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Même sujet.

ON éprouve un sentiment douloureux quand on sait qu'il existe des hommes ennemis de toutes ces idées ; des hommes qui aiment mieux se rabaisser avec la nature entière, en attribuant son origine au hasard ou à une aveugle nécessité, que se résoudre à considérer les facultés spirituelles dont ils jouissent comme une faible esquisse de la souveraine Intelligence. Ainsi, au lieu de se servir de leur esprit pour essayer de prêter de la force aux vérités consolantes, ou aux vraisemblances qui nous sont chères, ils s'appliquent au contraire à les combattre toutes, et cherchent à embarrasser, par des subtilités, les instructions qui tendent à fortifier les premiers penchans de notre nature on les voit se matérialiser, pour ainsi dire, de leur propre choix, plutôt que de s'élever par les lumières de leur génie, et de nous entraîner avec eux dans les routes du bonheur et de l'espérance: ils ne veulent de l'éternité que pour la poussière dont ils se disent émanés; ils n'en veulent point pour l'esprit et pour la pensée.

Quel honneur cependant peut-il leur revenir de cette supériorité de vue dont ils se glorifient, si elle n'est que le résultat d'un accroissement semblable aux mouvemens des plantes, et si nos facultés spirituelles, bien loin de se perdre, en quelque manière, dans l'intelligence infinie, bien loin de s'unir à quelque grande destinée, sont intimement associées à cette frêle structure qui chancelle de toutes parts, et dont chaque jour, chaque instant expose la durée ? Quel orgueil pourrions-nous tirer de ces facultés, si elles ne doivent nous servir qu'à décrire avec précision le cercle imperceptible du temps dans lequel nous devons vivre et mourir; si elles ne doivent nous servir qu'à nous élever au-dessus de nos égaux, pendant

cet instant de vie qui va s'anéantir dans l'étendue des siècles, comme une vapeur légère dans l'immensité des airs! Ah! que parlerions-nous d'éclat, de triomphe et d'élévation, quand nous renoncerions volontairement à la grandeur de la plus belle origine! nous serions fiers de la célébrité de notre pays, de l'honneur de notre famille, et la seule gloire que nous ne voudrions pas partager, ce serait celle de l'humanité entière, ce serait celle qui appartient à la dignité de notre nature!

NECKER. Importance des Opinions religieuses.

L'Immatérialité de l'Ame.

PLUS je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme : Sois juste, et tu seras heureux! Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée! la conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant : « Tu m'as trompé! »

« Je t'ai trompé, téméraire ! qui te l'a dit? Ton âme est-elle anéantie? as-tu cessé d'exister? ô Brutus! ô mon fils! ne souille point ta noble vie en la finissant : ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, pensestu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis. »

On dirait, aux murmures des impatiens mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, disait Plutarque, que les

vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

Si l'âme est immatérielle, elle peut survivre au corps; et, si elle lui survit, la Providence est justifiée. Quand je n'aurais d'autre preuve de l'immatérialité de l'âme, que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empêcherait d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me ferait chercher à la résoudre. Je me dirais : « Tout ne « finit pas pour moi avec la vie; tout rentre dans l'ordre « à la mort (1). » J. J. ROUSSEAU. Emile.

L'Evangile.

LA majesté des Ecritures m'étonne; la sainteté de l'Evangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si sage, soit l'ouvrage des hommes! Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur! quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir, sans faiblesse et sans ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ; la ressemblance est si frappante, que tous les Pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper.

(1) Voyez en vers, et les Leçons Latines anciennes et mode nes.

Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres, avant lui, l'avaient mise en pratique; il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait; il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avait été juste avant que Socrate eût dit ce que c'était que la justice. Léonidas était mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie. Sparte était sobre avant que Socrate eût loué la sobriété ; avant qu'il eût loué la vertu, la Grèce abondait en hommes vertueux. Mais où Jésus avait-il pris chez les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourmens, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure. Jésus, au milieu d'un affreux supplice, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.

L'Eloquence Chrétienne.

LE MÊME.

LES anciens n'ont connu que l'éloquence judiciaire et politique: l'éloquence morale, c'est-à-dire l'éloquence

de tout temps, de tout gouvernement, de tout pays, n'a paru sur la terre qu'avec la loi évangélique. Cicéron défend un client; Démosthène combat un adversaire, ou tâche de rallumer l'amour de la patrie chez un peuple dégénéré : l'un et l'autre ne savent que rallumer les passions, et fondent toutes leurs espérances de succès sur le trouble qu'ils jettent dans les cœurs. L'éloquence de la chaire a cherché les siens dans une région plus élevée. C'est en combattant les mouvemens de l'âme qu'elle prétend séduire; c'est en apaisant toutes les passions qu'elle s'en veut faire écouter. Dieu et la charité, voilà son texte, toujours le même, toujours inépuisable. Il ne lui faut ni les cabales d'un parti, ni des émotions populaires, ni de grandes circonstances pour briller. Dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvemens les plus sublimes; elle saura intéresser pour une vertu ignorée; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n'a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d'injustice, elle donne des leçons aux Rois, mais sans les insulter; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et toutes les choses de la terre ne lui sont point inconnues; mais ces choses, qui faisaient les premiers motifs de l'éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires; elle les voit des hauteurs où elle, domine, comme un aigle aperçoit, du sommet de la montagne, les objets abaissés de la plaine (1).

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

Influence du Catholicisme sur les Beaux Arts.

C'EST quand un culte pompeux exige de magnifiques temples, des cérémonies imposantes, un appareil écla

(1) Voyez Caractères ou Portraits.

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