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LETTRE LXXVII.

Du 3 Décembre 1736.

Il est vrai, Monsieur, que c'est du plus loin qu'il me souvienne d'avoir reçu de vos nouvelles, et d'avoir eu l'honneur de vous écrire ce n'est pas que je ne le dusse faire pour mon soulagement, car vous savez que je suis accablée sous le poids de la reconnoissance de toute une famille qui m'en a chargée, comme du soin de leur aider à vous faire leurs très-humbles remercîmens. Vous voyez d'ici tous les L.... les Ch.... et sans doutes les G.... si le Prophète Élie ne lui avoit pas tourné la tête, et qu'il ne fût pas au fort S. Nicolas. Donc, Monsieur, ayez la bonté de vous tenir pour bien remercié, et croyez que vous obligez des cœurs bien sensibles, bien bons, bien reconnoissans, et bien attachés à vous, et le mien brochant sur le tout. Il s'est en effet passé bien des évènemens depuis notre dernière conversation; nous ne les savons jamais qu'à demi, attendu cette phrase de tous ceux qui écrivent, Vous savez sans doute, moyennant laquelle on ne sait rien: je pensois être la seule à qui ce malheur arrivoit. J'ai trouvé

Madame de... en colère véritablement pour le même sujet. Nous savons les morts de M. d'A..., de M. de L..., de Madame de V..., et des fragmens de leurs dernières dispositions, et toujours par la supposition que nous savons tout ; tant y a que nous n'en savons que trop, et quand on sait leur vie, on ne se dit que trop les circonstances de leur mort, à moins de ces graces finales de bon larron qui sont si rares qu'on ne doit pas y compter; il faut pourtant paroître tous à ce grand tribunal : et que feront ceux qui n'y apportent que des actions de Mississipi? Je tremble de plus en plus, mon cher Monsieur : je tremble pour moi, pri mo; je tremble pour mes amis, pour les morts, pour les vivans, pour vous en par ticulier; je voudrois vous voir un saint. Le tourbillon d'affaires, de devoirs, de Cour, d'Intendance: ah mon Dieu! que d'obstacles! Je pleure ce pauvre Abbé de Bussy : car je ne connoissois guère M. de L...., et on ne le connoissoit pas dans son diocèse. Je ne connois rien à ce codicile, et j'éloigne ma pensée de tout ce qu'il présente à l'esprit. Votre lettre, Monsieur, remplie de toutes ces morts, a été cause d'une chose qui vous fâchera peut-être, et dont je vous demande pardon : je vous avoue ingénue

ment que, saisie d'effroi, j'ai mal reçu la pièce de M... et annoncée comme peu chaste et peu chrétienne, je ne l'ai non-seulement pas lue, mais sur le champ je l'ai jetée au feu ; ainsi elle n'a point été vue ni envoyée, selon vos intentions. Je crois que vous ne me prendrez plus pour votre correspondante en pareilles matières. Je suis à votre service pour tout le reste; vous savez que je vous suis fidèlement et tendrement dévouée; mais s'il y a de la foiblesse, de la petitesse à ce que j'ai fait, ne faut-il pas se pardonner quelque chose? Je ne lis plus aucune sorte de bagatelles, et je n'en ai même nulle curiosité. Pardon encore, Monsieur, pardon. Je n'ai pas commencé ni imaginé le mariage de M. B.... avec Mademoiselle de S.... ; mais comme j'ai l'honneur d'appartenir à ceuxci, et que j'ai fort connu Madame de S.... elle s'adressa à moi pour les instructions dont on est curieux en pareil cas. Je n'avois rien à dire que de bon, je le dis, et tout de suite je me trouvai chargée de la confiance des uns et des autres, et de la continuation de cette besogne qui n'a point trouvé d'obstacles, et qui étoit si aisée que Pouponne l'auroit faite. A propos de cette Pouponne, vraiment nous sommes dans un beau mouvement: on joue Athalie dans son couvent,

elle en fait le rôle, et nous aurions grand besoin de votre secours, Monsieur. Imaginez-vous que nous ne savons (parce que je l'ai oublié) comment elle est habillée, quand il faut qu'elle soit assise ou debout, en colère ou douce, ou hypocrite: tout cela nous embarrasse. J'ai demandé une poupée à Sineti pour modèle, il l'oubliera, et je serai fâchée. Ne pourriez-vous pas, en remettant cette tragédie sous vos yeux à quelque moment perdu, nous marquer nos différentes situations? vous me feriez grand plaisir. On se porte bien à l'Intendance; Madame de.... a eu pourtant quelques accès de sa colique, et M. le P. P. un gros rhume; mais tout est passé. Je n'ai point de cousins autour de moi, ils courent les champs depuis un mois, je les attends ces jours-ci. On dit tous bas que M. votre frère l'Abbé vient en Provence avec vous. Vous ne sauriez mieux faire l'un et l'autre, et à vos amis plus de plaisir. Mais venez donc, Monsieur : voilà un tems admirable, profitez-en. Je compte que.... nous dira beaucoup de nouvelles ; je compte aussi que vous savez toutes celles de Provence ; et quand on est à Paris, on ne s'en soucie guère.

J'aurois encore une infinité de choses à vous dire; mais huit pages c'est bien as

sez; la discrétion s'empare de moi. Je vous soubaite bien de la santé, bien de la tranquillité, et tous les bonheurs ensemble et je vous dis bien vrai, Monsieur, et sur cela, et sur mon tendre attachement pour

vous.

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LETTRE LXXVIII.

Du

19 Décembre 1736.

QUANT à moi qui n'aime pas qu'on se

marie, je suis bien contente de la femme que vous nous amenez Monsieur; mais tout le monde en ce pays - ci en attendoit une autre. Ce que je crois fermement, c'est que si vous ne la cherchez pas dans le pays où vous êtes, je ne pense pas qu'il y ait rien en Provence digne de vous. Peut-être que vous allez faire quelque découverte à Ro

me;

il seroit beau de nous amener une Dame Romaine, pourvu qu'elle ait les vertus et les inclinations des premières de cette maîtresse du monde, les Lucrèces, les Émilies, les Fulvies, etc. Parlons d'Athalie pour ne pas quitter la rime.

Vous m'avez dit, Monsieur, précisément tout ce que je voulois savoir. Me voilà bien en vous attendant; car si vous me tenez pa

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