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génieux font briller dans les divifions. Si elles étoient ménagées avec une certaine difcrétion, il femble qu'elles aideroient l'auditeur à mieux faifir les branches du fujet. Cependant quand ces branches font préfentées avec la clarté convenable, elles n'ont pas befoin d'être figurées, pour s'imprimer dans l'efprit. Voici la propofition & la divifion de Ciceron pour le poëte Archias: On a tort de contefter à Archias le droit de citoyen Romain: 1'. parce qu'il eft réellement citoyen: 2'. parce que s'il ne l'étoit pas il mériteroit de l'être.

III.

Narration ou Récit.

Dans le genre judiciaire le récit vient ardinairement après la divifion; parce qu'en ce cas la preuve doit naître des faits. Ainfi l'art de cette partie confiste à préfenter dans cette premiere expofition le germe à demi éclos, des preuves qu'on a deffein d'employer; afin qu'elles paroiffent plus vraies & plus naturelles, quand on les en tirera tout-à-fait par l'argumentation.

L'ordre & le détail du récit doivent être rélatifs à la même fin. On a foin

de mettre dans les lieux les plus apparens les circonftances favorables, de n'en laiffer perdre aucune partie, de les mettre toutes dans le plus beau jour. On laiffe au contraire dans l'obfcurité celles qui font défavorables, ou on ne les préfente qu'en paffant, foiblement, & par le côté le moins défavantageux. Car il y auroit fouvent plus de danger pour la caufe de les omettre entierement, que d'en faire quelque mention; parce que l'adverfaire revenant fur vous, ne manqueroit pas de tirer avantage de votre filence, de le prendre pour un aveu tacite ; & il renverferoit alors fans peine tout l'effet de vos preuves. On trouve tout l'art de cette forte de récit, dans celui que fait Ciceron du meurtre de Clodius par Milon.

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IV.

Preuves.

L'orateur dans fa preuve a deux chofes à faire; l'une d'établir fa propofition par tous les moyens que fa caufe lui fournit; l'autre de réfuter les moyens de fon adverfaire; car il faut favoir bâtir & rui

ner.

Quelquefois on commence par la réfutation; quand on s'apperçoit que l'ad

fi la

versaire a fait une forte impreffion, & que les preuves feroient mal reçues, prévention n'étoit diffipée.

Un orateur habile connoît fes juges, & de quelle maniere il faut les prendre. Souvent les meilleures raifons ne font pas celles qui ont le plus d'effet. Tout dépend de la fituation de l'ame où elles tombent. Une démonftration paffe pour vaine fubtilité, & une fubtilité pour démonftration géométrique, felon la différence des efprits, des goûts, des âges, des intérêts.

Quant à l'arrangement des preuves, les Rhéteurs propofent pour modéle, celui d'une armée. Qu'on mette au premier rang, ce qu'il y a de plus vigoureux & de plus brave: car fouvent du premier choc dépend tout le fuccès. On réservera pour porter un dernier coup, & affurer la victoire, d'autres troupes d'élite; & dans le milieu on placera les foldats d'une bravoure équivoque ; de maniere que par leur pofition, s'ils ne vont pas au combat, ils y feront portez par ceux qui les fuivent. Cela paroît affez jufte dans la fpéculation; mais fur le terrain, les chofes demandent fouvent d'autres arrangemens. Chaque fujet a fes regles propres ; c'est à la prudence & au bon fens de l'orateur,

à les trouver & à les fuivre. Tout fe réduit à recommander la netteté & la précifion. Une preuve trop étalée devient Alafque. Si elle est trop ferrée, elle n'a pas de maffe, de portée. Les mots inutiles la furchargent, l'extrême briéveté l'obfcurcit, & affoiblit fon coup.

Je comparerois volontiers les orateurs dans leurs preuves, à l'athléte qui court dans la carriere. Vous le voyez incliné vers le but où il tend, emporté par fon propre poids, qui eft de concert avec la tenfion de fes mufcles & le mouvement de fes pieds: tout contribue en lui à augmenter fa viteffe. Bourdaloue, Boffuet, Démonfthéne, Ciceron, font des modéles parfaits dans cette partie comme dans les autres. On fe jette avec eux dans la même carriere, on court comme eux. Nos pensées font emportées par la rapidité des leurs ; & quoique nous perdions de vûe leurs preuves & leurs raifonnemens ; nous jugeons de leur folidité par la conviction qui nous en refte.

La Réfutation demande beaucoup d'art, parce qu'il eft plus difficile de guérir une bleffure que de la faire. Quelquefois le mépris fuffit pour réfuter un adverfaire. Ce fut ainfi que Scipion confondit le Tri

bun du peuple qui l'accufoit de mauvaise adminiftration des deniers publics : « Je » me rappelle, M. que ce fut en pareil »jour que celui-ci, que je vainquis An> nibal: allons en rendre graces aux dieux, » & laiffons ici ce maraut, nebulonem. A. » Gell.

Quelquefois on retorque l'argument fur fon adverfaire. Protagore, philofophe, fophifte, & rhéteur, étoit convenu avec Euathlus fon difciple, d'une fomme, qui lui feroit payée par celui-ci, lorsqu'il auroit gagné une caufe. Le tems paroif fant long au maître: il lui fit un procès, & voici fon argument: Ou vous perdrez votre caufe, ou vous la gagnerez. Si vous la perdez, il faudra payer, par la `fentence des Juges. Si vous la gagnez, il faudra payer en vertu de notre convention. Le difciple répondit: Ou je perdrai ma caufe, ou je la gagnerai; fi je la perds, je ne vous dois rien en vertu de notre convention; fi je la gagne, je ne vous dois rien en vertu de la fentence des Juges.

Quand l'objection eft fufceptible d'une réfutation en regle, on la fait par des ar gumens contraires, tirez ou des circonf tances, ou de la nature de la chose des autres lieux communs.

ου

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