Page images
PDF
EPUB

Gendres, assis à cette place, se fût partagé avec vous l'éloge de Picard.

Seul, Monsieur, vous l'avez loué avec l'expérience du théâtre et la supériorité d'un goût exercé. D'ailleurs les succès de Picard et son heureux génie ne sont contestés par personne. Il n'y a point de théories diverses et de systèmes exclusifs sur la comédie, sans doute parce que l'on est indulgent pour ceux qui nous amusent. Peutêtre aussi, la comédie étant par elle-même quelque chose de plus vrai que l'idéal tragique, il a été plus facile de s'accorder sur la forme, ou plutôt de les admettre toutes. Ce n'a plus été une question de principes, mais de succès, et le poëte comique applaudi des spectateurs a toujours été suffisamment classique pour eux. Là surtout, le théâtre change comme les mœurs qu'il exprime; et le tableau est variable pour être fidèle.

Les altérations que le temps fait subir à l'idéal tragique, les rapports délicats entre la vérité simple et la poésie sont plus difficiles à marquer et à saisir. Heureux les talents qui plaisent à plusieurs époques! L'homme de goût et la foule admireront toujours le génie qui éclate dans le drame majestueux et passionné de nos grands poëtes. Si quelque chose de plus libre, répandu dans les esprits, demande aujourd'hui des beautés nouvelles, la gloire de ces illustres devanciers n'en souffre pas. Innover habilement, ce serait encore suivre leur exemple. Tout grand artiste est novateur; le seul point, c'est d'innover par la création, et non par les systèmes.

Vous avez, Monsieur, dans vos ouvrages, tenté plus d'une fois, avec succès, et le dernier degré de la terreur tragique, et l'extrême simplicité, trop rare sur notre théâtre. La mâle énergie de votre Marius charma jadis le public et la cour de la monarchie vieillissante. Les imaginations, ébranlées par Ducis, virent avec effroi le som

bre dénoûment de vos Vénitiens; et votre tragédie de Guillaume de Nassau, écrite dans la solitude et l'exil, sans ornements, sans pompe théâtrale, est empreinte de naturel, par le caractère même des vertus qu'elle retrace. Dans Germanicus, vous avez tenté avec hardiesse un de ces grands sujets de l'histoire romaine, que l'éloquence de Tacite avait d'avance élevés jusqu'à la poésie, et où ce grand modèle soutient et désespère l'imitateur.

Après avoir parcouru la difficile carrière frayée par les maîtres immortels de notre scène tragique, vous avez essayé, Monsieur, celle de toutes les formes poétiques, où des souvenirs inimitables doivent le plus intimider le talent: vous avez fait des fables. Dans le pays de la Fontaine, avait-on le droit de faire encore des fables? Votre exemple en est la preuve. Vous avez trouvé à cueillir dans ce champ moissonné. Là, où nulle comparaison n'est possible, une part d'originalité vous est acquise. Vos fables ont un caractère à vous. Elles sont, j'en conviens, quelque peu satiriques. En les lisant, on ne s'écriera pas à chaque page: Le bonhomme! mais on dira. toujours l'honnête homme, dont l'âme est généreuse et droite, lors même que son esprit se blesse et s'irrite! La fable eut, de tout temps, ses hardiesses, et chercha l'allégorie pour voiler l'épigramme. Les vôtres, écrites à des époques bien diverses, dans le bonheur et dans l'adversité, ont, avec un trait commun de malice, des nuances variées par l'imagination et le sentiment. L'invention en est souvent heureuse, le style rapide. Elles vous donnent une place là où il semble que personne ne pouvait plus en obtenir.

Le même tour d'esprit, la même raison piquante se retrouve dans vos mélanges de littérature. Ce sont d'ingénieux essais qui ont occupé pour vous l'intervalle de plus sérieux travaux. Car vous avez entrepris la tâche

difficile d'écrire l'histoire, et même l'histoire contemporaine. Ici, Monsieur, les souvenirs de votre vie se mêlent à ceux de votre talent; et je n'essaierai ni de les taire, ni de les éluder. Quels contrastes, que d'événements prodigieux entre l'époque où, jeune et poëte, vous suiviez à Malte le vainqueur d'Italie partant pour la conquête d'Égypte, et celle où l'ancien dominateur de l'Europe, mourant captif à Saint-Hélène, vous léguait un don testamentaire trop fort pour sa succession appauvrie, et inscrivait votre nom sur une page funèbre qui doit le conserver à jamais.

Avant le dernier moment de ce grand drame historique, dont les scènes furent dispersées sur tant de points du monde, votre imagination fortement émue avait essayé de les réunir dans un récit complet et détaillé. Depuis votre retour en France, vous aviez commencé et presque achevé l'histoire de celui qui survivait encore à sa grandeur et à sa chute. Peut-être, dans cet ouvrage, riche de souvenirs et de tableaux, avez-vous été quelquefois l'historiographe du conquérant vaincu; peut-être avez-vous flatté sa défaite, comme d'autres ont flatté ses triomphes. Mais le souvenir de tant de gloire, même embelli par le talent, ne peut désormais donner ni crainte ni regret à personne. Chaque jour la vérité se dégage des partialités contemporaines, et se réfléchit avec plus d'éclat dans le lointain lumineux de l'histoire. Un nouveau monde social a commencé. La guerre, détournée de l'Occident, pèse sur les extrémités barbares de l'Europe orientale. La France ne gouverne plus les nations par ses décrets et par ses armes; mais elle leur offre encore un grand spectacle dans le laborieux progrès de ses libertés combattues. Jouissons cependant du bonheur de vivre et de penser sous de sages institutions, plus fortes que les passions qui voudraient les détruire ou les altérer.

RÉPONSE

AU DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. SCRIBE,

SUCCÉDANT A M. ARNAULT,

MONSIEUR,

Votre discours a réussi comme une de vos comédies; et vous venez de retrouver ici les applaudissements qui suivent votre nom sur tous les théâtres de la France et de l'Europe. L'Académie l'avait prévu : elle était sûre, en vous nommant, d'être juste et populaire. Dans tout genre de littérature, toute célébrité durable est un grand titre académique; et il n'est donné à personne d'amuser impunément le public pendant vingt ans de suite.

Vainement, Monsieur, par une tradition de modestie, vous opposeriez à ce long succès la forme un peu frivole de vos ouvrages. En général, ce qui compte le plus dans les productions du goût, ce n'est pas le sujet ou le cadre, mais le talent. Il y a telle chanson qui vaut mieux qu'un poëme épique.

L'académicien célèbre que vous remplacez aujourd'hui, et que vous avez si bien caractérisé, après avoir entrepris avec ardeur, et souvent avec force, la grande

œuvre de la tragédie, a marqué surtout sa verve originale par des épigrammes qu'il appelait des fables. Ce n'est pas lui, homme d'esprit autant que de talent, qui méconnaîtrait tout ce qu'il y a de création littéraire dans le genre de comédie dont vous renouvelez sans cesse les intentions ou la forme. Il ne vous reprocherait pas même vos divers et ingénieux collaborateurs à beaucoup de jolis ouvrages que vous n'avez pas faits seul, mais qui n'auraient pas été faits sans vous. M. Arnault savait que le goût qui perfectionne et qui choisit est un côté de l'invention, et qu'une idée appartient pour moitié à celui qui la fait valoir tout son prix. Il accepterait donc volontiers pour lui-même le collaborateur impérial que vous venez de lui donner, et dont vous avez peint en deux mots la courte et terrible poétique.

Le cinquième acte des Vénitiens est le seul ouvrage qu'ils aient fait en commun. Si cette société ne fut pas plus active, la faute n'en est pas au général Bonaparte, qui, dans le premier feu de la jeunesse et de la gloire, entre l'Italie vaincue, la France à maîtriser, l'Égypte à conquérir, occupé de tout, rêvant tout à la fois, débordait d'inventions et d'idées, en attendant l'empire. M. Arnault s'était attaché à sa fortune depuis l'Italie, et depuis la tragédie d'Oscar, qu'il avait envoyée à l'héroïque admirateur d'Ossian.

Bientôt il fut de la grande expédition; il fut de ceux qui partaient avec César pour Alexandrie. Durant les premières lenteurs de la traversée, sur ce vaisseau amiral l'Orient qui portait tant de renommées scientifiques et militaires, il était là dans de continuels entretiens avec le général. On parlait guerre, beaux-arts, liberté, conquête du monde, littérature, tragédie. Bonaparte revenait souvent à ce dernier sujet, sur lequel il avait toute une théorie. La politique, les intérêts d'État lui semblaient

« PreviousContinue »