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y font entendre des chants que la solitude et la saison semblent rendre plus mélodieux et plus tendres.

Cependant nous suivions lentement le cours du Pénée, et mes regards, quoique distraits par une foule d'objets délicieux, revenaient toujours sur ce fleuve. Tantôt je voyais ses flots étinceler à travers le feuillage dont ses bords sont ombragés; tantôt, m'approchant du rivage, je contemplais le cours paisible de ses ondes qui semblaient se soutenir mutuellement, et remplissaient leur carrière sans tumulte et sans effort. Je disais à Amyntor; << Telle est l'image d'une âme pure et tranquille; ses vertus naissent les unes des autres, elles agissent toutes de concert et sans bruit. L'ombre étrangère du vice les fait seule éclater par son opposition. » Amyntor me répondit : « Je vais vous montrer l'image de l'ambition, et les funestes effets qu'elle produit. >>

Alors, il me conduisit dans une des gorges du mont Ossa, où l'on prétend que se donna le combat des Titans contre les Dieux. C'est là qu'un torrent impétueux se précipite sur un lit de rochers qu'il ébranle par la violence de ses chutes. Nous parvînmes en un endroit où ses vagues, fortement comprimées, cherchaient à forcer un passage; elles se heurtaient, se soulevaient, et tombaient en mugissant dans un gouffre d'où elles s'élançaient avec une nouvelle fureur, pour se briser les unes contre les autres

dans les airs.

Mon âme était occupée de ce spectacle, lorsque je levai les yeux autour de moi; je me trouvai resserré entre deux montagnes noires, arides, et sillonnées dans toute leur hauteur par des abîmes profonds. Près de leurs sommets, des nuages erraient pesamment parmi des arbres funèbres, ou restaient suspendus sur leurs branches stériles. Au-dessous je vis la nature en ruine; les montagnes écroulées étaient couvertes de leurs débris, et n'offraient que des roches menaçantes et confusément entassées. Quelle puissance a donc brisé les liens de ces

masses énormes? Est-ce la fureur des aquilons? est-ce un bouleversement du globe? est-ce en effet la vengeance terrible des Dieux contre les Titans? je l'ignore: mais enfin, c'est dans cette affreuse vallée que les conquérans devraient venir contempler le tableau des ravages dont ils affligent la terre.

BARTHELEMY. Voyage d'Anacharsis.

La Vallée de Campan.

DEUX Vallons, dont le premier descend du Tourmale, et l'autre des montagnes de la vallée d'Aure, se perdent au bourg de Sainte-Marie, dans la vallée de Campan. Chacun de ces vallons y apporte le tribut de son torrent, et l'Adour, formé de leurs eaux confondues, après avoir baigné les riches prairies de cette vallée, rencontrant à Bagnères les plaines du Bigorre, comme charmé des contrées qu'il abandonne et de celles qu'il va parcourir, semble lutter, par ses longs circuits, contre la commune destinée des fleuves, lorsque, rencontrant le Gave à Bayonne, né à côté de lui, il s'engloutit avec lui dans les gouffres de l'Océan,

Je ne peindrai point cette belle vallée qui le voit naître, cette vallée si connue, si célébrée, si digne de l'être; ces maisons si jolies et si propres, chacune entourée de sa prairie, accompagnée de son jardin, ombragée de sa touffe d'arbres; les méandres de l'Adour plus vif qu'impétueux, impatient de ses rives, mais en respectant la verdure; les molles inflexions du sol ondé comme des vagues qui se balancent sous un vent doux et léger; la gaieté des troupeaux et la richesse du berger; ces bourgs opulens, formés comme fortuitement, là où les habitations répandues dans la vallée ont redoublé de proximité. Bagnères, ce lieu charmant, où le plaisir a ses autels à côté de ceux d'Esculape, et veut être de moitié dans ses miracles;

séjour délicieux, placé entre les champs du Bigorre et les prairies de Campan, comme entre la richesse et le bonheur; ce cadre, enfin, digne de la magnificence du tableau; cette fière enceinte, où la nature oppose le sauvage au champêtre ; ces cavernes, ces cascades, visitées par tout ce que la France a de plus aimable et de plus illustre; ces roches, trop verticales peut-être, dont l'aridité contraste avec la parure de ces heureuses vallées, ce pic du Midi, suspendu sur leurs tranquilles retraites, comme l'épée du tyran sur la tête de Damoclès.... Menaçans boulevards, qui me font trembler pour l'Elysée qu'ils renferment.

RAMOND.

Ruines des Monumens Grecs.

L'INSOUCIANCE des Turcs a fait plus de tort aux arts que la lime du temps. Ils ne se donnent pas la peine de tailler des pierres, ils démolissent de superbes édifices antiques, et se servent des matériaux pour construire des baraques. J'ai vu les ruines d'un temple de la plus riche architecture, des blocs de granit, des marbres précieux, des basreliefs et des ornemens du plus beau fini, servir à construire une digue grossière qui détournait les eaux d'un ruisseau pour faire tourner les roues d'un misérable moulin en bois. Ailleurs, ce sont des colonnes de tous ordres, arrachées à divers monumens pour servir de soutien au comble d'une écurie. Ici, c'est un autel qu'on a creusé en forme de mortier, qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe; un tombeau antique dont on a brisé le fond, formera la margelle d'un puits, et un autre servira d'auge où les troupeaux viendront s'abreuver; une statue, qui par sa masse ne peut être déplacée, sera défigurée par les coups de la lance des fanatiques sectateurs du Qôran qui proscrit toute représentation humaine. L'on trouvera

enfin dans un atelier de sculpteur, ou plutôt d'un barbare fabricant de tombeaux, des marbres dont il s'efforce d'effacer les inscriptions précieuses pour l'histoire de l'antiquité, et cela pour y substituer l'épitaphe d'un obscur descendant de Mahomet. On ne peut faire un pas sans gémir de voir dénaturer ces restes vénérables, et disparaître en un instant le témoignage de tant de siècles de gloire. CASTELLAN. Lettres sur la Morée.

Le Parthenon.

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TOUT se tait devant l'impression incomparable du Parthénon, ce temple des temples, bâti par Sétinus, ordonné par Périclès, décoré par Phidias, type unique et exclusif du beau dans les arts de l'architecture et de la sculpture, espèce de révélation divine de la beauté idéale reçue un jour par le peuple, artiste par excellence, et transmise par lui à la postérité, en blocs de marbre impérissables, et en sculptures qui vivront à jamais. Ce monument, tel qu'il était avec l'ensemble de sa situation, de son piédestal naturel, de ses gradins décorés de statues sans rivales, de ses formes grandioses, de son exécution achevée dans tous les détails, de sa matière, de sa couleur, lumière pétrifiée; ce monument écrase depuis des siècles l'admiration, sans l'assouvir; quand on en voit ce que j'en ai vu seulement, avec ses majestueux lambeaux mutilés par les bombes vénitiennes, par l'explosion de la poudrière sous Morosini, par le marteau de Théodore, par les canons des Turcs et des Grecs, ses colonnes en blocs immenses touchant ses pavés, ses chapiteaux écroulés, ses triglyphes brisés par les agens de lord Elgin, ses statues emportées par des vaisseaux anglais; - ce qu'il en reste est suffisant pour que je sente que c'est le plus parfait poëme écrit en pierre sur la face de la terre.

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LA MARTINE. Voyage en Orient, t. I, p. 154.

Les Mines et leurs Travaux.

LE règne minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant; ses richesses, renfermées dans le sein de la terre, semblent avoir été éloignées des regards de l'homme, pour ne pas tenter sa cupidité; elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses, qui sont plus à sa portée, et dont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il appelle l'industrie, la peine et le travail, au secours de ses misères; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens imaginaires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle-même quand il savait en jouir. Il fuit le soleil et le jour, qu'il n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières, des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes, de marteaux, de fumée et de feu, succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages hâves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux Cyclopes, sont le spectacle que l'appareil des mines substitue, au sein de la terre, à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux, et des laboureurs robustes, sur sa surface. J. J. ROUSSEAU. Œuvres posthumes.

Les Tombeaux aériens.

La jeune mère se leva, et chercha des yeux, dans le désert embelli par l'aurore, quelque arbre sur les branches duquel elle pût exposer son fils. Elle choisit un érable à fleurs rouges, tout festonné de guirlandes d'a

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