Page images
PDF
EPUB

dération comme par les armes, le plus fidèle sujet et le plus noble confident du roi de France, est une puissante protection pour le malheur et pour le talent. L'intérêt public, exprimé de toutes parts, est une éloquente plaidoirie pour l'innocence. Ce n'est pas une opinion qui réclame M. Cousin, c'est l'honneur du trône, c'est la conscience publique.

Le roi de Prusse entendra ce langage; il ne s'étonnera pas de le retrouver dans la bouche des hommes les plus amis de l'ordre. Sa Majesté se souviendra peut-être d'un jeune homme qu'en 1814, dans une solennité littéraire, elle accueillit avec la plus bienveillante faveur, et qu'elle daigna présenter elle-même aux princes ses fils. Elle se souviendra peut-être d'une voix qui, faisant allusion aux récentes adversités qu'avait éprouvées la maison de Brandebourg, fit entendre ces paroles, ratifiées par d'unanimes suffrages : « Le vaillant héritier de Frédéric a montré que les chances « de la guerre ne font pas tomber du trône un véritable roi; qu'il « se relève toujours noblement soutenu sur les bras de son peuple, « et demeure invincible parce qu'il est aimé. » C'est la même voix qui s'élève aujourd'hui pour M. Cousin.

488

DISCOURS

PRONONCÉ

A LA RÉCEPTION DE M. FOURIER.

Jamais on n'a mieux compris que de nos jours combien tous les talents doivent s'entr'aider et s'unir, pour le progrès des connaissances et l'honneur de l'esprit humain. Le discours même que nous venons d'entendre atteste, par un heureux exemple, ce secours mutuel que se donnent tous les travaux de la pensée et cette alliance intime qui les rapproche. Le savant profond s'est montré, sans nous surprendre, habile orateur, et l'éloge d'un brillant imitateur de Swift vient d'être tracé, d'une main sûre et légère, par un des héritiers de Newton.

Ne vous étonnez done pas, Monsieur, que nos suffrages soient allés vous demander à cette illustre compagnie qui vous a choisi pour l'un de ses organes : nous lui rendions, en partie, un hommage qui pouvait, tout entier, s'adresser à vous; nous honorons en elle cette élite de talents, à la fois utiles et glorieux, qui, dans la confusion même des troubles civils, ont toujours sauvé la science, l'ont fait servir à la défense et à la grandeur du pays, éclairent le commerce, perfectionnent les arts, et sont

encore la première société savante du monde, après avoir perdu et Lagrange et Laplace.

Plus contesté par l'injustice, le bienfait des lettres se montre surtout dans ces écrivains d'un esprit libre et sage qui se servent du talent pour éclaircir et pour rendre populaires les vérités sociales.

Voilà, Monsieur, le caractère que vous avez remarqué dans les ouvrages de M. Lemontey. Ce peintre original, et quelquefois satirique, écrivait surtout pour être utile aux hommes. C'est la pensée qui se cache à demi sous les formes spirituelles ou capricieuses dont il amuse ses lecteurs.

Nourri d'études variées, avocat et publiciste, un des travaux de sa jeunesse avait été consacré à la défense des protestants opprimés encore par les lois. Il resta fidèle à ce noble engagement; il soutint toujours les idées de réforme sociale et d'humanité, l'abolition de l'esclavage, la tolérance religieuse, la liberté civile, l'enseignement populaire; tous ces principes, enfin, que le génie, d'abord, hasarde dans les livres, et que le temps introduit lentement dans les lois.

Plus fait pour la méditation et l'étude que pour les orages de la vie publique, M. Lemontey, cependant, ne se montra pas sans distinction dans cette assemblée législative qui, pressée entre toutes les théories et toutes les violences, disparaît elle-même et s'efface devant la grandeur de ce qui la précède et la terreur de ce qui la suit.

Vous avez rappelé, Monsieur, dans quelle déplorable épreuve il donna des marques d'une pitié devenue courageuse. Sa modération ne le fut pas moins. Éclairé par un esprit droit, il lutta pour les principes invariables de la justice, contre les excès de la force et les décrets de l'anarchie; et quand la raison fut trop faible, il se retira, sans la trahir.

Lorsque des temps plus calmes invitèrent les esprits à la culture des lettres, M. Lemontey tourna ses regards vers l'histoire, pour y étudier les causes du spectacle qu'il avait vu. Éloigné des affaires, il occupait seulement une de ces places de censeur des théâtres que l'on peut remplir avec prudence, et que l'on perd quelquefois avec noblesse. Mais son active sagacité et ses curieuses recherches découvraient dans l'histoire ce que la pratique même des affaires n'enseigne pas toujours.

Tel est surtout le mérite des piquants mémoires qu'il avait préparés sur le xvIII siècle. Après d'éloquents écrits, son ouvrage semblerait encore instructif et nouveau.

En partageant votre vou, pour que les lettres et la France ne soient pas privées d'un si précieux travail, on doit regretter que M. Lemontey ne l'ait pas fait paraître lui-même. La vérité mérite bien que l'on s'engage un peu pour elle et qu'on la dise de son vivant. Il ne faut pas imiter ces Romains dont parle Tacite, qui n'avouaient leur pensée que par testament.

On ne connaît encore de l'important ouvrage de M. Lemontey que la préface, c'est-à-dire l'essai sur la monarchie de Louis XIV. Dans le siècle dernier, le vénérable abbé de Saint-Pierre avait été banni de l'Académie pour quelques jugements un peu libres sur le gouvernement du grand roi. De nos jours, tout le monde compta parmi les titres académiques de M. Lemontey un ouvrage où ce règne immortel est décrit avec une sévérité quelquefois trop amère. Tels sont les priviléges que l'histoire acquiert en vieillissant. Cette analyse sévère de la gloire, cette critique en détail d'une domination si brillante plaisent à l'esprit par un contraste qui n'est pas quelquefois sans affectation et sans injustice.

Du reste, comme vous le remarquez, Monsieur, l'ingénieux historien ne détruit pas l'admiration pour un

grand monarque, mais il l'éclaire; et quelquefois il la déplace. Il inspire l'amour des lois et des institutions, en montrant dans les fautes d'un prince généreux le malheur d'un gouvernement sans limites, et, pour ainsi dire, la fatalité du pouvoir absolu.

On peut se plaindre seulement que l'auteur n'ait pas marqué davantage cette grande influence des lettres tant favorisée par Louis XIV, et qui doit plus que jamais consacrer sa mémoire. Il n'a pas dit assez, il n'a pas décrit avec les détails qui lui sont familiers les efforts continuels de Louis XIV et de Colbert pour hâter le succès de l'intelligence, pour appeler les talents étrangers, pour animer les talents français, pour préparer des secours à toutes les études, des inspirations à tous les génies.

Sous Louis XIV, l'émulation et quelquefois la liberté descend du trône. L'estime du monarque excite et récompense toutes les nobles ambitions; il aime la gloire de ses sujets; il protége les hardiesses de Molière, comme il honore la fidèle indépendance de Pélisson; il semble convaincu qu'en élevant l'esprit de la nation il ennoblit encore la royauté même.

L'éclat oratoire et poétique du XVIIe siècle frappe surtout nos regards; mais nous ne devons pas oublier que le zèle de Louis XIV s'étendit également sur toutes les connaissances; que, par de précieux dépôts et d'immortels monuments, il encouragea les sciences positives, que le temps perfectionne, et qui grandissent avec les nations. Dans le progrès même de l'esprit moderne, il faut donc reconnaître le premier mouvement qui fut donné par cette main puissante. Vous l'avez fait tout à l'heure, Monsieur, avec l'autorité du savoir et du talent; vous l'avez fait, vous, dont le nom est inscrit dans les fastes d'une autre grande époque, et dont la jeunesse prit part

« PreviousContinue »