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premier rang, à cause des droits qu'elles avoient acquis depuis les anciens temps. Quel moyen, dit-il, de les dégrader! Je leur ai trop d'obligation; mais je crois que les hommes doivent encore plus aux Vers à soie.

FIN.

Y

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PORTRAIT DE FÉNÉLON,

Par le duc de ST.-SIMON.

FENELON

ÉNÉLON étoit d'une assez haute taille bien fait, maigre et pâle; il avoit le nez grand et bien tiré, le feu et l'esprit sortoient de ses yeux comme un torrent; sa physionomie étoit telle qu'on n'en voyoit point qui lui ressemblât : aussi ne pouvoit-on l'oublier dès qu'une fois on l'avoit vue; elle rassembloit tout, et les contraires ne s'y combattoient point; elle avoit de la gravité et de la douceur, du sérieux et de la gaîté; elle sentoit également le docteur, l'évêque et le grand seigneur; ce qui surnageoit, ainsi que dans sa personne, c'étoit la finesse, l'esprit, la décence, les grâces, et sur-tout la noblesse ; il falloit faire effort sur soimême pour cesser de le regarder. Tous ses portraits sont parlans, sans que néanmoins on ait jamais pu attraper la justesse et l'harmonie qui frappoient dans l'original, et la délicatesse de chaque caractère que ce visage réunissoit; ses manières y répondoient dans la même proportion; c'étoit une aisance qui en donnoit aux autres, un air de bon goût dont il étoit redevable à l'usage du grand

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monde et de la meilleure compagnie, et qui se répandoit comme de lui-même dans toutes ses conversations, et cela avec une éloquence naturelle, douce, fleurie; une politesse insinuante, mais noble et proportionnée ; une élocution facile, nette, agréable; un ton de clarté et de précision pour se faire entendre, même en traitant les matières les plus embarrassées : avec cela il ne vouloit pas avoir plus d'esprit que ceux avec qui il parloit; il se mettoit à portée de chacun sans le faire sentir; il mettoit à l'aise, et sembloit enchanter, de façon qu'on ne pouvoit ni le quitter, ni s'en défendre, ni ne pas soupirer après le moment de le retrouver. C'est ce talent si rare, et qu'il avoit au dernier degré, qui lui tint ses amis si attachés toute sa vie, malgré sa chute et sa disgrace, et qui, dans le triste éloignement où ils étoient de lui, les réunissoit pour se parler de lui, pour le regretter, pour le désirer, pour soupirer après son retour, et l'espérer sans cesse.

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