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de Navarre, si patient, si brave, si avisé; certains, depuis longtemps, le nomment le successeur des Valois; n'avons-nous pas une pièce de Ronsard, de 1575, où il annonce avec joie que ce prince montera un jour sur le trône de France, puisque Dieu refuse une descendance aux Valois, et qu'il lui plaît que leur

nom

Cède aux Bourbons sortis de mesme race (1) ?

Plus d'un présage le sauveur du pays dans cet héritier légitime de la couronne, qui n'a, aux yeux des catholiques réfléchis, des gallicans, que le défaut d'être protestant; mais ils le savent, le jour venu, il comprendra que le roi de France, chef, de par le concordat, de l'église gallicane, ne peut être que catholique.

Plus tard, quand le Béarnais sera devenu Henri IV, et aura « reconquis la France » province par province, ville par ville, et presque hameau par hameau, Vauquelin sera un des premiers à saluer sa gloire. Ce sera la joie de ses vieux jours de voir Henri IV remplacer les derniers « haillons de la guerre civile » par un drapeau rajeuni et purifié, et se préparer à porter les armes chez ces Espagnols et chez ces Allemands contre qui il nourrit une bonne haine vivace de poète et de Français:

Et toy, Mars furieux, va-t-en en Allemagne (2).

(1) Ed. BLANCHEMAIN, VI, Poèmes retranchés; Caprice au Seigneur Simon Nicolas.

(2) Selon M. Hanotaux, il serait facile de démontrer que la guerre contre l'empire était un article du programme des légistes. · Il n'est peut-être pas aventureux d'interpréter ce vers de Vauquelin dans le sens de cette opinion.

Il mourra content après lui avoir dédié les Satires Françaises.

A la fin de sa préface, Vauquelin se moque « du parler d'aujourd'hui... tout confit en antitheses et contrarietez », et ajoute: « Je ne le di pas pour blamer du tout ces figures pointues, ni moins pour m'en formaliser autrement, j'en parle sans querelle. Mais pour les prier de m'excuser en ma franchise et ma façon d'escrire... et considérer qu'ayant fait voir de mes vers à la France, il y a près de cinquante ans, il seroit trop tard de me déguiser desormais........... » Il dit de même à Henri IV:

Je ne suis plus poli, je ne sçay plus les modes
De faire des Sonnets, des Stances, ni des Odes,
Ni des airs amoureux qu'on chante en vostre Court:
Mon stile n'est plus fait à la mode qui court. (P. 137.)

Ecoutons un autre Normand parler à un autre Roi :

Je faiblis, ou du moins, ils se le persuadent,
Pour bien écrire encor, j'ai trop longtemps écrit,
Et les rides du front passent jusqu'à l'esprit....
Et la seule tendresse est toujours à la mode.

Tout ce qu'on vient de lire de Vauquelin ne nous permet-il pas d'évoquer ici la mémoire de Corneille, et de placer le premier sous la protection du second!

CONCLUSION

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:

Nous connaissons les œuvres et la vie de Jean Vauquelin de la Fresnaye. Vauquelin est un honnête homme dans toute la force du terme. Vauquelin est un poète. Il n'a pas le souffle large, puissant, continu, du créateur; il n'invente pas; il n'est pas fréquemment original: idyllique, il s'astreint trop souvent à marcher sur les traces des anciens et de ceux des modernes qui sont reconnus pour être des modèles, mais à l'occasion, le gaulois, voire le normand paraît en lui il ne nous conduit pas seulement en Sicile, à Naples, en Arcadie, mais aux bords de l'Orne et du Clain, chez lui, chez nous, où il rencontre une veine sincère et originale;-didactique, il se réclame d'Aristote, d'Horace, de Vida, mais cela ne l'empêche pas d'être de son temps ses vrais inspirateurs sont ses contemporains, autant et plus que les anciens, quand il ne relève pas purement et simplement de lui-même : satirique, il s'efforce de s'enfermer dans le cadre d'Horace et de Perse; il semble chercher toujours à s'autoriser de l'exemple des anciens ce qu'il dit, Horace l'a dit avant lui, et c'est tant mieux; les préceptes d'Horace, bons sous Auguste, seront excellents

sous Henri IV; mais, là encore, il est français et original; on retrouve chez lui la peinture de son temps; le tableau est haut en couleur, d'une touche violente parfois; mais l'auteur n'est ni un misanthrope ni un pessimiste; il aime les hommes, tente de les rendre meilleurs et croit qu'il y peut réussir.

Dans les quelques milliers de vers laissés par Vauquelin, on ne trouve donc pas seulement les idées d'autrui. On y découvre aussi Vauquelin et ses propres idées, l'homme à côté de l'auteur. Le poète, pense-t-il, doit, sans se flatter, se peindre lui-même. Il ne manque pas à cette règle. Il fait son propre portrait, et se montre à nous tel qu'il est, simple, franc, tout rond et tout jovial, comme il aime à dire, non point bonhomme à la façon d'un Jean Le Houx, mais fin, prudent, avisé, avec une pointe de malice. Ami du calme et de la paix, tolérant, conciliant par nature et par raison, il ne cherche noise à âme qui vive. Il n'a d'ennemis que les gens brouillés avec le bon sens et la vertu, et les fauteurs de troubles civils. Il leur lance des traits perçants. Mais, il y en a d'autres qu'il vise trop bien pour ne pas les atteindre que la flèche les effleure, siffle à leurs oreilles seulement et les avertisse, il lui suffit. Il ne veut point leur mort, mais leur guérison, leur retour à la sagesse et au bien. « Il ne bat point, et personne il ne tue. » Il l'avoue en souriant, et on l'en peut croire sur parole. Il maintient avec sévérité les principes, mais il est indulgent et doux aux personnes. Il a vu la cour, et Dieu le garde d'y jamais retourner! Il n'a pas d'images assez fortes, assez crues pour figurer ce séjour de tous les vices et de toutes les hontes.

Pourtant, il ne désigne pas celui-ci ou celui-là au mépris et à l'indignation publics. Il ne se souvient jamais des noms propres. S'il est cruel pour quelqu'un, c'est bien sans le vouloir et sans préméditation. Son ami Baïf est à court d'argent et parfois en quête d'un dîner, s'il en faut croire les mauvaises langues; Baïf, sans doute, lui fait des confidences, le fatigue de ses doléances et lui demande un avis. Vauquelin, empressé et serviable, lui expédie, sous forme d'épitre, un petit code du vol tel qu'il est organisé à la cour: Panurge l'aurait joyeusement signé des deux mains. Cette ironie naïve est terrible. Des Portes le supplie de venir à Paris on le recevra au Louvre à bras ouverts. Vauquelin aime mieux sa Normandie; il explique à son ami pourquoi il lui répugne de vivre avec les grands. Des Portes, le mieux renté de tous les beaux esprits, aussi habile à prendre abbayes, pensions et bénéfices que son neveu Regnier les vers à la pipée, s'est mordu sûrement les lèvres plus d'une fois en comptant les raisons péremptoires opposées par Vauquelin à son invitation. Vauquelin, sans avoir l'air de le faire exprès, dit leurs vérités à ses amis. Peut-être a-t-il dessein de leur rendre service; il ne songe guère à les blesser. Il apporte dans la satire un parfait détachement des passions et des rivalités mondaines. Indifférence du sage, dira-t-on, dédain du philosophe. En aucune façon. Vauquelin essaye bien une fois de se calomnier. Il reprend pour son compte le Nil admirari d'Horace. Il s'en fait accroire et tente de nous en faire accroire, comme s'il était resté l'étudiant des Foresteries, ou l'amoureux des Idillies. Mais qu'un rebat de tambours

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