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aussi vivre pour soi; c'est bien, par excellence, l'art d'être bon pour être heureux; mais ce n'est là ni une bonté de convenance, ni un bonheur de fantaisie. La volonté divine devient la règle unique des volontés humaines, et les petits intérêts du présent disparaissent devant l'invariable intérêt du grand avenir.

Ainsi, dans la morale religieuse, le principe, la fin, le moyen, tout est fixe, tout est constant; le but en est marqué, la route en est tracée : il ne s'agit pour l'homme que de bien savoir à quelles conditions le bonheur lui est promis, et quelle est la bonté dont il sera la récompense.

Je sais qu'on donne à la morale un objet plus sublime encore, celui de conformer l'existence de l'homme à la volonté de son Dieu, dans l'intention unique et pure de lui plaire en lui obéissant, et de lui faire de la vie, et de tous les dons qu'il a reçus de lui, un hommage perpétuel de reconnaissance et d'amour.

Rien de plus louable, sans doute, et la morale des stoïciens s'attribuait aussi la pureté de cette morale ascétique, en ne laissant au cœur humain, dans la vertu, d'autre intérêt que la vertu même. Mais, comme on risque de faire évanouir ce qu'on veut trop subtiliser, je crois ce désintéressement absolu trop exalté pour une morale usuelle. Puisque Dieu a donné à l'homme le soin de son salut, il veut donc bien que son salut le touche; puisqu'il lui a donné l'espérance, et lui en a fait une vertu, il veut donc bien qu'elle l'anime, et que ses promesses tempèrent ce qu'il peut y avoir de pénible et de rigoureux dans sa loi.

« Il est indubitable, dit Pascal, que l'âme est mortelle ou immortelle ; cela doit mettre une différence entière dans la morale; et cependant les philosophes ont conduit la morale indépendamment de cela. Quel aveuglement!

»

Pascal fait donc lui-même de la morale un calcul d'in

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térêt, dont l'alternative est pour l'homme l'anéantissement ou une éternelle existence.

Je m'en tiens là, et je définis la morale la science de la vie, en vue de l'éternité.

Cette science, mise en pratique, sera donc l'art de s'assurer le bonheur pur et plein qui attend l'homme au-delà de la vie, sans toutefois renoncer au soin de se procurer dans la vie les lueurs de cette félicité, qui, sur ce passage rapide, sont comme de pâles éclairs échappés · du sein des nuages.

MARMONTEL. Morale.

Existence de Dieu.

QU'EST-IL besoin de nouvelles recherches et de spéculations pénibles pour connaître ce qu'est Dieu ? Nous n'avons qu'à lever les yeux en haut, nous voyons l'immensité des cieux qui sont l'ouvrage de ses mains, ces grands corps de lumière qui roulent si régulièrement et si majestueusement sur nos têtes, et auprès desquels la terre n'est qu'un atome imperceptible. Quelle magnificence! Qui a dit au soleil : « Sortez du néant, et présidez « au jour ? » Et à la lune : « Paraissez, et soyez le flambeau <«< de la nuit? » Qui a donné l'être et le nom à cette multitude d'étoiles qui décorent avec tant de splendeur le firmament, et qui sont autant de soleils immenses, attachés chacun à une espèce de monde nouveau qu'ils éclairent? Quel est l'ouvrier dont la toute-puissance a pu opérer ces merveilles, où tout l'orgueil de la raison éblouie se perd et se confond? Quel autre que le souverain Créateur de l'univers pourrait les avoir opérées? Seraientelles sorties d'elles-mêmes du sein du hasard et du néant? Et l'impie sera-t-il assez désespéré pour attribuer à ce qui n'est pas une toute-puissance qu'il ose refuser à celui qui est essentiellement et par qui tout a été fait ?

Les peuples les plus grossiers et les plus.barbares entendent le langage des cieux. Dieu les a établis sur nos têtes comme des hérauts célestes qui ne cessent d'annoncer à tout l'univers sa grandeur : leur silence majestueux parle la langue de tous les hommes et de toutes les nations; c'est une voix entendue partout où la terre nourrit des habitans. Qu'on parcoure jusqu'aux extrémités les plus reculées de la terre et les plus désertes, nul lieu dans l'univers, quelque caché qu'il soit au reste des hommes, ne peut se dérober à l'éclat de cette puissance qui brille au-dessus de nous dans les globes lumineux qui décorent le firmament.

Voilà le premier livre que Dieu a montré aux hommes pour leur apprendre ce qu'il était; c'est là où ils étudièrent d'abord ce qu'il voulait leur manifester de ses perfections infinies : c'est à la vue de ces grands objets que, frappés d'admiration et d'une crainte respectueuse, ils se prosternaient pour en adorer l'Auteur tout-puissant. Il ne leur fallait pas des prophètes pour les instruire de ce qu'ils devaient à la majesté súprême; la structure admirable des cieux et de l'univers le leur apprenait assez.. Ils laissèrent cette religion simple et pure à leurs enfans; mais ce précieux dépôt se corrompit entre leurs mains. A force d'admirer la beauté et l'éclat des ouvrages de Dieu, ils les prirent pour Dieu même : les astres, qui ne paraissaient que pour annoncer sa gloire aux hommes, devinrent eux-mêmes leurs divinités. Insensés ! ils offrirent des vœux et des hommages au soleil et à la lune, et à toute la milice du ciel, qui ne pouvaient ni les entendre ni les recevoir! La beauté de ces ouvrages fit oublier aux hommes ce qu'ils devaient à leur Auteur (1). MASSILLON.

(1) Voyez en vers; et les Leçons Latines anciennes et modernes.

Même sujet.

DE LA TERRE.

Qui est-ce qui a suspendu ce globe de la terre, qui est immobile? qui est-ce qui en a posé les fondemens? Rien n'est, ce semble, plus vil qu'elle; les plus malheureux la foulent aux pieds; mais c'est pourtant pour la posséder qu'on donne les plus grands trésors. Si elle était plus dure, l'homme ne pourrait en ouvrir le sein pour la cultiver; si elle était moins dure, elle ne pourrait le porter; il enfoncerait partout, comme il enfonce dans le sable ou dans un bourbier. C'est du sein inépuisable de la terre que sort tout ce qu'il y a de plus précieux.

Cette masse informe, vile et grossière, prend toutes les formes les plus diverses, et elle seule donne tour à tour tous les biens que nous lui demandons. Cette boue si sale se transforme en mille beaux objets qui charment les yeux. En une seule année elle devient branches, boutons, feuilles, fleurs, fruits et semences, pour renouveler ses libéralités en faveur des hommes; rien ne l'épuise. Plus on dechire ses entrailles, plus elle est libérale. Après tant de siècles, pendant lesquels tout est sorti d'elle, elle n'est point encore usée. Elle ne ressent aucune vieillesse; ses entrailles sont encore pleines des mêmes trésors. Mille générations ont passé dans son sein. Tout vieillit, excepté elle seule; elle rajeunit chaque année au printemps.

Elle ne manque point aux hommes; mais les hommes insensés se manquent à eux-mêmes, en négligeant de la cultiver. C'est par leur paresse et par leurs désordres qu'ils laissent croître les ronces et les épines, en la place des vendanges et des moissons. Ils se disputent un bien

qu'ils laissent perdre. Les conquérans laissent en friche la terre, pour la possession de laquelle ils ont fait périr tant de milliers d'hommes, et ont passé leur vie dans une terrible agitation. Les hommes ont devant eux des terres immenses qui sont vides et incultes; et ils renversent le genre humain pour un coin de cette terre si négligée. La terre, si elle était bien cultivée, nourrirait cent fois plus d'hommes qu'elle n'en nourrit. L'inégalité même des terroirs, qui paraît d'abord un défaut, se tourne en ornement et en utilité. Les montagnes se sont élevées, et les vallons sont descendus en la place que le Seigneur leur a marquée.

Ces diverses terres, suivant les divers aspects du soleil, ont leurs avantages. Dans ces profondes vallées on voit croître l'herbe fraîche pour nourrir les troupeaux. Auprès d'elles s'ouvrent de vastes campagnes revêtues de riches moissons. Ici, des coteaux s'élèvent comme un amphithéâtre, et sont couronnés de vignobles et d'arbres fruitiers. Là, de hautes montagnes vont porter leur front glacé jusque dans les nues, et les torrens qui en tombent sont les sources des rivières. Les rochers qui montrent leur cime escarpée soutiennent la terre des montagnes, comme les os du corps humain en soutiennent les chairs. Cette variété fait le charme des paysages; en même temps elle satisfait aux divers besoins des peuples : il n'y a point de terroir si ingrat qui n'ait quelque propriété.

DE L'EAU.

REGARDONS maintenant ce que l'on appelle l'eau ; c'est un corps liquide, clair et transparent : d'un côté, il coule, il échappe, il s'enfuit; de l'autre, il prend toutes les formes des corps qui l'environnent, n'en ayant aucune par lui-même. Si l'eau était un peu plus raréfiée, elle deviendrait une espèce d'air, toute la face de la terre serait sèche et stérile, il n'y aurait que des animaux

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