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fortune est l'honneur; ta fortune est l'estime de ta patrie, l'amour de tes concitoyens, le bien que tu peux faire. Si elle ne te suffit pas, renonce à un état que tu déshonores. Tu serais à la fois vil et malheureux, tourmenté et coupable, tu serais trop à plaindre.

Que le véritable homme de lettres est différent! Tout ce qui trouble et agite les autres hommes n'a point d'empire sur lui. Il ne court point après les récompenses; la sienne est dans son cœur. Si les richesses s'offrent à lui, il s'honore par leur usage; si elles s'éloignent, il s'honore par sa pauvreté. Ainsi les jours se succèdent, ainsi les années s'écoulent entre le bonheur et la paix. Enfin la tranquille vieillesse vient couronner ses travaux. Il voit le dernier terme sans remords et sans trouble. Il tourne les yeux vers la patrie dont il se sépare. Elle l'a honoré, elle le regrette. Il voit la postérité qui s'avance pour recevoir son nom. Si, en ramenant ses regards sur lui-même, il parcourt toutes les pensées de sa vie, il n'en trouve aucune qu'il désirât pouvoir effacer; toutes ont été utiles, toutes consacrées au bonheur des hommes. La douce idée de l'avenir se joint à celle du passé, et répand la sérénité sur ses derniers momens. Il meurt, mais ses pensées vivent, et feront encore quelque bien à la terre. lorsque ses cendres mêmes ne seront plus. Telle est la carrière de l'homme de lettres citoyen en est-il une où la gloire soit plus douce, et laisse au fond d'un cœur honnête une satisfaction plus touchante et plus pure (1)? THOMAS. Disc. de récept. à l'Acad. Franç.

La Retraite, essentielle au Travail.

EH! quel homme de talent n'en a pas fait l'expérience? C'est dans les antres solitaires qu'Apollon rendait autre

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes et modernes.

fois ses oracles. Ses prêtres criaient qu'on écartât les profanes au moment où ils allaient recevoir le Dieu. Ainsi l'orateur, le poëte, le grand écrivain, s'il attend et sollicite l'inspiration, fuit loin du séjour des villes, vers les demeures retirées et champêtres. A mesure qu'il s'en approche, les vaines rumeurs, les bruyantes frivolités, les tumultueuses distractions, les clameurs orageuses se perdent dans le lointain. Il semble que tout se taise autour de lui, et dans ce silence universel s'élève la voix du génie qui va se faire entendre au monde. Auparavant, il était gêné dans la foule; sa marche était contrainte, son langage timide; à présent ses liens sont brisés, il relève la son regard est fixe et assuré. Il est venu se placer à sa hauteur; il est seul, et la pensée alors sort indépendante et fière de l'âme qui l'a conçue. L'âme est rappelée à sa liberté originelle par le grand spectacle de la nature. L'immensité des campagnes, la sombre solitude des forêts et des rochers, la tempête de la nuit, le silence du matin, voilà les alimens de l'enthousiasme et les témoins du génie dans ses momens de création (1).

vue,

LA HARPE. Disc. de récept. à l'Acad. Franç.

La Solitude pour l'Homme de génie, pour le Sage.

HOMMES du monde si fiers de votre politesse et de vos avantages, souffrez que je vous dise la vérité : ce n'est jamais parmi vous que l'on fera ni que l'on pensera de grandes choses. Vous polissez l'esprit, mais vous énervez le génie qu'a-t-il besoin de vos vains ornemens? sa grandeur fait sa beauté. C'est dans la solitude que l'homme de génie est ce qu'il doit être ; c'est là qu'il rassemble toutes les forces de son âme. Aurait-il besoin des hommes? n'at-il pas avec lui la nature? et il ne la voit point à travers

(1) Voyez en vers, et les Leçons Latines modernes, t. II.

les petites formes de la société, mais dans sa grandeur primitive, dans sa beauté originelle et pure. C'est dans la solitude que toutes les heures laissent une trace, que tous les instans sont représentés par une pensée, que le temps est au sage, et le sage à lui-même. C'est dans la solitude surtout que l'âme a toute la vigueur de l'indépendance. Là elle n'entend point le bruit des chaînes que le despotisme et la superstition secouent sur leurs esclaves: elle est libre comme la pensée de l'homme qui existerait seul (i).

THOMAS. Eloge de Descartes.

Les Plaisirs naturels et l'Indépendance de la Vie champêtre, opposés aux Plaisirs factices et à la Servitude des villes.

EUTHYMÈNE nous parlait avec plaisir des travaux de la campagne, avec transport des agrémens de la vie champêtre.

Un soir, assis à table devant sa maison, sous de superbes platanes qui se courbaient au-dessus de nos têtes, il nous disait : « Quand je me promène dans mon champ, tout rit, tout s'embellit à mes yeux. Ces moissons, ces arbres, ces plantes, n'existent que pour moi, ou plutôt que pour les malheureux dont je vais soulager les besoins. Quelquefois je me fais des illusions pour accroître mes jouissances. Il me semble alors que la terre porte son attention jusqu'à la délicatesse, et que les fruits sont annoncés par les fleurs, comme parmi nous les bienfaits doivent l'être par les grâces.

« Une émulation sans rivalité forme les liens qui m'unissent avec mes voisins. Ils viennent souvent se ranger autour de cette table, qui ne fut jamais entourée que de

(1) Voyez, t. II, un morceau du même genre, par-Thomas, Fables et Allégories.

mes amis. La confiance et la franchise règnent dans nos entretiens. Nous nous communiquons nos découvertes; bien différens des autres artistes qui ont des secrets, chacun de nous est aussi jaloux de s'instruire que d'instruire les autres. »>

car,

S'adressant ensuite à quelques habitans d'Athènes qui venaient d'arriver, il ajoutait : « Vous croyez être libres dans l'enceinte de vos murs; mais cette indépendance que les lois vous accordent, la tyrannie de la société vous la ravit sans pitié des charges à briguer et à remplir, des hommes puissans à ménager, des noirceurs à prévoir et à éviter, des devoirs de bienséance plus rigoureux que ceux de la nature; une contrainte continuelle dans l'habillement, dans la démarche, dans les actions, dans les paroles; le poids insupportable de l'oisiveté, les lentes persécutions des importuns : il n'est aucune sorte d'esclavage qui ne vous tienne enchaînés dans ses fers.

« Vos fêtes sont si magnifiques ! et les nôtres si gaies! vos plaisirs si superficiels et si passagers! les nôtres si vrais et si constans! les dignités de la république imposent-elles des fonctions plus nobles que l'exercice d'un art sans lequel l'industrie et le commerce tomberaient en décadence?

« Avez-vous jamais respiré dans vos riches appartemens la fraîcheur de cet air qui se joue sous cette voûte de verdure? et vos repas, quelquefois si somptueux, valent-ils ces jattes de lait qu'on vient de traire, et ces fruits délicieux que nous avons cueillis de nos mains? Et quel goût ne prêtent pas à nos alimens des travaux qu'il est si doux d'entreprendre, même dans les glaces de l'hiver et dans les chaleurs de l'été, dont il est si doux de se délasser, tantôt dans l'épaisseur des bois, au souffle des zéphyrs, sur un gazon qui invite au sommeil, tantôt auprès d'une flamme étincelante, nourrie par des troncs d'arbres que je tire de mon domaine, au milieu de ma femme et de mes enfans, objets toujours nou

veaux de l'amour le plus tendre; au mépris de ces vents impétueux qui grondent autour de ma retraite, sans en troubler la tranquillité !

« Ah! si le bonheur n'est que la santé de l'âme, ne doiton pas le trouver dans les lieux où règne une juste proportion entre les besoins et les désirs, où le mouvement est toujours suivi du repos, et l'intérêt toujours accompagné du calme (1)? »

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

Bonheur de l'Obscurité.

HEUREUX aujourd'hui celui qui, au lieu de parcourir le monde, vit loin des hommes ! Heureux celui qui ne connaît rien au-delà de son horizon, et pour qui le village voisin même est une terre étrangère! il n'a point laissé son cœur à des objets aimés qu'il ne reverra plus, ni sa réputation à la discrétion des méchans. Il croit que l'innocence habite dans les hameaux, l'honneur dans les palais, et la vertu dans les temples. Il met sa gloire et sa religion à rendre heureux ce qui l'environne. S'il ne voit dans ses jardins ni les fruits de l'Asie ni les ombrages de l'Amérique, il cultive des plantes qui font la joie de sa femme et de ses enfans. Il n'a pas besoin des monumens de l'architecture pour ennoblir son paysage. Un arbre à l'ombre duquel un homme vertueux s'est reposé, lui donne de sublimes ressouvenirs : le peuplier dans les forêts lui rappelle les combats d'Hercule, et le feuillage des chênes, les couronnes du Capitole.

La culture des blés lui présente bien d'autres concerts agréables avec la vie humaine : il connaît à leurs ombres les heures du jour, à leurs accroissemens les rapides saisons, et il ne compte ses années fugitives que par

(1) Voyez t. II, et les Leçons Latines anciennes et modernes.

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