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voyez vos riches provinces qui vous offrent à l'envi tout ce qui sert à la construction; voyez ces ports creusés pour recevoir vos vaisseaux. La gloire, l'intérêt, la nécessité, la nature, tout vous appelle. Français, soyez grands comme vos ancêtres : régnez sur la mer; et mon ombre, en apprenant vos triomphes sur les peuples que j'ai vaincus, se réjouira encore dans son tombeau. » LE MÊME.

Péroraison de l'Eloge de Racine.

O MES concitoyens! ne vous opposez point à votre gloire, en vous opposant à celle de Racine. L'éloge de ce grand homme doit vous être cher, et peut-être n'est-il pas inutile. Les barbares approchent, l'invasion vous menace; songez que les déclamateurs en vers et en prose ont succédé jadis aux poëtes et aux orateurs. Retardez du moins parmi vous, s'il est possible, cette inévitable révolution. Joignez-vous aux disciples du bon siècle pour arrêter le torrent; encouragez l'étude des anciens, qui seule peut conserver parmi vous le feu sacré prêt à s'éteindre.

N'en croyez pas surtout ces esprits impérieux et exaltés qui trouvent la littérature du dernier siècle timide et pusillanime; qui, sous prétexte de nous délivrer de ces utiles entraves, et qui ne donnent que plus de ressort aux talens et plus de mérite aux beaux-arts, ne songent qu'à se délivrer eux-mêmes des règles du bon sens qui les importunent.

Ne les croyez pas, ceux qui veulent être poëtes sans faire de vers, et grands hommes sans savoir écrire: ne voyez-vous pas que leur esprit n'est qu'impuissance, et `qu'ils voudraient mettre les systèmes à la place des talens?

Ne les croyez pas, ceux qui vantent sans cesse la nature brute; ils portent envie à la nature perfectionnée : ceux qui regrettent les beautés du chaos; vous avez sous

vos yeux les beautés de la création : ceux qui préfèrent un mot sublime de Shakespeare aux vers de Phèdre et de Mérope; Shakespeare est le poëte du peuple; Phèdre et Mérope sont les délices des hommes instruits.

Ne les croyez pas, ceux qui relèvent avec enthousiasme le mérite médiocre de faire verser quelques larmes dans un roman ; il est un peu plus beau d'en faire couler à la première scène d'Iphigénie: ceux qui justifient l'invraisemblable, l'outré, le gigantesque, sous prétexte qu'ils ont produit quelquefois un effet passager, et qu'ils peuvent étonner un moment; malheur à qui ne cherche qu'à étonner, car on n'étonne pas deux fois!

O mes concitoyens! je vous en conjure encore, méfiezvous de ces législateurs enthousiastes; opposez-leur toujours les Anciens et Racine; opposez-leur ce grand axiome de son digne ami, ce principe qui paraît si simple, et qui est si fécond: Rien n'est beau que le vrai. Et si vous voulez avoir sans cesse sous les yeux des exemples de ce beau et de ce vrai, relisez sans cesse Racine. LA HARPE.

Exhortation à l'étude des Sciences naturelles.

Er comment ne conserveriez-vous pas à jamais votre ardeur pour les sciences naturelles? Quelque destinée qui vous attende, dans quelque contrée du globe que vos jours doivent couler, la nature vous environnera sans cesse de ses productions, de ses phénomènes, de ses merveilles. Dans les vastes plaines et au milieu des bois touffus, sur le haut des monts et dans le fond de la vallée solitaire, vers le bord des ruisseaux paisibles et sur l'immense surface de l'Océan agité, vous serez sans cesse entourés des objets de votre étude.

Elle vous suivra partout, cette collection que la nature déploie avec tant de magnificence devant les yeux dignes de la contempler, et qui est si supérieure à toutes celles

que le temps, l'art et la puissance réunissent dans les temples consacrés à l'instruction. Et quel est le point de la terre où la science aux progrès de laquelle nous nous sommes voués ne nous montre pas un nouvel être à décrire, une nouvelle propriété à reconnaître, un nouveau phénomène à dévoiler? Quel est le climat où transportant, multipliant, perfectionnant les espèces ou les races, et donnant à l'agriculture des secours plus puissans, au commerce des productions plus nombreuses ou plus belles, aux nations populeuses des moyens de subsistance plus agréables, plus salubres, plus abondans, vous ne puissiez bien mériter de vos semblables?

Ah! ne renoncez jamais à la source la plus pure du bonheur qui peut être réservé à l'espèce humaine. Tout ce que la philosophie a dit de l'étude en général, combien nous devons nous le dire, avec plus de raison, de cette passion constante et douce qui s'anime par le temps, échauffe sans consumer, entraîne avec tant de charme, imprime à l'âme des mouvemens si vifs et cependant si peu tumultueux, s'empare de l'existence tout entière, l'arrache au trouble, à l'inquiétude, aux regrets, l'attache avec tant de force à la conquête de la vérité, a pour premier terme l'observation des actes de la faculté créatrice, pour dernier but le perfectionnement, pour jouissance une paix intérieure, un contentement secret et inexprimable, et pour récompense l'estime de son siècle et de la postérité ! Comme elle embellit tous les objets avec lesquels elle s'allie! A quel âge, à quel état, à quelle fortune ne convient-elle pas? Elle enchante nos jeunes années, elle plaît à l'âge mûr, elle pare la vieillesse de fleurs, dissipant les chagrins, calmant les douleurs, écartant les ennuis, allégeant le fardeau du pouvoir, soulageant du souci des affaires pénibles, faisant oublier jusques à la misère, consolant du malheur d'une trop' grande renommée; quelle adversité ne diminue-t-elle pas ?

Jetez les yeux sur les hommes célèbres dont on nous

a transmis les actions les plus secrètes. Quels ont été les plus heureux? ceux qui se sont livrés à la contemplation de la nature. J'en atteste Aristote, Linné, Buffon, Bonnet, et ce Bernard de Jussieu, dont la tendre sollicitude pour la conservation d'une plante nouvelle peignait si bien la paisible félicité; et ce naturaliste (1) que nous possédons encore parmi nous, et dont la vieillesse, si justement honorée, jouit, au milieu du calme d'une vie très-prolongée, heureuse et sereine, de la reconnaissance de ses contemporains et de l'affection de mes savans collègues. J'en atteste même les illustres victimes de leur passion sacrée : Pline, qui meurt au milieu du Vésuve; tant de célèbres voyageurs qui expirent pour la science sur une terre étrangère; ces infortunés compagnons de La Peyrouse, dont la mer a tout dévoré, excepté leurs droits sur la postérité. Et les sacrifices utiles, le dévouement généreux, le saint enthousiasme, n'ont-ils pas aussi leur bonheur suprême ?

Non, après la vertu, rien ne peut nous conduire plus sûrement à la félicité que l'amour des sciences naturelles. Et vous qui m'écoutez, et qui, jeunes encore, formez notre plus chère espérance; vous, devant qui s'ouvre une carrière que vous pouvez illustrer par tant de travaux ; ah! lorsque vous aurez éprouvé cette vérité consolante que le bonheur est dans la vertu qui aime, et dans la science qui éclaire; lorsqu'au milieu de l'éclat de la gloire, ou dans l'obscurité d'une retraite paisible, vous jouirez du charme attaché à l'étude de la nature, et que votre cœur vous retracera vos premières années, vos premiers efforts, vos premiers succès, mêlez quelquefois à ces pensées le souvenir de celui qui alors ne sera plus, mais qui aujourd'hui, et de toutes les facultés de son âme et de son esprit, vous appelle aux plus heureuses destinées.

LACÉPÈDE. Disc. de clôture du Cours d'Hist. Nat.

(1) Daubenton, que les sciences ont perdu depuis.

DIALOGUES

PHILOSOPHIQUES OU LITTÉRAIRES.

Conservez à chacun son propre caractère.
Qu'en tout avec soi-même il se montre d'accord,
Et qu'il soit jusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord.
BOILEAU, Art poét., ch. III.

PRÉCEPTES Du genre.

C'EST un grand bien que de s'amuser; c'en est un plus grand de s'instruire. La lecture, qui réunit ces deux avantages, ressemble à un fruit délicieux et nourrissant tout à la fois. Telle est la perfection du dialogue philosophique ou littéraire. Il n'est personne qui, après avoir lu ceux des dialogues de Platon où se peint l'âme de Socrate, ne se sente plus de respect et plus d'amour pour la vertu ; il n'est personne qui, après avoir lu les dialogues de Cicéron sur l'art oratoire, n'ait de l'éloquence une idée plus haute, plus étendue, plus lumineuse, et plus féconde. Ainsi le dialogue, quand il n'est point oiseux, a pour objet un résultat, ou de sentiment, ou d'idée. Celui qui n'est qu'un jeu d'esprit, un choc d'opinions, d'où jaillissent des étincelles, mais qui ne laisse à la fin qu'incertitude et obscurité, n'est pas ce qu'on doit appeler le dialogue philosophique, c'est le dialogue sophistique.

Il n'y a rien de plus aisé que de soutenir des paradoxes par des sophismes, que de donner à des choses éloignées et dissemblables une apparence de rapport, et de paraître

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