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Ou, dans ce péril même, devait-il respecter la loi qui protégeait tout citoyen qu'elle n'avait pas condamné? Licueritne, ex senatus consulto, servanda reipublicæ causâ ? C'était là le point contesté. Il s'agissait de définir le droit de la sûreté de l'Etat, et ce que le Consul appelait le danger, le salut de la république; de savoir jusqu'où s'étendait l'autorité du Sénat, et le devoir du Consul luimême entre un décret du Sénat et la loi.

En éloquence, définir c'est donc amplifier, accumuler les traits, les exemples, les circonstances qui caractérisent la chose, la présenter du côté favorable à l'opinion qu'on en veut donner, et animer le tableau qu'on en fait, non seulement des couleurs les plus vives, mais de tout ce que le mélange des ombres et de la lumière peut ajouter à leur éclat.

Je ne dis pas qu'une définition rigoureuse ne soit quelquefois un moyen tranchant; mais il faut pour cela qu'elle soit évidemment juste et inattaquable dans tous les points, encore a-t-elle, par sa brièveté même, l'inconvénient d'échapper aux juges, si on ne prend pas soin de l'appuyer, au moins pour lui donner le temps de se graver dans les esprits. In sensum et in mentem judicis intrare non potest: antè enim præterlabitur quàm percepta est. (De Orat.)

Au reste, tous les genres d'éloquence n'exigent pas les mêmes précautions que le plaidoyer, où l'agresseur et le défenseur doivent être sans cesse en garde, et frapper et parer presque d'un même temps. Ainsi la définition, qui, dans le genre judiciaire, est le centre de l'action, et qu'il faut munir de tous côtés de toutes les forces de l'éloquence, est moins critique et moins périlleuse dans le genre de l'éloge ou de la délibération; mais lors même qu'elle n'est pas le centre d'une place forte, elle est au moins le frontispice ou le vestibule d'un palais ou d'un temple; et l'éloquence y doit réunir la pompe et la

solidité.

Dans l'oraison pour Marcellus, Cicéron, en parlant à

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César de ses devoirs, après avoir défini la gloire: Gloria est illustris ac pervagata multorum et magnorum vel in suos, vel in patriam, vel in omne genus hominum fama meritorum (1), développe ainsi sa définition, en l'appliquant à César lui-même: Nec verò hæc tua vita ducenda est, quæ corpore et spiritu continetur. Illa, inquam, illa vita est tua, quæ oigebit memoriâ seculorum omnium, quam posteritas alet, quam ipsa æternitas semper tucbitur (2). Voilà pour l'étendue et la perpétuité; voici pour la solidité et la pureté de la gloire: Obstupescent posteri certè imperia, provincias, Rhenum, Oceanum, Nilum, pugnas innumerabiles, incredibiles victorias, monumenta, munera, triumphos audientes et legentes tuos. Sed nisi hæc urbs stabilita tuis consiliis et institutis erit, vagabitur modò nomen tuum longè atque latè; sedem quidem stabilem et domicilium certum non habebit (3). Voilà ce qui s'appelle définir magnifiquement.

Nos orateurs modernes ont connu l'art de rendre les définitions éloquentes. Je vais en citer deux exemples, pris tous les deux de cette oraison funèbre de Turenne, qui fait la gloire de Fléchier. Voici comment il définit la valeur véritable, celle de son héros :

(1) « La gloire est une renommée éclatante et répandue au loin, pour de grands et nombreux services qu'on a rendus aux siens, à sa patrie ou à l'humanité. »

(2) << N'appelle pas ta vie le souffle qui t'anime, ta vie est celle qui sera florissante dans la mémoire de tous les siècles, que la postérité prendra soin de nourrir, que l'éternité même prendra soin de défendre. >>

(3) « La postérité sera frappée d'étonnement sans doute, en lisant ou en entendant raconter de toi des Empires soumis, des provinces conquises, le Rhin, l'Océan, le Nil asservis; des ba tailles sans nombre, d'incroyables victoires, les monumens, les titres, les triomphes qui attesteront ta gloire; mais si cette ville n'est rétablie par tes conseils et par tes sages institutions, ton nom sera bientôt comme errant et vagabond dans l'univers, sans avoir de demeure stable ni de domicile assuré. »

«

<< N'entendez pas par ce mot (de valeur) une hardiesse vaine, indiscrète, etc. >> Voyez l'Oraison funèbre.

L'autre définition est celle d'une armée :

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Qu'est-ce qu'une armée, etc. » Voyez plus bas.

A l'égard des définitions philosophiques, elles sont d'un usage d'autant plus fréquent dans les choses même les plus familières, que les hommes ne sont jamais en contradiction que pour n'avoir pas défini, ou pour avoir mal défini. L'erreur n'est guère que dans les termes. Ce que j'assure d'un objet, je l'assure de l'idée que j'y attache: ce que vous niez de ce même objet, vous le niez de l'idée que vous y appliquez. Nous ne sommes donc opposés de sentimens qu'en apparence, puisque nous parlons de deux choses différentes sous un même nom. Quand vous lirez clairement dans mon idée, quand je lirai clairement dans la vôtre, vous affirmerez ce que j'affirme, je nierai ce que vous niez; et cette conciliation des idées ne s'opère qu'au moyen des définitions.

Il y en a qui donnent à penser; il y en a d'autres qui en épargnent la peine. Du nombre des premières sont celles-ci, qu'Aristote nous a données : Le juste est l'utile en commun. La prudence est la vertu de la raison dirigée au bonheur. La volupté est le seul bien que l'on désire pour luimême. Un bien d'opinion est celui dont on ne ferait aucun cas, s'il fallait l'avoir en secret.

Du nombre des dernières sont celles-ci, du même philosophe: La tyrannie est une monarchie sans limites. La magnanimité est une bienfaisance qui veut agir en grand. La mélancolie est à la fois douleur et volupté : douleur dans le regret, volupté dans le souvenir.

Or, on sent bien que celles qui demandent de la médi– tation ne sont pas du genre oratoire. Tout y doit être facile à saisir et à pénétrer d'un coup d'œil. L'auditeur n'a le temps ni d'hésiter ni de réfléchir. La pensée, en volant comme la parole, doit jeter sa lumière, et laisser son im

pression. Ceci peut distinguer l'éloquence parlée de l'éloquence écrite.

MARMONTEL. Elémens de Littérature, t. II.

La Bible.

L'ECRITURE Surpasse en naïveté, en vivacité, en grandeur tous les écrivains de Rome et de la Grèce. Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfans des Israélites devaient apprendre par cœur. Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes; par exemple, celui qui commence ainsi : « Le Dieu des Dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé « la terre,» surpasse toute imagination humaine. Jamais Homère ni aucun autre poëte n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu aux yeux duquel « les Royaumes ne « sont qu'un grain de poussière; l'univers qu'une tente « qu'on dresse aujourd'hui, et qu'on enlève demain.» Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie, déplorant les maux de son peuple ; ou à Nahum, voyant de loin, en esprit, tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots; tout est dépeint d'une manière vive quisaisit l'imagination; il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête à fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse leur comparer. Au reste, tout se soutient dans l'Ecriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les descripI. - 24.

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tions, les endroits véhémens, les mystères, les discours de morale; enfin, il y a autant de différence entre les poëtes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux-mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine (1). FENELON. Dial. sur l'Eloq. de la Chaire.

L'Ecriture Sainte.

ENTRE tous les avantages qui relèvent l'excellence et le prix de l'Ecriture Sainte au-dessus de tous les autres livres, un des plus admirables est ce parfait tempérament avec lequel elle joint l'une à l'autre, deux choses qui paraissent incompatibles, une grande douceur et une grande majesté, un air simple et facile, et une extraordinaire élévation. Quand on la lit, et qu'on la médite, c'est comme un nouveau ciel qui s'ouvre, où l'on voit briller, pour ainsi dire, mille feux et mille lumières, et les rayons qu'elle envoie de toute part étonnent les yeux, et les éblouissent à mesure qu'elle les éclaire. Ce caractère est si sensible qu'il se fait remarquer de soi-même, et que l'on en peut aisément tirer une preuve certaine de sa divinité; on ne voit paraître dans ce livre ni art, ni étude, ni philosophie, ni rhétorique, ni éloquence mondaine; et néanmoins, dépourvu de tous ces ornemens, il ne laisse pas d'avoir ce que tout l'art du monde ne saurait donner, savoir : une souveraine autorité qui imprime le respect dans l'âme de ses lecteurs, avec une douceur qui attire et captive leur attention. Or, n'est-ce pas là une preuve convaincante qu'il n'y a que Dieu qui puisse en être l'auteur? Au reste, si vous demandez pourquoi ces deux choses devaient ainsi se rencontrer dans les Saintes Ecri

(1) Voyez, en vers, même sujet.

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