Page images
PDF
EPUB

Z (1) le bon, le mauvais, le pire, tout y entre; rien, en un certain genre, n'est oublié quelle recherche ! quelle affectation dans ces ouvrages! on les appelle des jeux d'esprit. De même il y a un jeu dans la conduite on a commencé, il faut finir; on veut fournir toute la carrière. Il serait mieux ou de changer ou de suspendre, mais il est plus rare et plus difficile de poursuivre : on poursuit, on s'anime par les contradictions; la vanité soutient, supplée à la raison, qui cède et se désiste. On porte ce raffinement jusque dans les actions les plus vertueuses, dans celles mêmes où il entre de la religion. » En effet Bourdaloue le reproche très clairement à Mme de Maintenon (2) dans l'instruction écrite qu'il lui donna le 30 octobre 1688; mais on le retrouve plus claire ment encore dans la conduite de Me la Duchesse. Lorsque son mari arriva d'Allemagne, elle alla au-devant de lui (3), et le mit au courant de tout ce qui s'était passé dans la maison de Condé pendant son absence. Quand M. le Prince voulut s'expliquer de vive voix avec son fils, il le trouva entièrement prévenu et ne put le ramener à ses sentiments. Alors M. le Prince tomba de nouveau malade. Il fut, dit M. de Sourches (4), attaqué d'une fièvre tierce, qui n'était pas un trop bon meuble dans l'arrière-saison, principalement pour un homme aussi maigre et aussi exténué qu'il l'était. Il en fut longtemps assez souffrant, et pendant cette maladie il eut des vapeurs qui le mirent hors d'état de paraître dans le monde : enfin le bon régime le tira d'affaires.

Pendant ce temps-là les plaisirs avaient recommencé à la cour, surtout les appartements où Mme la Duchesse jouait si bien son rôle : il fallait bien amuser les princes, les officiers généraux et les gens de qualité, qui arrivaient de l'armée avec un esprit assez triste. Elle badinait sans cesse, et son enjouement plaisait à tous. Sa malice même déridait les fronts les plus sévères, et déconcertait la gravité de Mme la Dauphine. Mais on avait cassé la chambre de ses filles parce qu'elle avait renoué son commerce avec Mme de Valentinois : voilà ce qui faisait jaser le public et donnait mauvais renom. C'est pourquoi M. le Duc, qui aimait sa femme plus que jamais, affectait plus que jamais

(1) Jeux abécédaires. Cf. Recherches sur les jeux d'esprit, par A. Canel, Évreux, 1867;

t. I, p. 13 et suivantes. Cf. Servois, la Bruyère, t. II, p. 47, 48.

(2) Euvres complètes de Bourdaloue (Paris, 1826), à la fin du 16 volume.

(3) Dangeau.

de ne point l'aimer, et se faisait voir au Cours et aux Tuileries avec une maîtresse dont il n'était point amoureux. Mme la Duchesse fit sur les plaisirs de monsieur son mari une chanson immortelle, dit SaintSimon.

:

M. le Duc s'en prit à la Bruyère. Hé quoi! ce philosophe voulait corriger les mœurs de son maître et le rendre meilleur? C'était le renversement des principes les mieux établis qu'une prétention aussi indiscrète! Il faut bien avouer que la Bruyère manqua de prudence quand il dit : « Qu'on évite d'être vu seul avec une femme qui n'est point la sienne (1), voilà une pudeur qui est bien placée ; qu'on sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des personnes dont la réputation est attaquée ; cela n'est pas incompréhensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un homme de sa propre femme, et l'empêche de paraître dans le public avec celle qu'il s'est choisie pour sa compagne inséparable, qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa société; avec celle qu'il aime et qu'il estime, qui est son ornement, dont l'esprit, le mérite, la vertu, l'alliance lui font honneur? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage?» Ces considérations étaient blessantes pour M. le Duc mais ce qui mit M. le Duc hors de lui, ce fut l'impertinence du philosophe qui osait se comparer à Son Altesse Sérénissime. « Je connais la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise les esprits et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement ; je sens néanmoins que j'aurais l'impudence de me promener au Cours, et d'y passer en revue avec une personne qui serait ma femme (2). » On comprend la mauvaise humeur de Son Altesse dans cette circonstance. « Parler et offenser, pour de certaines gens, est, dit la Bruyère (3), précisément la même chose. Ils sont piquants et amers; leur style est mêlé de fiel et d'absinthe la raillerie, l'injure, l'insulte leur découlent des lèvres comme leur salive. Il leur serait utile d'être nés muets et stupides: ce qu'ils ont de vivacité et d'esprit leur nuit davantage que ne fait à quelques autres leur sottise. Ils ne se contentent pas toujours de répliquer avec aigreur, ils attaquent souvent avec insolence; ils frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue, sur les présents, sur les absents; ils heurtent de front et de côté, comme des béliers : demande-t-on à des béliers

(1) Chap. XIV, no 35. (2) Chap. XIV, no 35. (3) Chap. v, no 27.

qu'ils n'aient pas de cornes? De même n'espère-t-on pas de réformer par cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indociles. Ce que l'on peut faire de mieux, d'aussi loin qu'on les découvre, est de les fuir de toute sa force et sans regarder derrière soi. » N'est-ce pas là cet homme terrible dont parle Saint-Simon (1), terrible avec ses amis par son humeur violente et ses fougues de tourbillon que rien ne pouvait arrêter; pas un d'eux n'était un moment en sûreté avec lui; la crainte de ses railleries perçantes ou de ses pointes brutales tenait chacun continuellement en garde ou en malaise dans la maison de Condé.

Si la Bruyère avait eu le tort de faire de la morale qu'on ne lui demandait pas, et avec une hauteur philosophique qui était peut-être déplacée, cependant ce n'était pas la Bruyère qui était la cause des ennuis de M. le Duc. En dehors de M. le Duc lui-même, on ne pouvait guère accuser que M. de Marsan. Mais on avait de l'indulgence, même dans la maison de Condé, pour ce joli petit prince de la maison de Lorraine. Il avait épousé une vieille femme, cela excusait tout. Dans un moment de désespoir il était parti pour aller se faire tuer à Mayence, mais il n'avait pu entrer dans la place assiégée; et, lorsqu'elle fut prise, il était revenu fort penaud, en même temps que M. le Duc, de l'armée d'Allemagne. La jeunesse de la cour plaignait ce prince si mal marié. « Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme, observa le moraliste (2), que d'épouser une femme avancée en âge; c'est quelquefois prudence, c'est précaution. L'infamie est de se jouer de sa bienfaitrice par des traitements indignes, et qui lui découvrent qu'elle est la dupe d'un hypocrite et d'un ingrat. Si la fiction est excusable, c'est où il faut feindre de l'amitié ; s'il est permis de tromper, c'est dans une occasion où il y aurait de la dureté à être sincère. — Mais elle vit longtemps. - Aviez-vous stipulé qu'elle mourût après avoir signé votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes? N'a-t-elle plus après ce grand ouvrage qu'à retenir son haleine, qu'à prendre de l'opium ou de la ciguë? A-t-elle tort de vivre? Si même vous mourez avant celle dont vous aviez déjà réglé les funérailles, à qui vous destiniez la grosse sonnerie et les beaux ornements, en estelle responsable? »

Bien d'autres que M. de Marsan admiraient l'esprit et la beauté (1) Addition au journal de Dangeau, t. XIII, p. 114.

de Mme la Duchesse. Voici à peu près le sens de l'inscription latine que Santeul avait faite pour la Galatée de Chantilly « Tu veux écraser ces jeunes gens sous ton rocher, ô cyclope! combien ta menace est vaine! Le babil de ces eaux, qui ne se taisent jamais, célèbre éternellement leurs éternelles amours. » On était frappé de la même pensée quand, parmi les nouveaux chefs-d'œuvre dont se paraient les jardins de Versailles, on admirait alors, dit Perrault (1), le beau groupe d'Acis qui « naquit sous le ciseau du gracieux Baptiste. » L'histoire d'Acis et Galatée était fort connue; M. le Duc et la Bruyère l'avaient lue ensemble (2) dans les Métamorphoses d'Ovide. Acis, berger de Sicile, âgé de dix-huit ans et remarquable par sa beauté, faisait le bonheur de la nymphe Galatée et le malheur du cyclope Polyphème. Le cyclope ne comprenait pas pourquoi la belle Galatée, qu'il adorait, se dérobait à son entretien. Un jour qu'il errait dans les bois, dévorant son chagrin, il aperçut Acis et Galatée ensemble. Il comprit, saisit un rocher énorme et... Galatée s'enfuit. Acis adressa au cyclope un discours aussi brillant que pathétique ; il fit appel de la manière la plus ingénieuse à tous les sentiments de ce noble et puissant seigneur; il vanta sa naissance illustre, ses immenses richesses, sa force incomparable : il croyait avoir touché son cœur, lorsqu'il fut écrasé sous le poids du rocher. La Bruyère donna ce nom d'Acis aux jeunes courtisans qui, dans un langage plein de prétention et vide de sens commun, cherchaient à plaire à Mme la Duchesse. « Aucun ne lui a plu, dit Mme de Caylus (3), si on excepte le comte de Mailly, dont je ne répondrais pas. Cependant je n'ai rien vu, en passant ma vie avec elle, qui pût autoriser les bruits qui ont couru. Je l'ai bien vu amoureux : j'en ai parlé en riant à Mme la Duchesse, qui me répondit sur le même ton. Mme de Maintenon en a souvent parlé en ma présence à M. de Mailly; mais il se tirait des réprimandes qu'elle lui faisait par des plaisanteries, qui réussissaient presque toujours quand elles étaient faites avec esprit. » On comprend l'indulgence de Mme de Maintenon pour ses nièces et pour ceux qui avaient bien voulu les épouser. M. le Prince ne pouvait avoir tant de complaisance pour l'heureux époux de Me de Sainte-Hermine : très jaloux de veiller sur Mme la Duchesse, il ferait aussi mauvais

(1) Siècle de Louis le Grand. (2) Livre XIII, vers 731-898. (3) Souvenirs, p. 194-195.

[graphic]

qu'ils n'aient pas de cornes? De même n'espère par cette peinture des naturels si durs, si faro que l'on peut faire de mieux, d'aussi loin qu'on fuir de toute sa force et sans regarder derrière s homme terrible dont parle Saint-Simon (1), te son humeur violente et ses fougues de tour vait arrêter; pas un d'eux n'était un momen crainte de ses railleries perçantes ou de ses chacun continuellement en garde ou en mal Condé.

Si la Bruyère avait eu le tort de faire de demandait pas, et avec une hauteur philoso déplacée, cependant ce n'était pas la Bruy ennuis de M. le Duc. En dehors de M. le Du guère accuser que M. de Marsan. Mais on a dans la maison de Condé, pour ce joli pe Lorraine. Il avait épousé une vieille fe Dans un moment de désespoir il était par Mayence, mais il n'avait pu entrer dans qu'elle fut prise, il était revenu fort pen M. le Duc, de l'armée d'Allemagne. La j ce prince si mal marié. « Ce n'est pas u jeune homme, observa le moraliste (2), avancée en âge; c'est quelquefois prude famie est de se jouer de sa bienfaitrice p et qui lui découvrent qu'elle est la dupe d Si la fiction est excusable, c'est où il fau permis de tromper, c'est dans une occasio à être sincère. Mais elle vit longtemps. mourût après avoir signé votre fortune et N'a-t-elle plus après ce grand ouvrage qu prendre de l'opium ou de la ciguë? A-t vous mourez avant celle dont vous aviez

[ocr errors]

qui vous destiniez la grosse sonnerie et 1 elle responsable? >>

Bien d'autres que M. de Marsan adm

(1) Addition au journal de Dangeau, t. XIII, p. 114,

Trouliez m'ap

neige. Vous

iter; dites: « Je

est bien ani et

-Qu'importe on parle, et de , Acis, à vous vous en défiez

e vous man

il la source lées et de vos Tilt homme, ou vous

ancun esprit des filles de

« PreviousContinue »