Page images
PDF
EPUB

volatiles; nulle espèce d'animaux ne pourrait nager, nul poisson ne pourrait vivre; il n'y aurait aucun commerce par la navigation. Quelle main industrieuse a su épaissir l'eau en subtilisant l'air, et distinguer si bien ces deux espèces de corps fluides? Si l'eau était un peu plus raréfiée, elle ne pourrait plus soutenir ces prodigieux édifices flottans qu'on nomme vaisseaux; les corps les moins pesans s'enfonceraient d'abord dans l'eau. Qui ést-ce qui a pris le soin de choisir une si juste configuration de parties et un degré si précis de mouvement, pour rendre l'eau si fluide, si insinuante, si propre à échapper, si incapable de toute consistance, et néanmoins si forte pour porter, et si impétueuse pour entraîner les plus pesantes masses?

:

Elle est docile : l'homme la mène comme un cavalier mène son cheval, sur la pointe des racines ; il la distribue comme il lui plaît; il l'élève sur des montagnes escarpées, et se sert de son poids pour lui faire faire des chutes qui la font remonter autant qu'elle est descendue mais l'homme qui mène les eaux avec tant d'empire est à son tour mené par elles. L'eau est une des plus grandes forces mouvantes que l'homme sache employer pour suppléer à ce qui lui manque dans les arts les plus nécessaires, par la petitesse et par la faiblesse de son corps; mais ces eaux qui, nonobstant leur fluidité, sont des masses pesantes, ne laissent pas de s'élever au-dessus de nos têtes et d'y demeurer long-temps suspendues.

Voyez-vous ces nuages qui volent comme sur les ailes des vents? S'ils tombaient tout à coup par de grosses colonnes d'eau rapides comme des torrens, ils submergeraient et détruiraient tout dans l'endroit de leur chute, et le reste des terres demeurerait aride. Quelle main les tient dans ces réservoirs suspendus, et ne leur permet de tomber que goutte à goutte, comme si on les distillait par un arrosoir? D'où vient qu'en certains pays chauds, où il ne pleut presque jamais, les rosées de la nuit sont

si abondantes qu'elles suppléent au défaut de la pluie, et qu'en d'autres pays, tels que les bords du Nil ou du Gange, l'inondation des fleuves, en certaines saisons, pourvoit à point nommé au besoin des peuples pour arroser les terres ? Peut-on s'imaginer des mesures mieux prises pour rendre les pays fertiles?

Ainsi l'eau désaltère non seulement les hommes, mais encore les campagnes arides; et celui qui nous a donné ce corps fluide l'a distribué avec soin sur la terre, comme les canaux d'un jardin. Les eaux tombent des hautes montagnes, où leurs réservoirs sont placés; elles s'assemblent en gros ruisseaux dans les vallées; les rivières serpentent dans les vastes campagnes, pour les mieux arroser; elles vont enfin se précipiter dans la mer, pour en faire le centre du commerce à toutes les nations.

Cet océan, qui semble mis au milieu des terres pour en faire une éternelle séparation, est au contraire le rendez-vous de tous les peuples, qui ne pourraient aller par terre d'un bout du monde à l'autre, qu'avec des fatigues, des longueurs et des dangers incroyables. C'est par ce chemin sans traces, au travers des abîmes, que l'ancien monde donne la main au nouveau, et que le nouveau prête à l'ancien tant de commodités et de richesses. Les eaux, distribuées avec tant d'art, font une circulation dans la terre comme le sang circule dans le corps humain.

y

Mais, outre cette circulation perpétuelle de l'eau, il a encore le flux et reflux de la mer. Ne cherchons point les causes de cet effet si mystérieux : ce qui est certain, c'est que la mer vous porte et reporte précisément aux mêmes lieux, à certaines heures. Qui est-ce qui la fait se retirer, et puis revenir sur ses pas avec tant de régularité? Un peu plus, un peu moins de mouvement dans cette masse fluide, déconcerterait toute la nature. Un peu plus de mouvement dans les eaux qui remontent inonderait des royaumes entiers. Qui est-ce qui a su prendre

des mesures si justes dans des corps immenses? Qui estce qui a su éviter le trop et le trop peu? Quel doigt a marqué à la mer la borne immobile qu'elle doit respecter dans la suite de tous les siècles, en lui disant : « Là, vous viendrez briser l'orgueil de vos vagues? »

Mais ces eaux si coulantes deviennent, tout à coup, pendant l'hiver, dures comme des rochers. Les sommets des hautes montagnes ont même, en tout temps, des glaces et des neiges, qui sont la source des rivières, et qui, abreuvant les pâturages, les rendent plus fertiles. Ici, les eaux sont douces, pour désaltérer l'homme; là, elles ont un sel qui assaisonne et rend incorruptibles nos alimens; enfin, si je lève la tête, j'aperçois, dans les nues qui volent au-dessus de nous, des espèces de mers suspendues, pour tempérer l'air, pour arrêter les rayons enflammés du soleil, et pour arroser la terre quand elle est trop sèche. Quelle main a pu suspendre sur nos têtes ces grands réservoirs d'eau ? Quelle main prend soin de ne les jamais laisser tomber que par des pluies modérées ?

DE L'AIR.

APRÈS avoir considéré les eaux, appliquons-nous à examiner d'autres masses encore plus étendues. Voyezvous ce qu'on nomme l'air? C'est un corps si pur, si subtil et si transparent, que les rayons des astres, situés dans une distance presque infinie de nous, le percent tout entier, sans peine et en un seul instant, pour venir éclairer nos yeux. Un peu moins de subtilité dans ce corps fluide nous aurait dérobé le jour, et ne nous aurait laissé tout au plus qu'une lumière sombre et confuse, comme quand l'air est plein de brouillards épais. Nous vivons plongés dans des abîmes d'air, comme les poissons dans des abîmes d'eau. De même que l'eau, si elle se subtilisait, deviendrait une espèce d'air qui ferait mourir les poissons, l'air, de son côté, nous ôterait la

respiration, s'il devenait plus épais et plus humide. Alors nous nous noierions dans les flots de cet air épaissi, comme un animal terrestre se noie dans la mer.

Qui est-ce qui a purifié, avec tant de justesse, cet air que nous respirons? S'il était plus épais, il nous suffoquerait; comme, s'il était plus subtil, il n'aurait pas cette douceur qui fait une nourriture continuelle du dedans de l'homme. Nous éprouverions partout ce qu'on éprouve sur le sormet des montagnes les plus hautes, où la subtilité de l'air ne fournit rien d'assez humide et d'assez nourrissant pour les poumons. Mais quelle puissance invisible excite et apaise si soudainement les tempêtes de ce grand corps fluide? Celles de la mer n'en sont que les suites. De quel trésor sont tirés les vents, qui purifient l'air, qui attiédissent les saisons brûlantes, qui tempèrent la rigueur des hivers, et qui changent en un instant la face du ciel? Sur les ailes de ces vents, volent les nuées d'un bout de l'horizon à l'autre. On sait que certains vents règnent en certaines mers, dans des saisons précises; ils durent un temps réglé, et il leur en succède d'autres, comme tout exprès, pour rendre les navigations commodes et régulières. Pourvu que les hommes soient patiens et aussi ponctuels que les vents, ils feront sans peine les plus longues navigations.

DU FEU.

VOYEZ-VOUS ce feu qui-paraît allumé dans les astres, et qui répand partout sa lumière? Voyez-vous cette flamme que certaines montagnes vomissent, et que terre nourrit de soufre dans ses entrailles? Ce même feu demeure paisiblement caché dans les veines des cailloux, et il y attend à éclater, jusqu'à ce que le choc d'un autre corps l'excite, pour ébranler les villes et les montagnes. L'homme a su l'allumer et l'attacher à tous ses usages, pour plier les plus durs métaux, et pour nourrir avec du

bois, jusque dans les climats les plus glacés, une flamme qui lui tienne lieu du soleil, quand le soleil s'éloigne de lui. Cette flamme se glisse subtilement dans toutes les semences. Elle est comme l'âme de tout ce qui vit, elle consume tout ce qui est impur, et renouvelle ce qu'elle a purifié. Le feu prête sa force aux hommes trop faibles, il enlève tout à coup les édifices et les rochers. Mais veut-on le borner à un usage plus modéré, il réchauffe l'homme, il cuit les alimens. Les anciens, admirant le feu, ont cru que c'était un trésor céleste que l'homme avait dérobé aux Dieux (1).

FENELON. Existence de Dieu.

La Création.

Qui a formé tant de genres d'animaux, et tant d'espèces subordonnées à ces genres, toutes ces propriétés, tous ces mouvemens, toutes ces adresses, tous ces alimens, toutes ces forces diverses, toutes ces images de vertus, de pénétration, de sagacité et de violence? Qui a fait marcher, ramper, glisser les animaux ? Qui a donné aux oiseaux et aux poissons ces rames naturelles qui leur font fendre les eaux et l'air? Ce qui peut-être a donné lieu à leur Créateur de les produire ensemble, comme animaux d'un dessin à peu près semblable; le vol des oiseaux paraissant être une espèce de faculté de nager dans une matière plus subtile, comme la faculté de nager dans les poissons est une espèce de vol dans une liqueur plus épaisse. Le inême auteur a fait ces convenances et ces différences; celui qui a donné aux poissons leur tristesse, et, pour ainsi dire, leur morne silence, a donné aux oiseaux leurs chants si divers, et leur a mis dans l'estomac et dans le gosier une espèce de lyre et de gui

(1) Voyez plus haut le Culte du Feu.

1.-24.

21

« PreviousContinue »