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peut douter que l'hypocrisie ne soit répandue dans toutes les conditions, et que parmi les mondains il ne se trouve encore bien plus d'imposteurs et d'hypocrites que parmi ceux que nous nommons dévots.

En effet, combien dans le monde de scélérats travestis en gens d'honneur ? combien d'hommes corrompus et pleins d'iniquité, qui se produisent avec tout le faste et toute l'ostentation de la probité? combien de fourbes insolens à vanter leur sincérité? combien de traîtres, habiles à sauver les dehors de la fidélité et de l'amitié? combien de sensuels, esclaves des passions. les plus infâmes, en possession d'affecter la pureté des mœurs, et de la pousser jusqu'à la sevérité? combien de femmes libertines fières sur le chapitre de leur réputation, et, quoique engagées dans un commerce honteux, ayant le talent de s'attirer toute l'estime d'une exacte et d'une parfaite régularité? Au contraire, combien de justes faussement accusés et condamnés? combien de serviteurs de Dieu, par la malignité du siècle, décriés et calomniés? combien de dévots de bonne foi traités d'hypocrites, d'intrigans et d'intéressés? combien de vraies vertus-contestées ? combien de bonnes œuvres censurées ? combien d'intentions droites mal expliquées, et combien de saintes actions empoisonnées ?

BOURDALOUE. Sermon sur le Jugement de Dieu.

Des fausses Vertus.

Le monde se vante qu'au milieu de la dépravation et de la décadence des mœurs publiques, il a encore sauvé des débris, des restes d'honneur et de droiture; que, malgré les vices et les passions qui le dominent, paraissent encore sous ses étendards des hommes fidèles à l'amitié, zélés pour la patrie, rigides amateurs de la vérité, esclaves religieux de leur parole, vengeurs de

l'injustice, protecteurs de la faiblesse ; en un mot, partisans du plaisir, et néanmoins sectateurs de la verțu. Voilà les héros d'honneur et de probité que le monde fait tant valoir.

Mais ces hommes vertueux, dont il se fait tant d'honneur, n'ont au fond souvent pour eux que l'erreur publique. Amis fidèles, je le veux; mais c'est le goût, la vanité ou l'intérêt qui les lient; et, dans les amis, ils n'aiment qu'eux-mêmes. Bons citoyens, il est vrai; mais la gloire et les honneurs qui nous reviennent en servant la patrie sont l'unique lien et le seul devoir qui les attachent. Amateurs de la vérité, je l'avoue; mais ce n'est pas elle qu'ils cherchent, c'est le crédit et la confiance qu'elle leur acquiert parmi les hommes. Observateurs de leur parole; mais c'est un orgueil qui trouverait de la lâcheté et de l'inconstance à se dédire, ce n'est pas une vertu qui se fait une religion. de ses promesses. Vengeurs de l'injustice; mais, en la punissant dans les autres, ils ne veulent que publier qu'ils n'en sont pas capables euxmêmes. Protecteurs de la faiblesse; mais ils veulent avoir des panégyristes de leur générosité, et les éloges des opprimés sont ce que leur offrent de plus touchant leur oppression et leur misère,

MASSILLON.

L'Esprit.

QU'EST-CE que l'esprit dont les hommes paraissent si vains? Si nous le considérons selon la nature, c'est un feu qu'une maladie et qu'un accident amortissent sensiblement. C'est un tempérament délicat qui se dérègle, une heureuse conformation d'organes qui s'usent, un assemblage et un certain mouvement d'esprits qui s'épuisent et qui se dissipent. C'est la partie la plus vive et la plus subtile de l'âme qui s'appesantit, et qui semble

vieillir avec le corps. C'est une finesse de raison qui s'évapore, et qui est d'autant plus faible et plus sujette à s'évanouir, qu'elle est plus délicate et plus épurée. Si nous le considérons selon Dieu, c'est une partie de nousmêmes, plus curieuse que savante, qui s'égare dans ses pensées. C'est une puissance orgueilleuse qui est souvent contraire à l'humilité et à la simplicité chrétiennes, et qui, laissant souvent la vérité pour le mensonge, n'ignore que ce qu'il faudrait savoir, et ne sait que ce qu'il faudrait ignorer (1).

FLÉCHIER. Oraisons funèbres.

Même sujet.

PENSER peu, parler de tout, ne douter de rien, n'habiter que les dehors de son âme, et ne cultiver que la superficie de son esprit, s'exprimer heureusement, avoir un tour d'imagination agréable, une conversation légère et délicate, et savoir plaire sans se faire estimer; être né avec le talent équivoque d'une conception prompte, et se croire par-là au-dessus de la réflexion; voler d'objets en objets, sans en approfondir aucun; cueillir rapidement toutes les fleurs, et ne donner jamais aux fruits le temps de parvenir à leur maturité : c'est une faible peinture de ce qu'il a plu à notre siècle d'honorer du nom d'esprit.

Esprit plus brillant que solide, lumière souvent trompeuse et infidèle, l'attention le fatigue, la raison le contraint, l'autorité le révolte; incapable de persévérance dans la recherche de la vérité, elle échappe encore plus à son inconstance qu'à sa paresse.

D'AGUESSEAU. Nécessité de la Science.

(1) Voyez Définitions en vers, même sujet.

L'Esprit et le Génie.

LORSQUE quelqu'un voudra reconnaître si la nature lui a donné le génie, qu'il lise avec attention les ouvrages qu'une admiration universelle et soutenue a reconnus pour appartenir au génie; qu'il contemple dans les arts les monumens qu'un consentement général a rapportés à ce même génie, et qu'il apporte à cette étude et à cette contemplation les connaissances préliminaires nécessaires. S'il lit froidement et sans enthousiasme, s'il n'est ému ou transporté qu'à demi, s'il n'est pas ravi, pour ainsi dire, en extase à la vue de l'empreinte sacrée du génie, si un trait sublime l'effleure lorsqu'il devrait le percer, la nature lui a refusé sa céleste lumière; non seulement il ne possède pas le génie développé, il n'en a seulement pas reçu le plus faible rayon : il ne doit pas s'attendre à dévoiler les grands secrets de la nature; il pourra découvrir des vérités, rendre des services à la science, et l'avancer; mais il n'aura que de l'esprit : et, s'il élève un monument durable, ce ne sera pas un monument immense.

Mais s'il écoute avec transport la voix, du génie qui lui parlera dans les écrits des grands hommes; si cette voix forte et divine grave ses paroles dans son âme en caractères profonds; s'il est hors de lui-même en contemplant les vastes productions et les grands ensembles; si les chefs-d'œuvre des arts, au moins de ceux pour lesquels ses organes sont formés, si ces chefs-d'œuvre le ravissent, s'il les goûte, pour ainsi dire, intimement; si ses yeux se remplissent de larmes, si son cœur est oppressé, s'il s'identifie avec l'auteur de l'ouvrage qu'il admire, et s'applique tout entier avec lui à chaque partie de ce même ouvrage, s'il sent naître dans son âme un ardent désir de créer de grandes choses, et si la vue nette de grandes productions lui inspire une certaine confiance

de les imiter, la nature a allumé pour lui le flambeau du génie bientôt tout s'aplanira sous ses pas, les grandes découvertes lui sont réservées, il verra, pour ainsi dire, la nature sans aucun voile, et sera immortel comme elle.

A la vérité, s'il est doué d'une sensibilité profonde, l'esprit seul pourra lui faire éprouver, à la vue des chefsd'œuvre des arts, toutes les sensations que je viens de décrire. Mais que le jeune physicien qui sentira brûler dans son âme un feu trop vif de sensibilité, et se méfiera de cette faculté ardente dans l'épreuve qu'il voudra faire de ses forces, essaie son âme devant les chefs-d'œuvre des sciences, pour lesquels le génie ne pourra jamais être remplacé par la sensibilité ; et s'il ressent l'état d'extase que nous avons tâché de peindre, qu'il soit toujours sûr d'avoir du génie.

LACÉPÈDE. Discours sur la manière d'étudier et de traiter la Physique.

Le Bel-Esprit.

C'EST un feu qui brille sans consumer, c'est une lumière qui éclate pendant quelques momens, et qui s'éteint d'elle-même par le défaut de nourriture; c'est une superficie agréable, mais sans profondeur et sans solidité; c'est une imagination vive, ennemie de la sûreté du jugement; une conception prompte, qui rougit d'attendre le conseil salutaire de la réflexion; une facilité de parler qui saisit avidement les premières pensées, et qui ne permet jamais aux secondes de leur donner leur perfection et leur maturité.

Semblable à ces arbres dont la stérile beauté a chassé des jardins l'utile ornement des arbres fruitiers, cette agréable délicatesse, cette heureuse légèreté d'un génie. vif et naturel, qui est devenue l'unique ornement de notre âge, en a banni la force et la solidité d'un génie profond 1.-24.

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