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tune des événemens. Ne nous laissons pas éblouir à l'éclat des choses qui réussissent : ce que les Grecs, ce que les Romains, ce que nous-mêmes avons appelé une prudence admirable, c'est une heureuse témérité.

11 y a eu des hommes dont la vie a été pleine de miracles, quoiqu'ils ne fussent pas saints, et qu'ils n'eussent pas dessein de l'être; le Ciel bénissait toutes leurs fautes, le Ciel couronnait toutes leurs folies.

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Il devait périr cet homme fatal, il devait périr, dès le premier jour de sa conduite, par une telle entreprise; mais Dieu voulut se servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde la justice de Dieu voulait se venger, et avait choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances.

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La raison concluait qu'il tombât d'abord par les maximes qu'il a tenues; mais il est demeuré long-temps debout, par une raison plus haute qui l'a soutenu. Il été affermi dans son pouvoir par une force étrangère, et qui n'était pas de lui, par une force qui appuie la faiblesse, qui arrête les chutes de ceux qui se précipitent, qui n'a que faire des bonnes maximes pour conduire les bons succès. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensait exercer sa passion, et il exécutait les arrêts du Ciel. Avant de se perdre, il a eu le loisir de perdre les peuples et les Etats, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, de gâter le présent et l'avenir par les maux qu'il a faits, par les exemples qu'il a laissés.

Un peu d'esprit et beaucoup d'autorité, c'est ce qui a presque toujours gouverné le monde, quelquefois avec succès, quelquefois non, selon l'humeur du siècle, selon la disposition des esprits, plus farouches ou plus appri

voisés.

Mais il faut toujours en venir là. Il est très-vrai qu'il y a quelque chose de divin, disons davantage, il n'y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les Etats. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre

chaude de rébellion, cette léthargie de servitude, viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poëte, et les hommes ne sont que les acteurs.

Ces grandes pièces qui se jouent sur la terre, ont été composées dans le ciel, et c'est souvent un faquin qui doit en être l'Atrée ou l'Agamemnon.

Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instrumens et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains, tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre ou César.

Dieu dit lui-même de ces gens-là qu'il les envoie en sa colère, et qu'ils sont les verges de sa fureur. Mais ne prenez pas ici l'un pour l'autre les verges ne frappent ni ne blessent toutes seules; c'est l'envie, c'est la colère, c'est la fureur qui rendent les verges terribles et redoutables.

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Cette main invisible donne les coups que le monde sent; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme; mais la force qui accable est toute de Dieu (1), BALZAC.

La Gloire.

On a beaucoup déclamé contre la gloire; cela est naturel : il est beaucoup plus aisé d'en dire du mal que de la mériter. Tacite était plus ingénu; il convenait que c'était la dernière passion du sage, et apparemment la sienne. Il y a des hommes qui se vantent de la mépriser, et, pour qu'on n'en doute pas, ils le répètent : c'est une raison de plus pour ne les point croire. Chacun en secret y prétend; mais l'un s'affiche, et l'autre se cache. L'un a la vanité des petites choses, et l'autre l'orgueil des grandes. Corneille mettait sa gloire à faire Cinna; un courtisan de son siècle, à paraître avec grâce dans un ballet.

(1) Balzac écrivait ce morceau il y a deux cents ans.

Voulez-vous savoir ce que peut le sentiment de la gloire? Otez-la de dessus la terre, tout change; le regard de l'homme n'anime plus l'homme, il est seul dans la foule; le passé n'est rien; le présent se resserre; l'avenir disparaît; l'instant qui s'écoule périt éternellement, sans être d'aucune utilité pour l'instant qui doit suivre.

En parcourant l'histoire des Empires et des arts, je vois partout quelques hommes sur des hauteurs, et en bas le troupeau du genre humain qui suit de loin et à pas lents. Je vois la gloire qui guide les premiers, et ils guident l'univers (1).

THOMAS. Essai sur les Eloges.

La Gloire humaine.

LE propre de la gloire, c'est d'amasser autour de soi tout ce qu'elle peut. L'homme se trouve trop petit tout seul. Il tâche de s'agrandir et de s'accroître comme il peut. Il pense qu'il s'incorpore tout ce qu'il amasse, tout ce qu'il acquiert, tout ce qu'il gagne. Il s'imagine croître luimême avec son train qu'il augmente, avec ses appartemens qu'il rehausse, avec son domaine qu'il étend. Il ne peut augmenter sa taille et sa grandeur naturelle, il y applique ce qu'il peut par le dehors, et s'imagine qu'il devient plus grand, et qu'il se multiplie quand on parle de lui, quand il est dans la bouche de tous les hommes, quand il fait du bruit dans le monde. La vertu toute seule lui paraît trop unie et trop simple.

Quelquefois, à la vérité, la gloire se présente comme d'elle-même, et vient, pour ainsi dire, de bonne grâce. Alors je ne sais quoi nous dit dans le cœur que nous la

(1) Voyez plus haut, Définitions; et les Leçons Latines anciennes et modernes.

méritons d'autant plus que nous l'avons moins recherchée; mais elle n'en est alors que plus dangereuse.

BOSSUET.

Le Présent, l'Avenir.

LES hommes passent comme les fleurs qui s'épanouissent le matin, et qui le soir sont flétries et foulées. aux pieds. Les générations des hommes s'écoulent comme les ondes d'un fleuve rapide; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui paraît le plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils! toimême qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose : tu te verras changer insensiblement; les grâces riantes, les doux plaisirs qui t'accompagnent, la force, la santé, la joie, s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste souvenir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive : ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

FENELON. Télémaque.

Le Duel.

GARDEZ-VOUS de confondre le nom sacré de l'honneur avec ce préjugé féroce qui met toutes les vertus à la pointe d'une épée, et n'est propre qu'à faire de braves scélérats.

En quoi consiste ce préjugé? Dans l'opinion la plus extravagante et la plus barbare qui entra jamais dans l'esprit humain, savoir, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure ; qu'un homme n'est plus fourbe, fripon, calomniateur; qu'il est civil, humain, poli, quand il sait se battre ; que le mensonge se change en vérité, que le vol devient légitime; la perfidie honnête, l'infidélité louable, sitôt qu'on soutient tout cela le fer à la main ; qu'un affront est toujours bien réparé par un coup d'épée, et qu'on n'a jamais tort avec un homme, pourvu qu'on le tue. Il y a, je l'avoue, une autre sorte d'affaire où la gentillesse se mêle à la cruauté, et où l'on ne tue les gens que par hasard; c'est celle où l'on se bat au premier sang! Au premier sang! grand Dieu ! Et qu'en veux-tu faire de ce sang, bête féroce? le veux-tu boire?

Les plus vaillans hommes de l'antiquité songèrent-ils jamais à venger leurs injures personnelles par les combats particuliers? César envoya-t-il un cartel à Caton, ou Pompée à César, pour tant d'affronts réciproques? Et le plus grand capitaine de la Grèce fut-il déshonoré pour s'être laissé menacer d'un bâton? D'autres temps, d'autres mœurs, je le sais; mais n'y en a-t-il que de bonnes, et n'oserait-on s'enquérir si les mœurs d'un temps sont celles qu'exige le solide honneur? Non, cet honneur n'est point variable, il ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni des préjugés; il ne peut ni passer ni renaître ; il a sa source éternelle dans le cœur de l'homme 26

1.-24.

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