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noble et ravissant plaisir qu'elles donnent à la pensée, on doit avouer qu'elles ont rendu plus intéressant et plus populaire le livre qui renferme tant de sérieuses vérités. Il faut reconnaître partout le pouvoir de l'éloquence. Vainement l'interprète des lois a-t-il montré que les hommes ne doivent pas se charger des offenses de Dieu, de peur que, devenant cruels par pitié, ils ne soient tentés d'ordonner des supplices infinis, comme celui qu'ils prétendent venger. Quelle que soit la sublimité du raisonnement, l'âme n'est pas entraînée, et la superstition peut lutter encore; mais lorsque auprès du bûcher de la jeune Israélite, une voix s'élève, et, s'adressant aux persécuteurs, leur dit avec une naïveté pleine de force : « Vous « voulez que nous soyons chrétiens, et vous ne voulez « pas l'être; si vous ne voulez pas être chrétiens, soyez << au moins des hommes. » Lorsque cette voix éloquente unit le raisonnement au pathétique, et le sublime à la simplicité, on reste frappé de conviction et de douleur, et l'on sent que jamais plus beau plaidoyer ne fut prononcé en faveur de l'humanité. Montesquieu a compris qu'il avait besoin de reposer les yeux qui suivaient la hauteur et l'immensité de son vol dans les régions d'une politique abstraite. Les points d'appui qu'il présente à son lecteur, c'est Alexandre ou Charlemagne. A ces grands noms, à ces grands sujets, il redevient un moment sublime pour ranimer l'attention épuisée par tant de recherches savantes et de pensées profondes; puis il reprend le style impartial et sévère des lois. Aucun ouvrage ne présente une plus admirable variété; aucun ouvrage n'est plus rempli, plus animé de cette éloquence intérieure, qui ne se révèle point par l'apprêt des mouvements et des figures, mais qui donne aux pensées la vie et l'immortalité. Le seul reproche qu'on puisse faire à l'auteur, c'est d'avoir quelquefois cherché des diversions trop ingénieuses,

comme s'il eût douté de l'intérêt attaché à la seule grandeur de ses pensées.

Faut-il parler de Montesquieu lui-même, lorsque le temps et l'admiration ne peuvent suffire à l'examen de ses écrits? Que dire des grâces de son esprit à ceux qui ont lu ses ouvrages? La simplicité piquante, la malice ingénieuse de sa conversation ne se retrouve-t-elle pas dans la défense qu'il fut obligé d'opposer aux détracteurs de son plus bel ouvrage? Et toutes ses vertus ne sontelles pas renfermées dans une anecdote touchante, aussi connue que sa gloire? Ce qui reste de lui, après les œuvres de son génie, c'est leur immortelle influence: la reconnaître et la proclamer, ce serait moins achever l'éloge de Montesquieu qu'entreprendre le tableau de l'Europe.

Oui, sans doute, ce beau système qui, suivant Montesquieu, fut trouvé dans les bois de la Germanie, appartient à tous les peuples qui sortirent il y a quinze siècles de ces forêts, aujourd'hui changées en royaumes florissants. Il est un des plus fermes remparts contre la barbarie; il est la sauvegarde de l'Europe. De grands périls semblaient la menacer; on a pu quelquefois être tenté de croire qu'elle touchait à cette époque fatale qui termine les destinées des peuples, et ramène sur la terre de longs intervalles de barbarie, d'où renaît lentement une civilisation nouvelle; mais cette première terreur se dissipe. L'Europe ne ressemble pas à l'empire romain. Les lumières plus grandes sont aussi plus communes : l'Europe les distribuées dans l'univers. Partout sont des colonies qui nous renverraient la civilisation que nous leur avons transmise. L'Amérique est peuplée de nos arts. Nos arts eux-mêmes sont défendus par une invention qui ne leur permet pas de périr une seule découverte a garanti toutes les autres. La corruption peut s'ac

croître le renouvellement du monde paraît impossible. De quel point de la terre partirait la fausse lumière d'une religion nouvelle ? Quelle puissance prétendrait nous apporter d'autres idées? Nous pouvons nous égarer; mais qui pourrait nous instruire? Ainsi l'Europe entière suivra la route qu'elle a prise ; il surviendra des guerres; il passera des révolutions; tous les malheurs sont possibles, excepté la barbarie. Cependant on cherchera toujours la liberté par les lois. C'est une conquête que les arts et les lumières de l'Europe rendent inévitable, et qui paraît d'autant plus assurée, que chacun de nos malheurs nous en approche davantage. La France y sera conduite par la sagesse de son roi; et l'ouvrage d'un Français, le livre impérissable de Montesquieu, sera compté parmi les monuments qui doivent la promettre et l'affermir.

NOTICE

SUR FENELON.

Fénelon, François de Salignac de Lamotte, d'une famille ancienne et illustre, naquit au château de Fénelon en Périgord, le 6 août 1651. Sous les yeux d'un père vertueux, il fit avec autant de succès que de rapidité ses études littéraires; et dès l'enfance, nourri de l'antiquité classique, élevé dans la solitude parmi les modèles de la Grèce, son goût noble et délicat parut en même temps que son heureux génie. Appelé à Paris par son oncle, le marquis de Fénelon, pour achever ses études philosophiques et commencer le cours de théologie nécessaire à sa vocation naissante, il soutint, à quinze ans, la même épreuve que Bossuet, et prêcha devant un auditoire moins célèbre à la vérité que celui de l'hôtel de Rambouillet. Cet éclat d'une réputation prématurée alarma le marquis de Fénelon, qui, pour soustraire le brillant jeune homme aux séductions du monde et de l'amourpropre, le fit entrer au séminaire de Saint-Sulpice. Dans cette retraite, Fénelon se pénétra de l'esprit évangélique, et mérita l'amitié d'un homme vertueux, M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice. Il y reçut les ordres sacrés.

Ce fut alors que sa ferveur religieuse lui inspira le dessein de se consacrer aux missions du Canada. Tra

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versé dans ce projet par les craintes de sa famille et la faiblesse de son tempérament, il tourna bientôt ses regards vers les missions du Levant, vers la Grèce, où le profane et le sacré, où saint Paul et Socrate, où l'église de Corinthe, le Parthénon et le Parnasse appelaient son imagination poétique et religieuse. Enchanté par les souvenirs d'Athènes, il s'indignait à la pensée que cette patrie des lettres et de la gloire fût la proie des barbares: Quand verrai-je, s'écriait-il, le sang des Perses se «< mêler à celui des Turcs dans les champs de Marathon, pour laisser la Grèce entière à la religion, à la philosophie et aux beaux-arts qui la réclament comme « leur patrie ! » Ces divers enthousiasmes du jeune apôtre cédèrent cependant à de plus graves considérations. Et Fénelon, détourné de ces missions lointaines, se consacra tout entier à un apostolat qu'il ne croyait pas moins utile, l'instruction des Nouvelles Catholiques. Les devoirs et les soins de cet emploi, dans lequel il ensevelit son génie pendant dix années, le préparèrent à la composition de son premier ouvrage, le Traité de l'éducation des Filles, chef-d'œuvre de délicatesse et de raison, que n'a point surpassé l'auteur d'Émile et le peintre de Sophie. Cet ouvrage était destiné à la duchesse de Beauvilliers, mère pieuse et sage d'une famille nombreuse. Fénelon, dans la modeste obscurité de son ministère, entretenait déjà avec les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse cette amitié vertueuse, qui résista également à la faveur et à la disgrâce, à la cour et à l'exil.

Il avait trouvé dans Bossuet un attachement qui devait être moins durable. Admis à la familiarité de ce grand homme, il étudiait son génie et sa vie. L'exemple de Bossuet, dont la religion toute polémique s'exerçait par des controverses et des conversions, inspira sans doute à Fénelon le Traité du ministère des Pasteurs, ouvrage

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