugué le parti des riches en flattant la multitude; il subjugua la multitude en réprimant ses caprices, tantôt par une opposition invincible, tantôt par la sagesse de ses conseils, ou par les charmes de son éloquence. Tout s'opérait par ses volontés, tout se faisait, en apparence, suivant les règles établies; et la liberté, rassurée par le maintien des formes républicaines, expirait, sans qu'on s'en aperçût, sous le poids du génie.

Plus la puissance de Périclès augmentait, moins il prodiguait son crédit et sa présence. Renfermé dans un petit cercle de parens et, d'amis, il veillait, du fond de sa retraite, sur toutes les parties du gouvernement, tandis qu'on ne le croyait occupé qu'à pacifier ou bouleverser la Grèce. Les Athéniens, dociles au mouvement qui les entraînait, en respectaient l'auteur, parce qu'ils le voyaient rarement implorer leurs suffrages: et, aussi excessifs dans leurs expressions que dans leurs sentimens, ils ne représentaient Périclès que sous les traits du plus puissant des Dieux. Faisait-il entendre sa voix dans les occasions essentielles, on disait que Jupiter lui avait confié la foudre et

les éclairs. N'agissait-il dans les autres que par le ministère de ses créatures, on se rappelait que le Souverain des cieux laissait à des génies subalternes les détails du gouvernement de l'univers.

Périclès, dans la troisième année de la guerre du Péloponèse, mourut des suites de la peste ; et cette perte fut pour les Athéniens la plus irréparable. Quelque temps auparavant, aigris par l'excès de leurs maux, ils l'avaient dépouillé de son autorité, et condamné à une amende : ils venaient de reconnaître leur injustice, et Périclès la leur avait pardonnée, quoique dégoûté du commandement par la légèreté du peuple, et par la perte de sa famille et de la plupart de ses amis, que la peste avait enlevés.

Près de rendre le dernier soupir, et ne donnant plus aucun signe de vie, les principaux d'Athènes, assemblés autour de son lit, soulageaient leur douleur en racontant ses victoires et le nombre de ses trophées. « Ces exploits, leur dit-il en se soulevant avec effort, sont l'ouvrage de la fortune, et me sont communs avec d'autres généraux : le seul éloge que je mérite, est de n'avoir fait prendre le deuil à aucun citoyen.

»

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

Alcibiade.

DES historiens ont flétri la mémoire de cet Athénien; d'autres l'ont relevée par des éloges, sans qu'on puisse les accuser d'injustice ou de partialité. Il semble que la nature avait essayé de réunir en lui tout ce qu'elle peut produire de plus fort en vices et en vertus.

Une origine illustre, des richesses considérables, la figure la plus distinguée, les grâces les plus séduisantes, un esprit facile et étendu, l'honneur enfin d'appartenir à Périclès tels furent les avantages qui éblouirent d'abord les Athéniens, et dont il fut ébloui le premier.

:

Dans un âge où l'on n'a besoin que d'indulgence et de 1. -24.

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