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CHAPITRE IIII.

Idillies et Pastorales.

« Lecteur, ce n'est pas pour enseigner Minerve que je mets cet avertissement: mais me semblant que la chaude affection qu'on portoit aux vers en mon premier âge, lorsque ceux-ci furent faits, est toute refroidie en ce siècle.... seulement je ramentoy, pour en rafraichir la mémoire, qu'après la Trajedie, la Comedie et la Satyre, furent trouvez les vers que les uns appellent Bucoliques, les autres Eglogues, et les autres Idillies; lesquelles ne se lisent pas pour apprendre les façons et les mœurs des Pasteurs villageois, mais pour le plaisir et la recreation d'y voir naifvement representée la Nature en chemise, et la simplicité de l'amour de telles gents.... celui d'Idillie m'a semblé se rapporter mieux à mes desseins, d'autant qu'il ne signifie et ne represente que diverses petites images et graveures en la semblance de celles. qu'on grave aux lapis, aux gemmes et calcedoines.... Les miennes en la sorte, pleines d'amour enfantine, ne sont qu'imagetes et petites tablettes de fantaisies d'Amour.... C'est pour quoy je n'ai voulu user du titre seul de Pastoralles ou Bergeries à cause aussi

que ces mots François ne satisfont et ne contentent point assez mon opinion, non plus que les noms de Guillot, Perrot et Marion, au lieu de Tyrsis, Tytire et Licoris.... >>

C'est ainsi que Vauquelin annonce ses deux livres d'Idillies et Pastoralles (1). La théorie contenue dans cet avis << au lecteur » peut ne pas sembler neuve: elle est restée celle de presque tous les successeurs de Vauquelin au XVIIe et au XVIIIe siècles, et même Chénier, s'il fait des chefs d'oeuvre, les peint sur la même toile avec les mêmes pinceaux; mais pour comprendre le mérite singulier das Idillies, pour y goûter plus vivement, par réaction, une poésie de la nature franche et sincère, une poésie du cœur très intime et très savoureuse, il suffit de comparer ces pastorales à celles de Ronsard, dont M. Gandar ne craint pas de dire « De toutes les œuvres de Ronsard, il en est peu qui soient plus dépourvues d'invention et de simplicité véritable.... Lorsque le sujet qu'il traite n'est pas emprunté à Théocrite, c'est un événement officiel : il déplore la mort de Marguerite de Valois, celle de Henri II, le Grand Pan.... On voit dans quelles mains il est amené à mettre la houlette, la pannetière, et la cage de jonc où gémissent les cigales emprisonnées... (2). » Les Idillies, Vauquelin le dit le pre

(1) Titre du premier livre : « Idillies et Pastoralles de l'amour de Philanon et Philis. Par le sieur de la Fresnaie Vauquelin » ; il compte 84 pièces. Titre du deuxième livre : « Idillies de l'Amour de divers Pasteurs. Par le sieur de la Fresnaie Vauquelin » ; il compte 89 pièces.

(2) GANDAR, Ronsard considéré comme imitateur d'Homère, p. 139-141.

mier, ne sont en somme que des poésies amoureuses. Les bergers et les bergères dont il chante les joies et les peines sont des seigneurs ou des poètes et de nobles demoiselles. La franchise et la grossièreté rustiques n'apparaissent dans cette société élégante que par hasard. Ce n'est que sentiments délicats et raffinés, querelles et traités de paix, plaintes et cris d'allégresse; et le mariage vient tout couronner et consacrer. Plus tard, dans les Satires, Vauquelin sentira plus pleinement la campagne et nous fera partager ses impressions: il la regardera, non pas, comme Théocrite, en artiste heureux et calme, que rien ne trouble dans la contemplation, dans l'étude de la nature, qui la voit telle qu'elle est, et se met au point sans grand effort; non pas, comme Virgile, avec une sensibilité presque douloureuse qui se répand sur les choses, mais plutôt à la façon d'Horace, ou encore en citoyen fatigué des luttes politiques et affamé de repos, en gentilhomme fermier, en riche propriétaire. Quand il écrit ses idylles, les bois et les plaines ne sont à ses yeux que le cadre obligé de sa jeune passion, cadre factice et qu'il est inutile de décrire.

Ce sont des œuvres de la jeunesse et de l'âge mur de Vauquelin, bien que certaines pièces aient été composées très tard, comme le sonnet final du livre. premier; et encore, ce qui le précède presque immédiatement est du lendemain même du mariage. Il est difficile de dater le recueil. Mais on peut l'essayer. L'avant-dernière Idillie (II, 68) est formée de deux sonnets en l'honneur des frères Antoine et Robert Lechevalier, qui viennent de traduire en commun Vir

gile; ce Virgile a paru en 1582. La dernière pièce (II, 69) est une évidente allusion à l'Art Poétique que Vauquelin entreprend :

Ore un désir que la gloire environne

A prendre un faix plus pesant m'éperonne,
Faix que tant plus en haut je leveray,
D'un poids trop fort, Muses, je trouveray,
Si desormais vous ne m'estes aidantes

A supporter des charges si pesantes.

Vers 1582, dans la pensée de Vauquelin, les Idillies sont donc terminées. Mais, comme il les garde en portefeuille, il y ajoute de temps à autre.

Il serait banal de relever le contraste qu'il y a entre ces poésies de Vauquelin et les grands ou terribles événements auxquels il assiste: cela est de tous les temps et de tous les pays.

L'artiste, qui n'est que le reflet et l'écho d'une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l'imagination, en se reportant vers un idéal de calme, d'innocence et de rêverie. C'est son infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n'en doit point rougir, car c'est aussi son devoir. Dans les temps où le mal vient de ce que les hommes se méconnaissent et se détestent, la mission de l'artiste est de célébrer la douceur, la confiance, l'amitié, et de rappeler ainsi aux hommes endurcis ou découragés, que les mœurs pures, les sentiments tendres et l'équité primitive, sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs présents, l'appel aux passions qui fermentent,

ce n'est pourtant pas là le chemin du salut; mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour endormir les petits enfants sans frayeur et sans souffrance que le spectacle des maux réels renforcés et rembrunis encore par les couleurs de la fiction (1). >>>

Il y a entre ce recueil et les Foresteries une différence qui se marque d'abord dans la versification. Vauquelin ne s'ingénie plus à varier les mètres à l'infini. On ne peut guère blâmer que les deux strophes suivantes, qui n'ont ni souplesse ni harmonie :

Philis, ton jeune cœur

Me traite à la rigueur.

Tu me fuis

Et je te suis,

Je t'adore et mes vœux

Las! tu ne veux,

Malheureux que je suis I, 14.)

Peut estre quand mille et mille
Tenteroient vostre beauté,

Qu'encor vostre âme gentille

Aimeroit la fermeté :

Mais à l'heure

Qu'on s'asseure

Contre l'amour en son cœur,

Par surprise

On est prise

Sous cet ennemi vainqueur :

Car Amour de son pouvoir

Range tout à son vouloir. (II, 60.)

(1) G. SAND, la Petite Fadette, Notice, p. 3, éd. in-12, 1881.

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