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montagne, où elle entend et répète confusément ce qui se passe sur la terre, aux enfers et dans les cieux. CHATEAUBRIAND. Les Natchez, liv. II.

Les Génies.

LE moment du départ étant arrivé, je sentis mon âme se dégager des liens qui l'attachaient au corps, et je me trouvai au milieu d'un nouveau monde de substances animées, bonnes ou malfaisantes, gaies ou tristes, prudentes ou étourdies; nous les suivîmes pendant quelque temps, et je crus reconnaître qu'elles dirigent les intérêts des Etats et ceux des particuliers, les recherches des sages. et les opinions de la multitude.

Bientôt une femme de taille gigantesque étendit ses crêpes noirs sous la voûte des cieux ; et, étant descendue lentement sur la terre, elle donna ses ordres au cortége dont elle était accompagnée. Nous nous glissâmes dans plusieurs maisons; le Sommeil et ses ministres y répandaient des pavots à pleines mains; et, tandis que le Silence et la Paix s'asseyaient doucement auprès de l'homme vertueux, les Remords et les Spectres effrayans secouaient avec violence le lit du scélérat. Platon écrivait sous la dictée du Génie d'Homère, et des Songes agréables voltigeaient autour de la jeune Lycoris.

« L'Aurore et les Heures ouvrent les barrières du Jour, me dit mon conducteur; il est temps de nous élever dans les airs. Voyez les Génies tutélaires d'Athènes, de Corinthe, de Lacédémone, planer circulairement au-dessus de ces villes; ils en écartent, autant qu'il est possible, les maux dont elles sont menacées. Cependant, leurs campagnes vont être dévastées; car les Géries du Midi, enveloppés de nuages sombres, s'avancent en grondant contre ceux du Nord. Les guerres sont aussi fréquentes dans ces régions que dans les vôtres, et le combat des

Titans et des Typhons ne fut que celui de deux peuplades de Génies.

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« Observez maintenant ces agens empressés, qui, d'un vol aussi rapide, aussi inquiet que celui de l'hirondelle, rasent la terre, et portent de tous côtés des regards avides et perçans ce sont les inspecteurs des choses. humaines; les uns répandent leurs douces influences sur les mortels qu'ils protégent; les autres détachent contre les forfaits l'implacable Némésis. Voyez ces médiateurs, ces interprètes, qui montent et descendent sans cesse ; ils portent aux Dieux vos vœux et vos offrandes, ils vous rapportent les songes heureux ou funestes et les secrets de l'avenir, qui vous sont ensuite révélés par la bouche des Oracles.

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· O mon protecteur! m'écriai-je tout à coup, voici des êtres dont la taille et l'air sinistre inspirent la terreur; ils viennent à nous. Fuyons, me dit-il; ils sont malheureux, le bonheur des autres les irrite, et ils n'épargnent que ceux qui passent leur vie dans les souffrances et dans les pleurs.

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Echappés à leur fureur, nous trouvâmes d'autres objets non moins affligeans. Até, la détestable Até, source éternelle des dissensions qui tourmentent les hommes, marchait fièrement au-dessus de leur tête, et soufflait dans leur cœur l'outrage et la vengeance. D'un pas timide, et les yeux baissés, les Prières se traînaient sur ses traces, et tâchaient de ramener le calme partout où la Discorde venait de se montrer. La Gloire était poursuivie par l'Envie, qui se déchirait elle-même les flancs; la Vérité, par l'Imposture, qui changeait à chaque instant de masque; chaque Vertu, par plusieurs Vices, qui portaient des filets ou des poignards.

La Fortune parut tout à coup ; je la félicitai des dons qu'elle distribuait aux mortels. « Je ne donne point, me dit-elle d'un ton sévère, mais je prête à grosse usure. » En proférant ces paroles, elle trempait les fleurs et les fruits

qu'elle tenait d'une main, dans une coupe empoisonnée qu'elle tenait de l'autre.

Alors passèrent auprès de nous deux puissantes divinités, qui laissaient après elles de longs sillons de lumière. « C'est l'impétueux Mars et la sage Minerve, me dit mon conducteur. Deux armées se rapprochent en Béotie; la Déesse va se placer auprès d'Epaminondas, chef des Thébains; et le Dieu court se joindre aux Lacédémoniens, qui seront vaincus; car la Sagesse doit triompher de la Valeur.

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Voyez en même temps se précipiter sur la terre ce couple de Génies, l'un bon, l'autre mauvais. Ils doivent s'emparer d'un enfant qui vient de naître; ils l'accompagneront jusqu'au tombeau. Dans ce premier moment, ils chercheront à l'envi à le douer de tous les avantages ou de toutes les difformités du cœur et de l'esprit; dans le cours de sa vie, à le porter au bien ou au mal, suivant que l'influence de l'un prévaudra sur celle de l'autre..... »

J'espérais entrevoir le Souverain de l'univers, entouré des assistans de son trône, de ces êtres purs que nos philosophes appellent Ombres, Idées éternelles, Génies immor+ tels. « Il habite des lieux inaccessibles aux mortels, me dit le Génie : offrez-lui votre hommage, et descendons sur la

terre. »

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

Flore.

PRÉSIDEZ aux jeux de nos enfans, charmante fille de l'Aurore, aimable Flore; c'est vous qui couvrez de roses les champs du ciel que parcourt votre mère, soit qu'elle s'élève chaque jour sur notre horizon, soit qu'elle s'avance, au printemps, vers le sommet de notre hémisphère, et qu'elle rejette ses rayons d'or et de pourpre sur leurs régions de neiges. Pour vous, suspendue au-dessus de nos

vertes campagnes, portée par l'arc-en-ciel au sein des nuages pluvieux, vous versez les fleurs à pleine corbeille dans nos vallons et sur nos forêts; le zéphyr amoureux vous suit, haletant après vous, et vous poussant de son haleine chaude et humide. Déjà on aperçoit sur la terre les traces de votre passage dans les cieux; à travers les rais lointains de la pluie, les landes apparaissent toutes jaunes de genêts fleuris; les prairies brumeuses, de bassinets dorés, et les corniches des vieilles tours, de giroflées safránées. Au milieu du jour le plus nébuleux, on croirait que les du soleil luisent au loin sur les rayons croupes des collines, au fond des vallées, au sommet des antiques monumens ; des lisières de violettes et de primevères parfument les haies, et le lilas couvre de ses grappes pourprées les murs du château lointain. Aimables enfans, sortez dans les campagnes, Flore vous appelle au sein des prairies : tout vous y invite, les bois, les eaux, les rocs arides; chaque site vous présente ses plantes, et chaque plante ses fleurs. Jouissez du mois qui vous les donne: Avril est votre frère, il est à l'aurore de l'année, comme vous à celle de la vie; connaissez ses dons rians comme votre âge. Les prairies seront votre école, les fleurs vos alphabets, et Flore votre institutrice. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonies de la Nature, tom. I.

La France.

Sous quels traits intéressans, sous quels divers attributs la poésie et la peinture, dont le privilége est de tout animer, ne pourraient-elles point représenter la France?

Tantôt on la verrait, intrépide amazone, portant la hache du Sicambre, les bracelets du Celte, la lance des Paladins, l'éperon d'or, le faucon, et le cor retentissant des nobles et des châtelains.

Tantôt, errante pèlerine, revenant des lieux sacrés avec le rosaire des ermites, le bourdon, l'écharpe brodée par les jouvencelles, la harpe du troubadour et la cithare des romanciers.

Tantôt, puissante fée, couronnée de la verveine dont les prophétesses des Germains et des Gaulois ceignaient leur front, armée de la baguette des nécromans, de l'anneau merveilleux, de la coupe aux philtres magiques; transportée sur un char aérien, et telle qu'apparurent à nos crédules aïeux les Oberon, les Morgane et les Mélusine.

Mais plus souvent encore on la verrait, auguste divinité, élevée sur un trône, dont les étrangers même ont reconnu la prééminence sur tous les autres, et recevant les productions du génie, les voeux, les sermens, les sacrifices d'une foule de héros, fiers de répandre leur sang et de mourir pour elle. A son autel, sont suspendus les oriflammes de Clovis, les faisceaux que Charlemagne rapporta du Capitole, les bannières des Louis et des Philippe, le panache blanc de Henri IV, et les épées des du Guesclin, des Nemours, des Bayard, des Condé, des Turenne, des Catinat, des Villars. Parmi ces trophées éclate son vaste bouclier, que parent les armoiries de cent familles illustres, les couleurs, les chiffres et les devises des chevaliers et des bannerets. Autour de ces nobles . écussons, s'entrelacent les rameaux du chêne qu'adoraient nos druides; l'olivier que les Phocéens transplantèrent sur nos rivages; le peuplier d'Italie, emblème des colonies romaines dans les Gaules; le pampre dont les soldats de Probus enrichirent nos coteaux; les palmes de l'Idumée, et les lis couverts d'abeilles : sur ces images symboliques, la galanterie et les amours effeuillent les roses et les myrtes cueillis dans les voluptueux bosquets d'Anet, de Blois et de Versailles (1).

DE MARCHANGY. Gaule Poétique.

(1) Voyez Leçons Latines anciennes, t. II.

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