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par l'inconstance; les engagemens les plus tendres y finissent par la haine et la perfidie; les fortunes les plus brillantes y perdent tout leur agrément par les assujettissemens qu'elles exigent; les places les plus honorables n'y font sentir que le chagrin de ne pouvoir monter plus haut; chacun s'y plaint de sa destinée ; les plus élevés n'y sont pas les plus heureux; ils montent par leur rang et par leur fortune jusqu'au-dessus des nuées; on les perd de vue, si haut ils sont placés; ils paraissent au-dessus du reste des hommes par les hommages qu'on leur rend, par l'éclat qui les environne, par les grâces qu'ils distribuent, par les adulations éternelles dont la prospérité et la puissance sont toujours accompagnées ; et, par la satiété même des plaisirs, et par la gêne des assujettissemens et des bienséances, et par la bizarrerie de leurs désirs, et par l'amertume de leurs jalousies, et par la bassesse qu'ils emploient pour plaire au maître, et par les dégoûts qu'ils en essuient, ils sont plus bas que le peuple, et plus malheureux que lui. LE MÊME.

La vraie Gloire.

LA gloire, est un sentiment qui nous élève à nos propres yeux, et qui accroît notre considération aux yeux des hommes éclairés. Son idée est indivisiblement liée avec celle d'une grande difficulté vaincue, d'une grande utilité subséquente au succès, et d'une égale augmentation de bonheur pour l'univers, ou pour la patrie. Quelque génie que je reconnaisse dans l'invention d'une arme meurtrière, j'exciterais une juste indignation, si je disais que tel homme ou telle nation eut la gloire de l'avoir inventée. La gloire, du moins selon les idées que je m'en suis formées, n'est pas la récompense du plus grand succès dans les sciences. Inventez un nouveau calcul, composez un poëme sublime, ayez surpassé

Cicéron ou Démosthène en éloquence, Thucydide ou Tacite dans l'histoire, je vous accorderai la célébrité, mais non la gloire.

On ne l'obtient pas davantage de l'excellence du talent dans les arts. Je suppose que vous avez tiré d'un bloc de marbre, ou le Gladiateur, ou l'Apollon du Belvéder; que la Transfiguration soit sortie de votre pinceau, ou que vos chants simples, expressifs et mélodieux, vous aient placé sur la ligne de Pergolèse, vous jouirez d'une grande réputation, mais non de la gloire. Je dis plus : égalez Vauban dans l'art de fortifier les places, Turenne ou Condé dans l'art de commander les armées; gagnez des batailles, conquérez des provinces, toutes ces actions seront belles, sans doute, et votre nom passera à la postérité la plus reculée; mais c'est à d'autres qualités que la gloire est réservée. On n'a pas la gloire pour avoir ajouté à celle de sa nation. On est l'honneur de son corps, sans être la gloire de son pays. Un particulier peut souvent aspirer à la réputation, à la renommée, à l'immortalité : il n'y a que des circonstances rares, une heureuse étoile, qui puissent le conduire à la gloire.

La gloire appartient à Dieu dans le ciel. Sur la terre, c'est le lot de la vertu, et non du génie; de la vertu utile, grande, bienfaisante, éclatante, héroïque. C'est le lot d'un Monarque qui s'est occupé, pendant un règne orageux, du bonheur de ses sujets, et qui s'en est occupé avec succès. C'est le lot d'un sujet qui aurait sacrifié sa vie au salut de ses concitoyens. C'est le lot d'un peuple qui aura mieux aimé mourir libre que de vivre esclave. C'est le lot, non d'un César ou d'un Pompée, mais d'un Régulus ou d'un Caton. C'est le lot d'un Henri IV (1).

RAYNAL. Histoire Philosophique.

(1) Voyez Morale religieuse; et les Leçons Latines anciennes,

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t. I.

La Science.

PAR elle, l'homme ose franchir les bornes étroites dans lesquelles il semble que la nature l'ait renfermé : citoyen de toutes les républiques, habitant de tous les Empires, le monde entier est sa patrie. La science, comme un guide aussi fidèle que rapide, le conduit de pays en pays, de royaume en royaume; elle lui en découvre les lois, les mœurs, la religion, le gouvernement : il revient chargé des dépouilles de l'Orient et de l'Occident; et, joignant les richesses étrangères à ses propres trésors, il semble que la science lui ait appris à rendre toutes les nations de la terre tributaires de sa doctrine.

Dédaignant les bornes. des temps comme celles des lieux, on dirait qu'elle l'ait fait vivre long-temps avant sa naissance. C'est l'homme de tous les siècles, comme de tous les pays. Tous les sages de l'antiquité ont pensé, ont agi pour lui, ou plutôt il a vécu avec eux, il a entendu leurs leçons, il a été le témoin de leurs grands exemples. Plus attentif encore à exprimer leurs mœurs qu'à admirer leurs lumières, quel aiguillon leurs paroles ne laissent-elles pas dans son esprit? quelle sainte jalousie leurs actions n'allument-elles pas dans son cœur?

Ainsi nos pères s'animaient à la vertu : une noble émulation les portait à rendre à leur tour Athènes et Rome jalouses de leur gloire; ils voulaient surpasser les Aristide en justice, les Phocion en constance, les Fabrice en modération, et les Caton même en vertu.

Que si les exemples de sagesse, de grandeur d'âme, de générosité, d'amour de la patrie, deviennent plus rares que jamais, c'est parce que la mollesse et la vanité de notre âge ont rompu les nœuds de cette douce et utile société que la science forme entre les vivans et les

illustres morts dont elle ranime les cendres pour en former le modèle de notre conduite (1).

D'AGUESSEAU. Nécessité de la Science.

La vraie Science de l'Histoire.

QUAND VOUS Voyez passer comme un instant devant vos yeux, je ne dis pas les Rois et les Empereurs, mais les grands Empires qui ont fait trembler tout l'univers; quand Vous voyez les Assyriens anciens et nouveaux, les Mèdes, les Perses, les Grecs, les Romains, se présenter devant vous successivement, et tomber, pour ainsi dire, les uns sur les autres, ce fracas effroyable vous fait sentir qu'il n'y a rien de solide parmi les hommes, et que l'inconstance et l'agitation sont le propre partage des choses humaines. Mais ce qui rendra ce spectacle plus utile et plus agréable, ce sera la réflexion que vous ferez, non seulement sur l'élévation et sur la chute des Empires, mais encore sur les causes de leurs progrès et sur celles de leur décadence; car le même Dieu qui a fait l'enchaînement de l'univers, et qui, tout-puissant par lui-même, a voulu, pour établir l'ordre, que les parties d'un si grand tout dépendissent les unes des autres, ce même Dieu a voulu aussi que le cours des choses humaines eût sa suite et ses proportions; je veux dire que les hommes et les nations ont eu des qualités proportionnées à l'élévation à laquelle ils étaient destinés, et qu'à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu voulait que sa main parût toute seule, il n'est point arrivé de grand changement qui n'ait eu ses causes dans les siècles précédens. Et comme dans toutes les affaires il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir, la vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. I, Philosophie.

temps les secrètes dispositions qui ont préparé les grands changemens et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver. En effet, il ne suffit pas de regarder seulement devant ses yeux, c'est-à-dire, de considérer les grands événemens qui décident tout à coup de la fortune des Empires. Qui veut entendre à fond les choses humaines doit les reprendre de plus haut, et il lui faut observer les inclinations et les mœurs, ou, pour dire tout en un mot, le caractère, tant des peuples dominans en général, que des princes en particulier, et enfin de tous les hommes extraordinaires, qui, par l'importance du personnage qu'ils ont eu à faire dans le monde, ont contribué en bien ou en mal aux changemens des Etats et à la fortune publique.

BOSSUET.

La fausse et la véritable Erudition.

Nous savons qu'il est une science peu digne des efforts de l'esprit humain; ou plutôt il est des savans peu estimables, de qui le bon sens paraît comme accablé sous le poids d'une fatigante érudition. L'art, qui ne doit qu'aider la nature, l'étouffe chez eux, et la rend impuissante. On dirait qu'en apprenant les pensées des autres, ils se soient condamnés eux-mêmes à ne plus penser, et que la science leur ait fait perdre l'usage de la raison. Chargés de richesses superflues, souvent le nécessaire leur manque; ils savent tout ce qu'il faut ignorer, et ils n'ignorent que ce qu'ils devraient savoir.

A Dieu ne plaise qu'une telle science devienne jamais l'objet de nos veilles! Mais ne cherchons point aussi à faire, des défauts de quelques savans, le crime de la

science même.

Il est une culture savante, il est un art ingénieux qui, loin d'étouffer la nature et de la rendre stérile, augmente

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