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Jacques Molay, grand-maître des Templiers, à ses Juges.

N'ATTENDEZ pas, Messieurs, que, gentilhomme et chevalier, j'aille noircir, par une atroce calomnie, la réputation de tant de gens de bien, à qui j'ai si souvent vu faire des actions d'honneur. Ils ne sont coupables ni de lâcheté ni de trahison; et, si vous en voyez ici deux qui perdent leur honneur et leur âme, pour sauver une misérable vie, vous en avez vu mille périr constamment dans les gênes, et confirmer par leur mort l'innocence de leur vie. Je vous demande donc pardon, victimes illustres et généreuses, si, par une lâche complaisance, je vous ai faussement accusées de quelques crimes devant le roi à Poitiers; j'ai été un calomniateur; tout ce que j'ai dit est faux et controuvé : j'ai été un sacrilége moi-même et un impie, 'de proférer de si exécrables mensonges contre un Ordre si saint, si pieux et si catholique. Je le reconnais pour tel, et innocent de tous les crimes dont la malice des hommes a ôsé le charger; et parce que je ne saurais jamais assez réparer de parole le crime que j'ai commis en le calomniant, il est juste que je meure; et je m'offre de bon cœur à tous les tourmens qu'on me voudra faire souffrir. Sus donc (en se tournant vers les cardinaux), inventez-en de nouveaux pour moi, qui suis le seul coupable: achevez sur ce misérable corps, achevez les cruautés que vous avez exercées sur tant d'innocens. Allumez vos bûchers; faites-y conduire le dernier des Templiers, et rassasiez enfin votre cupidité des richesses qui font tout leur crime, et qui ne sont que le prix glorieux de leurs travaux pour la protection de la foi et la défense des saints lieux.

MÉZERAY.

La Pucelle d'Orléans sur le bûcher.

EH BIEN! êtes-vous à la fin de vos souhaits? m'avez vous enfin amenée à un endroit où vous pensez que je ne vous serai plus redoutable? Lâches que vous êtes, qui avez eu peur d'une fille, et qui, n'ayant pu être soldats, êtes devenus bourreaux; impies et impitoyables, qui vous efforcez en vain de combattre contre Dieu, dites-moi, pensez-vous par votre tyrannie détourner les secrets de sa toute-puissance? Ne restait-il plus pour comble à votre orgueil et à vos injustices, qui veulent, en dépit de la Providence divine, ravir la couronne de France au légitime héritier, que de faire mourir une innocente prisonnière de guerre par un supplice digne de votre cruauté? Celui même qui m'a donné la force de vous châtier en tant de rencontres, de vous chasser de tant de villes, et de vous mener battant aussi facilement que j'ai mené autrefois un troupeau de moutons, m'a encore, par sa divine bonté, donné le courage de craindre aussi peu vos flammes que j'ai redouté vos épées. Vous ne me faites point injure, parce que je suis disposée à tout souffrir pour sa gloire; mais votre crime s'élevant contre sa majesté, vous sentirez bientôt la pesanteur de sa justice, dont je n'étais qu'un faible instrument. De mes cendres naîtront vos malheurs et la punition de vos crimes: Ne vous mettez pas dans l'esprit qu'avec moi la vengeance de Dieu soit étouffée; ces flammes ne feront qu'allumer sa colère, qui vous dévorera; ma mort vous coûtera deux cent mille hommes, et, quoique morte, je vous chasserai de Paris, de la Normandie et de la Guienne, où vous ne remettrez jamais le pied. Et, après que vous aurez été battus en mille endroits et chassés dé toute la France, vous n'emporterez avec vous en Angleterre que la colère divine, qui, vous poursuivant toujours sans relâche, remplira votre pays

de beaucoup plus grandes calamités, meurtres et discordes, que votre tyrannie n'en a fait naître dans ce royaume; et sachez que vos Rois perdront le leur avec la vie pour avoir voulu usurper celui d'autrui. C'est le Dieu des armées, protecteur des innocens et sévère vengeur des outrages, qui vous l'annonce par ma bouche. LE MÊME. Histoire de France.

M. de Matignon au Connétable de Bourbon pour le détourner de négocier avec les ennemis de la France.

Si la fidélité, que je vous ai toujours témoignée par mes services, et qu'il vous a plu honorer de tant de récompenses, mérite d'être écoutée en vos propres intérêts, je ne puis plus vous celer, Monseigneur, qu'il est étrange que ceux qui projettent de certains traités secrets, sous couleur de fidélité et d'affection, hasardent ainsi votre honneur et votre personne, pour se rendre considérables au désavantage de leur maître. Je sais bien qu'il n'importe guère à des gens, qui n'ont plus ni conscience ni foi, de ruiner leur patrie, et de bouleverser un royaume où ils ne sont point considérés ; mais quelqu'un de vos bons serviteurs peut-il souffrir que leurs intrigues s'ourdissent sous votre nom, et qu'ils engagent un Connétable et un Prince du sang dans leurs attentats? Voyez, s'il vous plaît, Monseigneur, de quelle affection ils sont portés à votre service, qu'ils veulent que l'appréhension de perdre une partie de vos biens vous les fasse tous perdre; que vous quittiez la France pour vous venger d'une injure que vous n'avez point encore reçue, et que vous preniez la fuite devant une femme, de peur de lui céder. Certes, ils vous offensent bien plus que ne font vos ennemis mêmes; le procès (1)

(1) La Régente lui avait intenté un procès pour la succession de la Maison de Bourbon.

intenté contre vous ne saurait vous ôter que des terres; mais ces gens voudraient vous ôter l'honneur, que les âmes nobles estiment plus que tous les sceptres du monde ; la gloire, que vos ancêtres vous ont laissée, et que vous avez portée vous-même au plus haut point, en chassant deux grands Empereurs, l'un d'Italie (1), et l'autre des frontières de France (2); votre charge avec laquelle vous commandez aux armées victorieuses des Français; enfin les espérances de parvenir à la couronne, dont vous n'êtes éloigné que de trois degrés; et, pour vous dédommager de toutes ces pertes irréparables, ils vous proposent, sous la foi espagnole, sur la parole d'un Prince qui désavouera ses agens quand il lui plaira, un mariage peu assuré (3), dont la dot est une injuste guerre contre votre patrie, et les avances un honteux bannissement. Il est vrai que la Régente a fort mal traité Votre Altesse, et qu'elle lui fait souffrir d'énormes injustices; mais quel déplaisir vous a fait la France, elle qui vous a si chèrement nourris, vous et vos ancêtres; elle qui vous a élevés dans un si haut éclat, et qui a rendu votre grandeur si puissante qu'elle peut aujourd'hui lui être funeste? Oui, Monseigneur, votre puissance est seule capable de la détruire; mais votre vertu est trop grande pour se rendre complice d'un si étrange dessein. Vous n'exposerez pas ce royaume, en proie à ceux mêmes contre lesquels vous l'avez vigoureusement défendu; vous n'entreprendrez pas de ruiner un héritage qui peut quelque jour vous appartenir, pour le partager avec des étrangers; vous ne deviendrez pas le gendre des ennemis de votre Roi, dont vous êtes déjà le cousin, et dont vous pouvez être le beau-frère. Au reste, comme Sa Majesté est généreuse et magnanime, et que

(1) Maximilien.

(2) Charles-Quint.

(3) Charles-Quint lui promettait sa sœur Eléonore, veuve du Roi de Portugal,

les offenses que vous avez souffertes ne sont pas venues de son propre mouvement, il ne faut pas douter qu'elle les réparera, avec d'autant plus de générosité que vous lui aurez témoigné de patience Enfin, la force du sang et la raison seront plus puissantes sur son esprit que les mauvais conseils; un peu de constance vous fera triompher de tous vos envieux; et la justice de votre cause, jointe à la gloire de vos belles actions, l'obligera, malgré l'envie, à vous donner la jouissance de tous vos souhaits. Mais, quand le Roi ne se porterait pas de lui-même à vous accorder ce que votre rang, votre souveraine vertu et vos services lui demandent, assurez-vous que la nécessité pressante de ses affaires l'y forcera. Car, si ses ennemis n'espèrent point le surmonter sans votre moyen, aussi ne leur saurait-il faire tête sans votre invincible valeur.

LE MÊME. Règne de François Ier.

Renault aux principaux Conjurés.

IL commença par une narration simple et étendue de l'état présent des affaires, des forces de la république et des leurs, de la disposition de la ville et de la flotte, des préparatifs de don Pèdre et du Duc d'Ossone, des armes et des provisions de guerre qui étaient chez l'ambassadeur d'Espagne, des intelligences qu'il avait dans le Sénat et parmi les nobles, enfin, de la connaissance exacte qu'on avait prise de tout ce qu'il pouvait être nécessaire de savoir. Après s'être attiré l'approbation de ses auditeurs, par le récit de ces choses dont ils savaient la vérité comme lui, et qui étaient presque toutes les effets de leurs soins aussi bien que des siens :

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Voilà, mes compagnons, continua-t-il, quels sont les moyens destinés pour vous conduire à la gloire que vous cherchez, Chacun de vous peut juger s'ils sont suf

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