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qui veut se repaître de sang, et qui ne peut jouir des maux qu'elle a faits; l'Envie, qui verse son venin mortel autour d'elle, et qui se tourne en rage, dans l'impuissance où elle est de nuire; l'Impiété, qui se creuse ellemême un abîme sans fond, où elle se précipite sans espérance; les Spectres hideux, les Fantômes qui représentent les morts pour épouvanter les vivans; les Songes affreux, les Insomnies aussi cruelles que les tristes Songes toutes ces images funestes environnaient le fier Pluton, et remplissaient le palais où il habite.

La Mort.

FENELON. Télémaque.

UN fantôme s'élance sur le seuil des portes inexorables: c'est la Mort. Elle se montre comme une tache obscure sur les flammes des cachots qui brûlent derrière elle; son squelette laisse passer les rayons livides de la lumière infernale entre les creux de ses ossemens. Sa tête est ornée d'une couronne changeante, dont elle dérobe les joyaux aux peuples et aux Rois de la terre. Quelquefois elle se pare des lambeaux de la pourpre et de la bure dont elle a dépouillé le riche et l'indigent. Tantôt elle vole, tantôt elle se traîne; elle prend toutes les formes, même celles de la beauté. On la croirait sourde, et toutefois elle entend le plus petit bruit qui décèle la vie; elle paraît ayeugle, et pourtant elle découvre le moindre insecte rampant sous l'herbe. D'une main, elle tient une faux comme un moissonneur, de l'autre elle cache la seule blessure qu'elle ait jamais reçue, et que le Christ vainqueur lui porta dans le sein, au sommet du Golgotha. C'est le Crime qui ouvre les portes de l'enfer, et c'est la Mort qui les referme (1).

CHATEAUBRIAND. Les Martyrs, liv. VI.

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes et modernes, t. I et II.

Le Voyageur et le Palais.

UN homme s'égare pendant la nuit ; à la lueur d'un ciel étoilé, il découvre un palais : il y entre. Des serviteurs de toute espèce s'empressent sur ses pas, et lui témoignent, chacun dans son langage, qu'ils ont reçu l'ordre de pourvoir à ses besoins. Quelques uns se taisent, et n'en remplissent pas moins leur ministère. Partout le mouvement règne autour de lui. On attache aux lambris des lampes étincelantes; on réchauffe les foyers; on lui apporte des fourrures en hiver, des fruits délicieux et rafraîchissans en été. Les désirs ne lui semblent permis que pour devenir à son profit des occasions de bienfaits. Une horloge magnifique, visible de tous les appartemens, sonne les heures et donne le signal des travaux qui rentrent encore dans la classe des jouissances. Les mouvemens de ce régulateur sont si bien calculés, que Greenham luimême eût désespéré d'atteindre à cette précision.

A peine le voyageur a-t-il senti la douce invasion du sommeil, qu'un sombre rideau s'abaisse devant lui, et que le silence est ordonné autour de sa couche. Son réveil est marqué par de nouvelles attentions dont il est l'objet. Les maîtres du palais ne se montrent pas, mais il les suppose occupés dans le secret de leurs appartemens. Il s'éloigne, et il poursuivra sa route sans les avoir personnellement vus. Mais, frappé de l'accord, de l'ordre, de la majesté, de la promptitude et de l'exactitude du service qui s'est fait sous ses yeux, il emporte avec lui le sentiment de leur présence. Il se gardera, toute sa vie, de dire qu'il a résidé dans un château abandonné, où son arrivée aurait été un accident imprévu, et où rien n'aurait été préparé pour le recevoir.

Il se permettra encore moins de le penser que propriétaire est un être malfaisant, sur ce que de nouveaux

voyageurs s'étant présentés, au lieu de jouir fraternellement des douceurs de cet asile, ils se sont pris de querelle ensemble.

Il ne sera pas surpris que de cette mésintelligence il soit résulté divers accidens, tels que la faim et la détresse d'un certain nombre de commensaux privés en partie des bienfaits de l'hospitalité offerte à tous, par l'avidité et l'égoïsme de quelques audacieux; car il a remarqué que les buffets, les lits de repos et les garde-robes étaient assez copieusement garnis pour suffire à tous les besoins.

La conviction de cette vérité est tellement établie dans les esprits, qu'à une petite exception près, les hôtes les moins favorisés, en se retirant du palais, n'en franchissent la porte extérieure qu'avec des regrets et des larmes. Quelques uns accusent de leurs peines passées des envieux ou des malveillans; d'autres de faux amis; il en est qui s'accusent eux-mêmes; tous se disent qu'il était possible de couler des jours heureux dans cet asile, avec le bon esprit de jouir en paix des biens communs qu'il offrait, ou d'y suppléer par le travail et la concorde. La mauvaise foi tient seule un autre langage.

Cependant le désordre momentané dont il a été témoin provoque les réflexions du voyageur. Il s'étonne que le Prince hospitalier, qui a recueilli tant d'inconnus auxquels il ne devait rien, en intervenant dans leurs débats, n'ait empêché ni les spoliations ni les violences. A ses yeux, ces abus de la force blessent autant les lois de la justice que la majesté du trône. Il se représente principalement quelques honnêtes compagnons de route, qui, par la bonté de leur caractère, ont excité tout son intérêt, et qui, avec des droits à un meilleur sort, ont été indignement dépouillés et outragés.

C'est au milieu des tristes pensées que ces souve➡ nirs réveillent, que le voyageur poursuit son chemin. Mais, tout à coup, il est abordé par un vieillard qui le

salue, en lui disant : « Croyez-vous que les choses en restent là? Le Prince a tout vu, il a tout entendu. Chacun sera traité suivant ses œuvres. Ne savez-vous pas que, par un pouvoir dont la source se perd dans les âges, il oblige les voyageurs qui traversent la forêt à séjourner plus ou moins de temps dans le château, pour qu'il puisse acquérir une connaissance parfaite de leurs bonnes qualités? Indulgent pour les fautes, mais sévère pour toute habitude coupable, il va les attendre dans un palais voisin de celui que nous quittons, et où le même pouvoir les forcera de porter leurs pas : c'est là qu'il se réserve de récompenser et de punir; c'est là que chacun rendra un hommage volontaire ou forcé aux saintes lois de la justice. »

A ces mots, un coup de lumière frappe l'intelligence du voyageur. Tout s'explique, tout se dévoile à ses yeux. Il ne s'étonne plus que des doutes outrageans auxquels il s'est abandonné sur le compte du Souverain avec lequel il contracta le droit de l'hospitalité; également consolé du passé et rassuré sur l'avenir, il s'avance vers le terme de sa course; déjà il entrevoit, sans frayeur, le péristyle du second palais dont l'architecture, d'un style un peu austère, se dessine dans le lointain vaporeux. Placé sous la main d'un maître qui lui doit protection et justice, il s'endormira partout avec confiance. Il a été ou

assez.

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c'est

KÉRATRY. Inductions morales et physiologiques.

Le Palais de la Renommée (1).

Aux extrémités du monde, sous le pôle, dont l'intrépide Cook mesura la circonférence à travers les vents et les tempêtes; au milieu des terres australes qu'une bar

(1) Voyez t. 11, Fables et Allégortes, même sujet.

rière de glaces dérobe à la curiosité des hommes, s'élève une montagne qui surpasse en hauteur les sommets les plus élevés des Andes dans le Nouveau-Monde, ou du Thibet dans l'antique Asie.

Sur cette montagne est bâti un palais, ouvrage des Puissances infernales. Ce palais a mille portiques d'airain; les moindres bruits viennent frapper les dômes de cet édifice, dont le Silence n'a jamais franchi le seuil.

Au centre du monument est une voûte tournée en spirale comme une conque, et faite de sorte que tous les sons qui pénètrent dans le palais, y aboutissent; mais, par un effet du génie de l'architecte des Mensonges, la plupart de ces sons se trouvent faussement reproduits; souvent une légère rumeur s'enfle et gronde en entrant par la voie préparée aux éclats du tonnerre, tandis que les roulemens de la foudre expirent en passant par les

routes sinueuses destinées aux faibles bruits.

C'est là que, l'oreille placée à l'ouverture de cet immense écho, est assis sur un trône retentissant un démon, la Renommée. Cette Puissance, fille de Satan et de l'Orgueil, naquit autrefois pour annoncer le mal. Avaut le jour où Lucifer leva l'étendard contre le Tout-Puissant, la Renommée était inconnue. Si un monde venait à s'animer ou à s'éteindre; si l'Eternel avait tiré un univers du néant ou replongé un de ses ouvrages dans le Chaos; s'il avait jeté un Soleil dans l'espace, créé un nouvel ordre de Séraphins, essayé la bonté d'une lumière, toutes ces choses étaient aussitôt connues dans le ciel par un sentiment intime d'admiration et d'amour, par le chant mystérieux de la céleste Jérusalem. Mais, après la rébellion des mauvais Anges, la Renommée usurpa la place de cette intention divine. Bientôt précipitée aux Enfers, ce fut elle qui publia dans l'abîme la naissance de notre globe, et qui porta l'ennemi de Dieu à tenter la chute de l'homme. Elle vint sur la terre avec la Mort, et dès ce moment elle établit sa demeure sur la

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