Page images
PDF
EPUB

MORON.

:

Oh! que la princesse est d'une étrange humeur! Et qu'à suivre la chasse et ses extravagances, Il nous faut essuyer de sottes complaisances! Quel diable de plaisir trouvent tous les chasseurs De se voir exposés à mille et mille peurs? Encore si c'étoit qu'on ne fût qu'à la chasse Des lièvres, des lapins, et des jeunes daims, Ce sont des animaux d'un naturel fort doux, Et qui prennent toujours la fuite devant nous. Mais aller attaquer de ces bêtes vilaines Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines, Et qui courent les gens qui les yeulent courir, C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir.

Dis-nous donc ce que c'est.

EURYALE.

MORON.

passe

Le pénible exercice
Où de notre princesse a volé le caprice!
J'en aurois bien juré qu'elle auroit fait le tour;
Et, la course des chars se faisant en ce jour,
Il falloit affecter ce contre-temps de chasse
Pour mépriser ces jeux avec meilleure grâce,
Et faire voir.... Mais chut. Achevons mon récit,
Et reprenons le fil de ce que j'avois dit.
Qu'ai-je dit?

EURYALE.

Tu parlois d'exercice pénible.

MORON.

Ah! oui. Succombant donc à ce travail horrible
(Car en chasseur fameux j'étois enharnaché,
Et dès le point du jour je m'étois découché),
Je me suis écarté de tous en galant homme,

Et, trouvant un lieu propre à dormir d'un bon somme,
J'essayois ma posture, et, m'ajustant bientôt,
Prenois déjà mon ton pour ronfler comme il faut,
Lorsqu'un murmure affreux m'a fait lever la vue,
Et j'ai, d'un vieux buisson de la forêt touffue,
Vu sortir un sanglier d'une énorme grandeur
Pour....

Qu'est-ce?

EURYALE.

MORON.

Ce n'est rien. N'ayez point de frayeur, Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause,

Je

J'ai donc vu ce sanglier, qui, par nos gens chassé,
Avoit d'un air affreux tout son poil hérissé;

Ses deux yeux flamboyans ne lançoient que menace,
Et sa gueule faisoit une laide grimace,

Qui, parmi de l'écume, à qui l'osoit presser,
Montroit de certains crocs.... je vous laisse à penser.
A ce terrible aspect j'ai ramassé mes armes;
Mais le faux animal, sans en prendre d'alarmes,
Est venu droit à moi, qui ne lui disois mot.

ARBATE.

Et tu l'as de pied ferme attendu ?

MORON.

Quelque sot.

J'ai jeté tout par terre et couru comme quatre.

ARBATE.

Fuir devant un sanglier, ayant de quoi l'abattre !
Ce trait, Moron, n'est pas généreux....

MORON.

J'y consens;

Il n'est pas généreux, mais il est de bon sens.

ARBATE.

Mais, par quelques exploits si l'on ne s'éternise....

MORON.

Je suis votre vaiet. J'aime mieux que l'on dise:
C'est ici qu'en fuyant, sans se faire prier,
Moron sauva ses jours des fureurs d'un sanglier,
Que si l'on y disoit : Voilà l'illustre place
Où le brave Moron, signalant son audace,
Affrontant d'un sanglier l'impétueux effort,
Par un coup de ses dents vit terminer son sort.

Fort bien.

EURYALE.

MORON.

Oui. J'aime mieux, n'en déplaise à la gloire, Vivre au monde deux jours, que mille ans dans l'histoire,

EURYALE.

En effet, ton trépas fâcheroit tes amis;

Mais, si de ta frayeur ton esprit est remis,
Puis-je te demander si du feu qui me brûle ?...

MORON.

Il ne faut pas, seigneur, que je vous dissimule;
Je n'ai rien fait encore, et n'ai point rencontré
De temps pour lui parler qui fût selon mon gré.
L'office de bouffon a des prérogatives;

Mais souvent en rabat nos libres tentatives.
Le discours de vos feux est un peu délicat,
Et c'est chez la princesse une affaire d'Etat.
Vous savez de quel titre elle se glorifie,
Et qu'elle a dans la tête une philosophie
Qui déclare la guerre au conjugal lien,
Et vous traite l'amour de déité de rien.
Pour n'effaroucher point son humeur de tigresse,
Il me faut manier la chose avec adresse;

Car on doit regarder comme l'on parle aux grands,
Et vous êtes parfois d'assez fâcheuses gens.
Laissez-moi doucement conduire cette trame.
Je me sens là pour vous un zèle tout de flamme;
Vous êtes né mon prince, et quelques autres nœuds
Pourroient contribuer au bien que je vous veux.
Ma mère, dans son temps, passoit pour assez belle,
Et naturellement n'étoit pas fort cruelle;
Feu votre père alors, ce prince généreux,
Sur la galanterie étoit fort dangereux;

Et je sais qu'Elpénor, qu'on appeloit mon père

A cause qu'il étoit le mari de ma mère,

Contoit pour grand honneur aux pasteurs d'aujourd'hui
Que le prince autrefois étoit venu chez lui,

Et que, durant ce temps, il avoit l'avantage
De se voir salué de tous ceux du village.

Baste. Quoi qu'il en soit, je veux par mes travaux....
Mais voici la princesse et deux de vos rivaux.

SCENE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, ARISTOMENE, THEOCLE, EURYALE, PHILIS, ARBATE, MORON.

ARISTOMÈNE.

Reprochez-vous, madame, à nos justes alarmes
Ce péril dont tous deux avons sauvé vos charmes ?
J'aurois pensé, pour moi, qu'abattre sous nos coups
Ce sanglier qui portoit sa fureur jusqu'à vous,
Etoit une aventure, ignorant votre chasse,

Dont à nos bons destins nous dussions rendre grâce;
Mais, à cette froideur, je connois clairement
Que je dois concevoir un autre sentiment,

Et quereller du sort la fatale puissance

Qui me fait avoir part à ce qui vous offense.

THÉOCLE.

Pour moi, je tiens, madame, à sensible bonheur,

[ocr errors]

L'action où pour vous a volé tout mon cœur,
Et ne puis consentir, malgré votre murmure,
A quereller le sort d'une telle aventure.

D'un objet odieux je sais que tout déplaît;

Mais, dût votre courroux être plus grand qu'il n'est,
C'est extrême plaisir, quand l'amour est extrême,
De pouvoir d'un péril affranchir ce qu'on aime.

LA PRINCESSE.

Et pensez-vous, seigneur, puisqu'il me faut parler,
Qu'il eût eu, ce péril, de quoi tant m'ébranler?
Que l'arc et que le dard, pour moi si pleins de charmcs,

Ne soient entre mes mains que d'inutiles armes?

Et que je fasse enfin mes plus fréquens emplois
De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois,
Pour n'oser, en chassant, concevoir l'espérance
De suffire, moi seule, à ma propre défense?
Certes, avec le temps, j'aurois bien profité
De ces soins assidus dont je fais vanité,

Sil falloit que mon bras, dans une telle quête,
Ne pût pas triompher d'une chétive bête !

Du moins, si, pour prétendre à de sensibles coups,
Le commun de mon sexe est trop mal avec vous,
D'un étage plus haut accordez-moi la gloire,
Et me faites tous deux cette grâce de croire,
Seigneurs, que, quel que fût le sanglier d'aujourd'hui,
J'en ai mis bas sans vous de plus méchans que lui.
THÉOCLE.

Mais, madame....

LA PRINCESSE.

Hé bien! soit. Je vois que votre envie
Est de persuader que je vous dois la vie;

J'y consens. Oui, sans vous, c'étoit fait de mes jours.
Je rends de tout mon cœur grâce à ce grand secours;
Et je vais de ce pas au prince, pour lui dire

Les bontés que pour moi votre amour vous inspire.

SCENE IV.- EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON.

Eh! a-t-on jamais vu de plus farouche esprit ?
De ce vilain sanglier l'heureux trépas l'aigrit.
Oh! comme volontiers j'aurois d'un beau salaire
Récompensé tantôt qui m'en eût su défaire.
ARBATE, à Euryale.
Je vous vois tout pensif, seigneur, de ses dédains

LA PRINCESSE D'ÉLIDE.

Mais ils n'ont rien qui doive empêcher vos desseins.
Son heure doit venir, et c'est à vous, possible,
Qu'est réservé l'honneur de la rendre sensible.

[graphic]

MORON.

Il faut qu'avant la course elle apprenne vos feux.
Et je....

EURYALÉ.

Non. ce n'est plus, Moron, ce que je veux
Garde-toi de rien dire, et me laisse un peu faire;
J'ai résolu de prendre un chemin tout contraire.
Je vois trop que son cœur s'obstine à dédaigner
Tous ces profonds respects qui pensent la gagner;
Et le dieu qui m'engage à soupirer pour elle,
M'inspire pour la vaincre une adresse nouvelle.
Oui, c'est lui d'où me vient ce soudain mouvement,
Et j'en attends de lui l'heureux événement.

ARBATE.

Peut-on savoir, seigneur, par où votre espérance?.......
EURYALE.

Tu le vas voir. Allons, et garde le silence:

PREMIER INTERMÈDE.

SCENE I.

-MORON

Jusqu'au revoir; pour moi, je reste ici, et j'ai une petite conve sation à faire avec ces arbres et ces rochers.

Bois, prés, fontaines, fleurs, qui voyez mon teint blême,
Si vous ne le savez, je vous apprends que j'aime.

Philis est l'objet charmant

Qui tient mon coeur à l'attache;

Et je devins son amant

La voyant traire une vache.

Ses doigts tout pleins de lait et plus blancs mille fois,
Pressoient les bouts du pis, d'une grâce admirable.
Ouf! Cette idée est capable

De me réduire aux abois

Ah Philis! Philis! Philis!

« PreviousContinue »