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hommes ordinaires n'ont point de trône à perdre; mais leur intérêt ajoute à la pitié, quand un exemple frappant les avertit que leur vie n'est rien. On dirait qu'ils apprennent cette vérité pour la première fois; car tout ce qu'on sent fortement est une espèce de découverte pour l'âme.

On ne peut douter que Bossuet, en composant cet éloge funèbre, ne fût profondément affecté, tant il y parle avec éloquence et de la misère et de la faiblesse de l'homme! Comme il s'indigne de prononcer encore les mots de grandeur et de gloire! Il peint la terre sous l'image d'un débris vaste et universel; il fait voir l'homme cherchant toujours à s'élever, et la puissance divine poussant l'orgueil de l'homme jusqu'au néant, et, pour égaler à jamais les conditions, ne faisant de tous qu'une même cendre: cependant Bossuet, à travers ces idées générales, revient toujours à la Princesse; et tous ses retours sont des cris de douleur. On n'a point encore oublié, au bout de cent ans, l'impression terrible qu'il fit, lorsqu'après un morceau plus calme, il s'écria tout à coup : « O nuit désas<< treuse! ô nuit effroyable! où retentit, comme un éclat « de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se << meurt! Madame est morte!» Et quelques momens après, ayant parlé de la grandeur d'âme de cette Princesse, tout à coup il s'arrête, et montrant la tombe où elle était renfermée : « La voilà, malgré son grand cœur, << cette Princesse si admirée et si chérie! la voilà telle « que la mort nous l'a faite ! etc...... » Puis tout à coup il craint d'en avoir trop dit. Il remarque que la mort ne nous laisse pas même occuper une place, et que l'espace n'est occupé que par les tombeaux. Il suit les débris de l'homme jusque dans sa tombe. Là, il fait voir une nouvelle destruction au-delà de la destruction: l'homme, dans cet état, devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue : « tant il est vrai, s'écrie l'orateur, que << tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes! » Il est dif

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ficile, je crois, d'avoir une éloquence et plus forte, et plus abandonnée, et qui, avec je ne sais quelle familiarité noble, mêle autant de grandeur.

THOMAS. Essai sur les Eloges.

Douleur de Mme de Longueville, en apprenant la mort de son fils.

Mme de Longueville fait fendre le cœur, à ce qu'on dit je ne l'ai point vue; mais voici ce que je sais : Mlle de Vertus était retournée depuis deux jours à Port-Royal, où elle est presque toujours. On est allé la quérir avec M. Arnaud, pour dire cette terrible nouvelle. Mlle de Vertus n'avait qu'à se montrer. Ce retour si précipité marquait bien quelque chose de funeste. En effet, dès qu'elle parut : « Ah! Mademoiselle, comment se porte monsieur mon frère ?» Sa pensée n'osa aller plus loin :<< Madame, il se porte bien de sa blessure.-Et mon fils ?>> On ne lui répondit rien. «Ah! Mademoiselle, mon fils, mon cher enfant, répondez-moi, est-il mort surle-champ? n'a-t-il pas eu un seul moment? Ah! mon Dieu, quel sacrifice!» et là-dessus elle tombe sur son lit. Tout ce que la plus vive douleur peut faire, et par des convulsions, et par des évanouissemens, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et par des larmes amères, et par des élans vers le ciel, et par des plaintes tendres et pitoyables, elle a tout éprouvé. Elle voit certaines gens; elle prenddes bouillons, parce que Dieu le veut; elle n'a aucun repos. Je lui souhaite la mort, ne comprenant pas qu'elle puisse vivre après une telle perte.

Mme DE SÉVIGNÉ.

Bataille de Rocroi.

A LA nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, le duc d'Enghien reposa le dernier; mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain, à l'heure marquée, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi vaincus, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelans ceux qui échappaient à ses coups.

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Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattans; trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime ; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés ; le Prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier; mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le combat.

Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en

garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur! De quels yeux regardèrent-ils le jeune Prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines ! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le Prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régimens à la journée de Rocroi, en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le Prince fléchit le genou; et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait. Là, on célébra Rocroi délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la Régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. BOSSUET. Oraisons funèbres.

Combat naval de Duguay-Trouin.

DUGUAY-TROUIN s'avance, la victoire le suit. La ruse et l'audace, l'impétuosité de l'attaque et l'habileté de la manœuvre, l'ont rendu maître du vaisseau commandant. Cependant, l'on combat de tous côtés; sur une vaste étendue de mer règne le carnage. On se mêle : les proues heurtent contre les proues; les manoeuvres sont entrelacées dans les manoeuvres; les foudres se choquent et

retentissent. Duguay-Trouin observe d'un œil tranquille la face du combat, pour porter des secours, réparer des défaites, ou achever des victoires. Il aperçoit un vaisseau armé de cent canons, défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte ses coups; il préfère à un triomphe facile l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ose l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaisseau ennemi l'oblige de s'écarter. Le Devonshire, semblable à un volcan allumé, tandis qu'il est consumé au dedans, vomit au dehors des feux encore plus terribles. Les Anglais, d'une main lancent des flammes, de l'autre tâchent d'éteindre celles qui les environnent. DuguayTrouin n'eût désiré les vaincre que pour les sauver. Ce fut un horrible spectacle pour un cœur tel que le sien, de voir ce vaisseau immense brûlé en pleine mer, la lueur de l'embrasement réfléchie au loin sur les flots, tant d'infortunés errans en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes, s'embrassant les uns les autres, ou se déchirant eux-mêmes, levant vers le Ciel des bras consumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer; d'entendre le bruit de l'incendie, les hurlemens des mourans, les voeux de la religion mêlés aux cris du désespoir et aux imprécations de la rage, jusqu'au moment terrible où le vaisseau s'enfonce, l'abîme se referme, et tout disparaît. Puisse le génie de l'humanité mettre souvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois qui ordonnent les guerres! Cependant DuguayTrouin poursuit la flotte épouvantée. Tout fuit, tout se disperse. La mer est couverte de débris; nos ports se remplissent de dépouilles; et tel fut l'événement de ce combat, qu'aucun des vaisseaux qui portaient dụ secours ne passa chez les ennemis. Les fruits de la bataille d'Almanza furent assurés; l'Archiduc vit échouer ses espérances, et Philippe V put se flatter que son trône serait un jour affermi.

THOMAS. Eloge de Duguay-Trouin.

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