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ses frayeurs par ces tristes soins et cet appareil lugubre qui devancent la mort, il ne la verrait point arriver.

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La mort n'est donc pas une chose aussi terrible que nous nous l'imaginons ; nous la jugeons mal de loin ; c'est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, et qui disparaît lorsqu'on vient à en approcher de près; nous n'en avons donc que des notions fausses; nous la regardons non seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des plus pénibles angoisses; nous avons même cherché à grossir dans notre imagination ces funestes images, et à augmenter nos craintes en raisonnant sur la nature de la douleur. Elle doit être extrême, a-t-on dit, lorsque l'âme se sépare du corps; elle peut aussi être de très-longue durée, puisque, le temps n'ayant d'autre mesure que la succession de nos idées, un instant de douleur très-vive, pendant lequel ces idées se succèdent avec une rapidité proportionnée à la violence du mal, peut nous paraître plus long qu'un siècle pendant lequel elles coulent lentement et relativement aux sentimens tranquilles qui nous affectent ordinairement. Quel abus de la philosophie dans ce raisonnement! il ne mériterait pas d'être relevé, s'il était sans conséquence; mais il influe sur le malheur du genre humain. Il rend l'aspect de la mort mille fois plus affreux qu'il ne peut être ; et, n'y eût-il qu'un très-petit nombre de gens trompés par l'apparence spécieuse de ces idées, il serait toujours utile de les détruire, et d'en faire voir la fausseté.

Lorsque l'âme vient à s'unir à notre corps, avons-nous un plaisir excessif, une joie vive et prompte qui nous transporte et nous ravisse? Non, cette union se fait sans que nous nous en apercevions; la désunion doit s'en faire de même, sans exciter aucun sentiment. Quelle raison a-t-on pour croire que la séparation de l'âme et du corps ne puisse se faire ans une douleur extrême? Quelle cause peut produire cette douleur ou l'occa

sionner? La fera-t-on résider dans l'âme ou dans le corps? La douleur de l'âme ne peut être produite que par la pensée ; celle du corps est toujours proportionnée à sa force et à sa faiblesse : dans l'instant de la mort naturelle, le corps est plus faible que jamais ; il ne peut donc éprouver qu'une très-petite douleur, si même il en éprouve aucune.

BUFFON. Histoire de l'Homme.

Loi universelle de la Mort.

DANS le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite, qui arme tous les êtres les uns contre les autres. Dès que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières même de la vie. Déjà, dans le règne végétal, on commence à sentir sa loi; depuis l'immense catalpa jusqu'au plus humble graminée, combien de plantes meurent, et combien sont tuées! Mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence. Une force à la fois cachée et palpable se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violens. Dans chaque grande division de l'espèce animale, elle a choisi un certain nombre d'animaux qu'elle a chargés de dévorer les autres : ainsi, il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie et des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de sa durée où l'être vivant ne soit dévoré par un autre. Au-dessus des nombreuses races d'animaux est placé l'homme, dont la main destructive n'épargne rien de ce qui vit; il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour se défendre, il tue pour attaquer, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour

tuer. Ce roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rien ne lui résiste. Il sait combien la tête du requin ou du cachalot lui fournira de barriques d'huile ; son épingle déliée pique, sur le carton des musées, l'élégant papillon qu'il a saisi au vol sur le sommet du Mont-Blanc ou du Chimboraço; il empaille le crocodile, il embaume le colibri; à son ordre, le serpent à sonnettes vient mourir dans la liqueur conservatrice qui doit le montrer intact aux yeux d'une longue suite d'observateurs. Le cheval qui porte son maître à la chasse du tigre, se pavane sous la peau de ce même animal. L'homme demande tout à la fois ses entrailles pour faire résonner une harpe; à la baleine, ses fanons pour soutenir le corset de la jeune vierge; au loup, sa dent la plus meurtrière pour polir les ouvrages les plus légers de l'art; à l'éléphant, ses défenses pour façonner le jouet d'un enfant ses tables sont couvertes de cadavres. Le philosophe peut même découvrir comment le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrêtera-t-elle à l'homme? Non, sans doute. Cependant, quel être exterminera celui qui les extermine tous? lui; c'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme.

Jos. DE MAISTRE. Soirées de Saint-Pétersbourg.

Félicité des Hommes vertueux dans les Champs-Elysées.

TÉLÉMAQUE s'avança vers ces Rois, qui étaient dans des bocages odoriférans, sur des gazons toujours renaissans et fleuris; mille petits ruisseaux d'une onde pure arrosaient ces beaux lieux, et y faisaient sentir une délicieuse fraîcheur: un nombre infini d'oiseaux faisaient résonner ces bocages de leurs doux chants; on voyait tout ensemble les fleurs du printemps qui naissent sous les pas, avec les riches fruits de l'automne qui pendaient des arbres.

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Là jamais on ne ressentit les ardeurs de la canicule; là jamais les noirs aquilons n'osèrent souffler ni faire sentir les rigueurs de l'hiver. Ni la guerre altérée de sang, ni la cruelle envie qui mord d'une dent venimeuse, et qui porte des vipères entortillées dans son sein et autour de ses bras, ni les jalousies, ni les défiances, ni la crainte, ni les vains désirs n'approchent jamais de cet heureux séjour de la paix : le jour n'y finit point, et la nuit avec ses sombres voiles y est inconnue : une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d'un vêtement. Cette lumière n'est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n'est que ténèbres; c'est plutôt une gloire céleste qu'une lumière : elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais, que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal; elle n'éblouit jamais au contraire, elle fortifie les yeux, et porte dans le fond de l'âme je ne sais quelle sérénité. C'est d'elle seule que les hommes bienheureux sont nourris; elle sort d'eux, et elle y entre: elle les pénètre, et s'incorpore à eux comme les alimens s'incorporent à nous; ils la voient, ils la sentent, ils la respirent; elle fait naître en eux une source intarissable de paix et de joie: ils sont plongés dans cet abîme de délices comme les poissons dans la mer; ils ne veulent plus rien; ils ont tout sans rien avoir; car le goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur. Tous leurs désirs sont rassasiés, et leur plénitude les élève au-dessus de tout ce que les hommes vides et affamés cherchent sur la terre toutes les délices qui les environnent ne leur sont rien, parce que le comble de leur félicité, qui vient du dedans, ne leur laisse aucun sentiment pour tout ce qu'ils voient de délicieux au dehors: ils sont tels que les Dieux qui, rassasiés de nectar et d'ambroisie, ne daigneraient pas se nourrir de viandes grossières qu'on leur présenterait à la table la plus exquise des hommes mortels.

Tous les maux s'enfuient loin de ces lieux tranquilles : la mort, la maladie, la pauvreté, la douleur, les regrets, les remords, les craintes, les espérances même qui coûtent souvent autant de peines que les craintes ; les divisions, les dégoûts, les dépits n'y peuvent avoir

aucune entrée.

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Les hautes montagnes de Thrace, qui, de leurs fronts couverts de neige et de glace depuis l'origine du monde, fendent les nues, seraient renversées de leurs fondemens posés au centre de la terre, que les coeurs de ces hommes ne pourraient pas même être émus; seulement ils ont pitié des misères qui accablent les hommes vivans dans le monde mais c'est une pitié douce et paisible qui n'altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leur visage; mais leur joie n'a rien de folâtre, d'indécent c'est une joie douce, noble, pleine de majesté ; c'est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte: ils sont sans interruption, à chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère qui revoit son cher fils qu'elle avait cru mort; et celle joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes. Jamais elle ne languit un instant : elle est toujours nouvelle pour eux; ils ont le transport de l'ivresse, sans en avoir le trouble et l'aveuglement. Ils s'entretiennent ensemble de ce qu'ils voient et de ce qu'ils goûtent; ils foulent à leurs pieds les molles délices, et les vaines grandeurs de leurs anciennes conditions qu'ils déplorent; ils repassent avec plaisir ces tristes, mais courtes années, où ils ont eu besoin de combattre contre eux-mêmes et contre le torrent des hommes corrompus pour devenir bons; ils admirent le secours des Dieux qui les ont conduits, comme par la main, à la vertų, au milieu de tant de périls.

Je ne sais quoi de divin coule sans cesse au travers de leur cœur comme un torrent de la Divinité même qui

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