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Il n'en est pas ainsi chez les Chinois, ce peuple le plus ancien de la terre, parce que son gouvernement est fondé sur les lois de la nature. Leurs tombeaux font un des principaux ornemens des environs de leurs villes. Chaque famille a en propriété une petite portion de terre dans les collines du voisinage. Elle y fait creuser une grotte, où elle dépose avec un respect religieux les corps de ses parens; l'entrée de la grotte est décorée de quelques arbres, à l'ombre desquels se reposent souvent les voyageurs. Lorsqu'un corps est consumé par le temps et par la chaux, on l'ensevelit. Le plus proche parent, vêtu d'une grosse étoffe de chanvre, et ceint d'une corde, vient, à la tête de la famille, en recueillir les ossemens; il les dépose dans une urne de porcelaine, qu'il place, avec celles de ses ancêtres, dans une chambre particulière de sa maison. C'est là qu'il retrouve des urnes pleines de pleurs, suivant l'expression de Juvénal. Il y voit aussi d'un coup d'œil ses nombreux aïeux, qui se sont succédé pendant plusieurs siècles. Le sentiment d'une longue antiquité est dans sa famille, comme il est dans l'Empire. Elle voit, à la suite les uns des autres, auteurs auxquels elle doit le jour; et, plusieurs fois par an, elle invoque, par des sacrifices et des libations, leurs esprits qu'elle croit retournés dans les cieux; elle les prie de lui inspirer de bons conseils, et de présider à ses destinées. C'est sans doute à des rites aussi touchans, et à ces sentimens religieux envers leurs parens morts, que les Chinois doivent l'amour qu'ils portent à leurs parens vivans et à leur patrie. Leurs tombeaux sont les fondemens de leur Empire, qui dure depuis plus de quatre mille ans.

LE MÊME. Harmonies de la Nature, tom. II.

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Rapidité de la Vie.

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La vie humaine est semblable à un chemin, dont l'issue est un précipice affreux : on nous en avertit dès le premier pas, mais la loi est prononcée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner sur mes pas; marche marche. Un poids invincible, une force invincible nous entraîne ; il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route; encore si je pouvais éviter ce précipice affreux. Non, non, il faut marcher, il faut courir, telle est la rapidité des années. On se console pourtant, parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait arrêter; marche, marche. Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé; fracas effroyable, inévitable ruine! On se console parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir, quelques fruits qu'on perd en les goûtant. Enchantement! toujours entraîné, tu approches du gouffre. Déjà tout commence à s'effacer; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires, tout se ternit, tout s'efface : l'ombre de la mort se présente; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent, il faut marcher. On voudrait retourner en arrière, plus de moyen ; tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.

BOSSUET.

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La Mort.

Nous la portons tous en naissant dans le sein. Il semble que nous avons sucé, dans les entrailles de nos mères, un poison lent, avec lequel nous venons au monde, qui nous fait languir ici-bas, les uns plus, les autres moins, mais qui finit toujours par le trépas. Nous mourons tous les jours; chaque instant nous dérobe une portion de notre vie, et nous avance d'un pas vers le tombeau. Le corps dépérit, la santé s'use, tout ce qui nous environne nous détruit, les alimens nous corrompent, les remèdes nous affaiblissent, ce feu spirituel, qui nous anime au dedans, nous consume, et toute notre vie n'est qu'une longue et pénible agonie. Or, dans cette situation, quellc image devrait être plus familière à l'homme que celle de la mort? Un criminel condamné à mourir, quelque part qu'il jette les yeux, que peut-il voir que ce triste objet? Et le plus ou le moins que nous avons à vivre fait-il une différence assez grande pour nous regarder comme immortels sur la terre?

Il est vrai que la mesure de nos destinées n'est pas égale : les uns voient croître en paix, jusqu'à l'âge le plus reculé, le nombre de leurs années; et, héritiers des bénédictions de l'ancien temps, ils meurent pleins de joie, au milieu d'une nombreuse postérité; les autres, arrêtés dès le milieu de leur course, voient les portes du tombeau s'ouvrir en un âge encore florissant, et cherchent en vain le reste de leurs années. Enfin, il en est qui ne font que se montrer à la terre, qui finissent du matin au soir, et qui, semblables à la fleur des champs, ne mettent presque point d'intervalle entre l'instant qui les voit éclore et celui qui les voit sécher et disparaître. Le moment fatal, marqué à chacun, est un secret écrit dans le livre éternel.

Nous vivons donc tous, incertains de la durée de nos jours; et cette incertitude, si capable toute seule de nous rendre attentifs à cette dernière heure, endort elle-même notre vigilance. Nous ne songeons point à la mort, parce que nous ne savons pas où la placer dans les différens âges de notre vie. Nous ne regardons pas même la vieillesse comme le terme du moins sûr et inévitable. Le doute si l'on y parviendra, qui devrait, ce semble, borner en deçà nos espérances, fait que nous les étendons même au-delà de cet âge. Notre crainte, ne pouvant poser sur rien de certain, n'est plus qu'un sentiment vague et confus qui ne porte sur rien du tout; de sorte que l'incertitude, qui ne devrait tomber que sur le plus ou le moins, nous rend tranquilles sur le fond même (1).

MASSILLON.

Même sujet.

POURQUOI craindre la mort, si l'on a assez bien vécu pour n'en pas craindre la suite? Pourquoi redouter cet instant, puisqu'il est préparé par une infinité d'autres instans du même ordre, puisque la mort est aussi naturelle que la vie, et que l'une et l'autre nous arrivent de la même façon sans que nous le sentions, sans que nous puissions nous en apercevoir ? Qu'on interroge les hommes accoutumés à observer les actions des mourans et à recueillir leurs derniers sentimens ; ils conviendront qu'à l'exception d'un très-petit nombre de maladies aiguës, où l'agitation, causée par des mouvemens convulsifs, semble indiquer les souffrances du malade, dans tous les autres on meurt tranquillement, doucement et sans douleurs; et même ces terribles agonies effraient plus les spectateurs qu'elles ne tourmentent les malades;

(1) Voyez en vers, les Leçons Latines anciennes et modernes.

car combien n'en a-t-on pas vus qui, après avoir été à cette dernière extrémité, n'avaient aucun souvenir de ce qui s'était passé, non plus que de ce qu'ils avaient senti! Ils avaient réellement cessé d'être pour eux pendant ce temps, puisqu'ils sont obligés de rayer du nombre de leurs jours tous ceux qu'ils ont passés dans cet état, duquel il ne leur reste aucune idée.

La plupart des hommes meurent donc sans le savoir; et, sur le petit nombre de ceux qui conservent de la connaissance jusqu'au dernier soupir, il ne s'en trouve peut ́être pas un qui ne conserve en même temps de l'espérance, et qui ne se flatte d'un retour vers la vie. La nature a, pour le bonheur de l'homme, rendu ce sentiment plus fort que la raison. Un malade dont le mal est incurable, qui peut juger son état par des exemples fréquens et familiers, qui en est averti par les mouvemens inquiets de sa famille, par les larmes de ses amis, par la contenance ou l'abandon des médecins, n'en est pas plus convaincu qu'il touche à sa dernière heure; l'intérêt est si grand qu'on ne s'en rapporte qu'à soi; on n'en croit pas les jugemens des autres, on les regarde comme des larmes peu fondées; tant qu'on se sent et qu'on pense, on ne réfléchit, on ne raisonne que pour soi, et tout est mort, que l'espérance vit encore.

Jetez les yeux sur un malade qui vous aura dit cent fois qu'il se sent attaqué à mort, qu'il voit bien qu'il ne peut pas en revenir, qu'il est prêt à expirer; examinez ce qui se passe sur son visage, lorsque par zèle ou par indiscrétion quelqu'un vient à lui annoncer que sa fin est prochaine en effet; vous le verrez changer comme celui d'un homme auquel on annonce une nouvelle imprévue; ce malade ne croit donc pas ce qu'il dit lui-même tant il est vrai qu'il n'est nullement convaincu qu'il doit mourir! Il a seulement quelque doute, quelque inquiétude sur son état ; mais il craint toujours beaucoup moins qu'il n'espère, et si l'on ne réveillait pas

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