Page images
PDF
EPUB

Les Oiseaux et les Poissons.

JUSQUE dans les derniers détails l'économie tout entière des poissons contraste avec celle des oiseaux. L'être aérien découvre nettement un horizon immense; son ouïe subtile apprécie tous les sons, toutes les intonations; sa voix les reproduit: si son bec est dur, si son corps a dû être enveloppé d'un duvet qui le préservât du froid des hautes régions qu'il visite, il retrouve dans ses pattes toute la perfection du toucher le plus délicat, Il jouit de toutes les douceurs de l'amour conjugal et paternel; il en remplit les devoirs avec courage : les époux se défendent, défendent leur progéniture. Un art-surprenant préside à la construction de leur demeure; quand le temps est venu, ils y travaillent ensemble et sans relâche : pendant que la mère couve ses œufs avec une constance si admirable, le père, d'amant passionné devenu tendre époux, charme par ses chants les ennuis de sa compagne. Dans l'esclavage même l'oiseau s'attache à son maître; il se soumet à lui et exécute sous ses ordres les actes les plus adroits, les plus délicats : il chasse pour lui comme le chien, et il revient à sa voix du plus haut des airs: il imite jusqu'à son langage, et ce n'est qu'avec peine que l'on se décide à lui refuser une espèce de raison.

L'habitant des eaux, au contraire, ne s'attache point, il n'a point de langage, point d'affection; il ne sait ce que c'est que d'être époux et père, ni que de se préparer un abri : dans le danger, il se cache sous les rochers de la mer, ou se précipite dans la profondeur des eaux; sa vie est silencieuse et monotone; sa voracité seule l'occupe, et ce n'est que par elle qu'on peut lui enseigner à diriger ses mouvemens par des signes venus du dehors. Et cependant ces êtres, à qui il a été ménagé si peu de jouis

1

[ocr errors]

par

sances ont été ornés la nature de tous les genres de beauté : variété dans les formes, élégance dans les proportions, diversité et vivacité de couleurs, rien ne leur manque pour attirer l'attention de l'homme, et il semble que ce soit cette attention qu'en effet la nature ait eu le dessein d'exciter: l'éclat de tous les métaux, de toutes les pierres précieuses dont ils resplendissent, les couleurs de l'iris qui se brisent, se reflètent en bandes, en taches, en lignes onduleuses, anguleuses, et toujours régulières, symétriques, toujours de nuances admirablement assorties ou contrastées, pour qui auraient-ils reçu tous ces dons, eux qui ne peuvent au plus que s'entrevoir dans ces profondeurs où la lumière a peine à pénétrer? et quand ils se verraient, quel genre de plaisirs pourraient réveiller en eux de pareils rapports?

CUVIER. Hist. des Poissons, liv. II, ch. Ier, p. 280-282.

Faiblesse du pouvoir de l'Homme contre celui de la Nature.

Nous ne voyons l'ordre que là où nous voyons notre blé. L'habitude où nous sommes de resserrer dans des digues le canal de nos rivières, de sabler nos grands chemins, d'aligner les allées de nos jardins, de tracer leurs bassins au cordeau, d'équarrir nos parterres et même nos arbres, nous accoutume à considérer tout ce qui s'écarte de notre équerre comme livré à la confusion. Mais c'est dans les lieux où nous avons mis la main que l'on voit souvent un véritable désordre. Nous faisons jaillir des jets d'eau sur des montagnes; nous plantons des peupliers et des tilleuls sur des rochers; nous mettons des vignobles dans des vallées, et des prairies sur des collines. Pour peu que ces travaux soient négligés, tous ces petits nivellemens sont bientôt confondus sous le niveau général des continens, et toutes ces cultures I.-24.

8

humaines disparaissent sous celles de la nature. Les pièces d'eau se changent en marais, les murs de charmille se hérissent, tous les berceaux s'obstruent, toutes les avenues se ferment, les végétaux naturels à chaque sol déclarent la guerre aux végétaux étrangers; les chardons étoilés et les vigoureux verbascums étouffent sous leurs larges feuilles les gazons anglais; des foules épaisses de graminées et de trèfles se réunissent autour des arbres de Judée; les ronces du chien y grimpent avec leurs crochets, comme si elles y montaient à l'assaut; des touffes d'orties s'emparent de l'urne des Naïades, et des forêts de roseaux des forges de. Vulcain; des plaques verdâtres de minium rongent les visages de Vénus, sans respecter leur beauté. Les arbres même assiégent le château; les cerisiers sauvages, les ormes, les érables montent sur ces combles, enfoncent leurs longs pivots dans ces frontons élevés, et dominent enfin sur ces coupoles orgueilleuses. Les ruines d'un parc ne sont pas moins dignes des réflexions du sage que celles des Empires: elles montrent également combien le pouvoir de l'homme est faible quand il lutte contre celui de la nature.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Etudes de la Nature.

Les Quatre Saisons.

LE PRINTEMPS.

Le soleil entrait à peine dans le signe du Taureau. A l'éclat monotone des neiges de l'Apennin avait succédé la fleur de la blanche épine. Déjà même commençait l'agréable lutte des zéphyrs et du lilas flexible, dont la tendre couleur annonçait le premier sourire de la nature. La rose n'avait pas encore exhalé ses voluptueux parfums, mais l'humble violette embaumait les forêts, et des milliers de feuilles d'un vert tendre s'échappaient du sein

des bourgeons vivifiés par une rosée bienfaisante. Chaque feuille recélait une perle liquide; et, lorsqu'un vent frais et doux agitait la cime des arbres, des gouttes pures et limpides humectaient la terre, l'insecte réjoui s'agitait sous l'herbe, et l'oiseau, en battant des ailes, s'abreuvait de la liqueur divine.

O Tivoli, fille de Tibur, et vous aussi, antiques monumens des arts! de votre enceinte sacrée l'œil peut voir à la fois les noirs frimas fuir au loin vers les régions hyperborées, et la féconde nature vous couvrir de guirlandes nouvelles, semblables à ces vieillards de la paisible Arcadie, assis à l'ombre d'un chêne, et couronnés de fleurs par des enfans.

Dans cette saison fortunée, ô Tivoli! je foulai, pour la première fois, ton sol antique. Mes regards se portèrent avidement sur la grande cascade. Jamais ce sublime caprice de la nature n'avait paru plus imposant aux yeux du voyageur étonné. Les flots de l'Aniéno, transformés en une nappe immense, se précipitaient, avec un bruit pareil à celui du tonnerre, dans le vaste bassin que lui avait creusé la nature. Le Vésuve en furie mugit avec moins de majesté. O miracle de l'harmonie! à travers le bruissement de l'onde écumante, on distinguait par intervalles le chant mélodieux de Philomèle (1).

L'ÉTÉ.

LA nuit ne luttait plus qu'avec des forces inégales contre les feux dont le soleil, vers le milieu du printemps, embrase la belle Ausonie, Une atmosphère de jeunesse et d'amour était répandue sur toute la nature. Le désir, la volupté, la vie, circulaient dans l'air. L'oiseau soucieux voltigeait, en battant des ailes, autour du nid tissu par sa merveilleuse industrie, et qui bientôt devait recéler ses petits, près de briser leur enveloppe fra

(1) Voyez Définitions, les Quatre Saisons de Girodet.

gile. Cependant le chêne altier n'offrait point encore une barrière impénétrable aux brûlantes ardeurs du midi. Toutes les fleurs de la saison n'étaient point écloses; celles qui appartiennent aux derniers jours du printemps avaient seules reçu, par leurs stigmates, cette poussière mystérieuse, qui, s'élançant des anthères du fleuron mâle, et portée sur l'aile du zéphyr, va féconder l'amoureux pistil de la fleur; on voyait même l'abeille dorée et le brillant papillon, chargés du précieux pollen, seconder, en suçant le nectar des fleurs, les essais incertains de l'amant léger de Flore. Enfin la nature n'avait pas encore achevé de développer ses richesses, mais elle se montrait dans toute sa grâce et sa fraîcheur première. Telle on voit une jeune fille à peine adolescente, dont la taille svelte et légère promet à l'hymen mille trésors et les voluptés du ciel, tandis que son joli visage offre encore quelques uns des traits à demi ébauchés de l'enfance.

L'AUTOMNE.

UNE teinte pourprée s'étendait sur l'horizon. Des nuages de couleur d'ambre flottaient avec grâce, et paraissaient disposés à se grouper vers un centre commun. Soudain ces nuages s'écartent, et le soleil couchant se montre dans toute sa splendeur. Tel un monarque, assis sur un trône éclatant de rubis et d'opales, annonce, par un coup d'œil, qu'il daigne se manifester aux regards de ses peuples; la foule des courtisans se précipite, et tous se prosternent à ses pieds.

De loin on entendait le mugissement du taureau précurseur, et celui des vaches paisibles qui, dans leur marche lentement tumultueuse, se pressaient vers leur étable; ensuite le bêlement des agneaux, et la clochette du mouton favori, dont le son argentin se perdait insensiblement dans les airs. A ces bruits confus, mais non discordans, se mêlait le chant virginal des jeunes filles

« PreviousContinue »